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Critique de wartenkaplan


Catherine Sayn-Wittgenstein commence un journal le 3 août 1914 à Bronitsa, donc 3 jours avant la déclaration de guerre de l'Allemagne à la Russie et le terminera le 7 janvier 1919 à Czernowitz. Deux villes ukrainiennes, deux vies contraires pour Catherine : la 1ère heureuse et insouciante dans la grande propriété familiale de Bronitsa, la seconde dure et malheureuse dans un pauvre petit appartement de Czernowitz. L'Ukraine ne sera jamais considérée comme telle par Catherine qui la nomme toujours, comme tous les Russes d'ailleurs, ‟la Petite Russie”.

Ecrit en russe, ce journal a été traduit en allemand puis en français. Les traductions successives ont-elles suivi fidèlement l'esprit du texte, tellement certains passages sont d'une compréhension difficile ? Je penche plutôt pour l'idée que Catherine a tenu ce journal pour elle-même ne jugeant ainsi pas nécessaire de travailler la forme pour rendre le texte lisible par un grand nombre de lecteurs.
Toutefois, l'intéressant d'un journal est qu'il transcrit avec spontanéité les faits et les impressions au jour le jour. Il y a une garantie d'authenticité et de véracité que les Mémoires n'apportent pas.

Ce journal traverse le conflit russo-germanique et la révolution bolchevique. Pendant 5 années la famille Sayn-Wittgenstein sera,au gré des évènements tragiques, ballotée d'Ukraine à Saint-Petersbourg/Petrograd puis à Moscou, pour retourner enfin en Ukraine. C'est une famille traquée, comme le seront d'ailleurs tous les aristocrates et possédants dont les bolcheviques veulent l'extermination. ‟Pourquoi ces gens-là nous veulent-ils tant de mal ? Que leurs avons-nous fait ?”Se demande Catherine. Fallait-il être sourd et aveugle pour ne pas sentir que l'éruption était proche ?
Ce qui porte un coup terrible à Catherine est l'ordre du jour n° 1 édicté par Lénine le 26 octobre 1917 : ‟Les terres des propriétaires aux paysans, les soldats sont appelés à arrêter leurs officiers, empêcher par la force les soldats d'aller vers le front, conclusion immédiate de la paix, dévolution de la totalité des pouvoirs aux soviets.”. Ce sont tous les symboles de cette aristocratie qui s'écroulent : la perte de la terre et du service aux Armées qui leur donnent nom et identité.
Les nobles pris sont assassinés et leur maison brûlée et rasée. Aux armées les officiers sont destitués voire tués et les soldats deviennent commandants. La paix avec l'Allemagne est l'obsession de Lénine afin de s'occuper pleinement de la Révolution et mettre en place son gouvernement bolchevique.

Sus aux ‟bourjoui” crient les révolutionnaires en nommant les possédants.

Elle espérait que Kerensky réussirait. Mais ce sont Lénine et le ‟Juif” Bronstein alias Trotsky qui vaincront, le ‟Juif” untel comme elle écrit quand elle parle d'une personne d'origine israélite.

3 mars 1918 - La paix entre les bolcheviques et l'Allemagne est signée à Brest-Litovsk. Tous les soldats russes décampent et retournent chez eux. L'Ukraine sera occupée par les Autrichiens et se séparera de la Russie.
Mais à l'époque, comme c'est la rumeur qui fait l'information, il est pour Catherine difficile de savoir ce qui ce passe réellement. Les Autrichiens s'installent-ils dans cette zone de l'Ukraine, la Podolie, où elle habite ? L'Ukraine va-t'elle exister ? Les Polonais, ennemis jurés des Ukrainiens vont-ils fondre sur ce pays ? Les bolcheviks sont-ils toujours à la manoeuvre ? Nous nous imaginons mal ce qu'est l'information par la rumeur, nous qui pouvons en 2016 suivre le moindre fait d'actualité par l'image le son et le texte;
Au sujet de l'idée d'une Ukraine indépendante, Catherine pense que le peuple, trop russophile à cause de la guerre, ne suivra pas.
‟Peut-être pourrions-nous nous mettre sous la protection des Autrichiens” pense-t'elle ? le cosmopolitisme des Sayn-Wittgenstein alliée à toutes les familles princières d'Europe favorise ce genre de pensée.

Fin avril 1918, le droit de propriété est rétabli en Ukraine par les Autrichiens qui nomment, avec le concours des Agrariens, un Hetman d'Ukraine, sorte de gouverneur avec pleins pouvoirs d'administrer le pays.
Mais Catherine ne croit pas que ce rétablissement de ses droits et privilèges soit définitifs. Elle a conscience que sa famille a usé de force et de cruauté pour assoir son pouvoir. Elle a conscience que les choses doivent bouger et que l'ordre ancien doit faire la place à un ordre nouveau qu'elle a peine à imaginer. Belle réflexion pour quelqu'un d'un telle position sociale ! Elle rêve de ferme, d'élevage et d'agriculture qu'elle gèrera, elle-même participant à tous les travaux.
Dans la réalité, au cours de cette vie de traquée itinérante, Catherine s'épuisera dans les travaux au jardin potager, livrant ses douces mains blanches à l'agression de la terre. Mais elle pense comme l'écrit Tolstoï ‟qu'est heureux celui qui se fatigue physiquement qu'il en oublie le malheur de son âme ”

Elle et sa famille s'enfuiront hors d'Ukraine. Elle épousera le comte André Razumovski, autrichien et propriétaire d'un grand domaine dans la Silésie autrichienne. Quand ce territoire deviendra tchèque, elle perdra tout une seconde fois et s'installera à Vienne.

"Nous autres slaves ne sommes bons à rien ! Avant, j'étais furieuse quand quelqu'un le disait, mais maintenant, je découvre en moi-même et dans mon entourage ces traits de paresse et d'inconséquence qui existe chez chaque Slave. Nous sommes très capables d'accomplir tout spontanément; dans l'instant nous pouvons tout faire. Mais dès que l'enthousiasme refroidit et que l'énergie tombe, c'est terminé !" Ecrit-elle à la fin du livre.C'est un jugement sévère d'aristocrates d'Ancien Régime sur un peuple qui, inculte et pauvre, ne peut vivre et penser différemment car trop englué dans son destin de désespérance.
L'auteur fait-elle partie de ce peuple ? Elle le revendique bien que née princesse Sayn-Wittgenstein. Cette famille allemande de haute noblesse est arrivée en Russie par son arrière-grand-père le Maréchal Sayn-Wittgenstein pour servir dans les armées du tsar

Alexandre 1er contre Napoléon 1er.
Comme toute jeune fille de sa condition, elle ne sait rien faire. L'éducation donnée par son milieu lui donne ce vernis de connaitre un peu de chaque sujet sans en connaitre aucun en particulier. Peu importe si elle passe peu de temps à l'école puisque la famille et la caste lui inculqueront ces bonnes manières qui lui permettront d'épouser un autre prince et la vie continuera paisible et mondaine entourée de domestiques.
Catherine parle le russe, l'allemand, sans doute aussi le français et peut-être l'anglais. Elle joue du piano.
Signe particulier : elle aime nourrir souvent ses petits lapins.

La guerre la fera infirmière sans qu'elle ait appris ce métier, mais dans ces familles-là, le don de soi, l'altruisme pallie le manque de connaissances.

Mais paradoxe, au cours des évènements de guerre et de révolution, elle lit "Crimes et Châtiments" de Dostoïevski qui est pour elle "le sang de la terre" et entreprend d'étudier l'arithmétique avec un objectif un peu irréel de rattraper toutes les classes en retard jusqu'au diplôme de fin d'études puis entrer à l'université pour devenir médecin.

Tous ses projets et intentions retomberont comme un soufflet.

L'histoire donnera tort à Catherine. l'épisode bolchevique est là pour nous rappeler la détermination de ses leaders pour le plus grand malheur du peuple.
Catherine aurait du écrire ‟Nous autres princes slaves, nous sommes des bons à rien…”
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