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Critique de kielosa



La famille noble des Sayn-Wittgenstein compte plusieurs branches disséminées dans différents pays et on pourrait aujourd'hui remplir un village des nombreux descendants. La princesse Catherine "Katia" Sayn-Wittgenstein appartenait à la branche russe. Son arrière-grand-père, Peter-Ludwig (1767-1843) était devenu maréchal dans l'armée tsariste au moment des guerres napoléoniennes. L'épouse du prince Nicolas, son grand-père, abandonna en 1847 son mari pour suivre le compositeur et pianiste Franz Liszt. le pauvre prince dût attendre la mort du tsar Nicolas Ier pour pouvoir divorcer et remarier Rosalie Léon avec qui il eut un fils, Nicolaï (1862-1934), le père de notre Katia.

Une petite anecdote : l'écrivaine d'origine suédoise et mexicaine, Carina Axelsson née en 1968 en Californie, ancien modèle de mode, et l'auteure de la série populaire de romans pour adolescents "Fashion Detective" est depuis une dizaine d'années la compagne du 7e prince de zu Sayn-Wittgenstein-Berleburg, Gustav. Comme son grand-père Richard, du temps des nazis, avait laissé un testament comme quoi ses descendants devaient être aryens et protestants, Carina et Gustav ne peuvent se marier, en dépit de procès en Allemagne, Suède et Danemark.

Katia, née en 1895 comme 4e des 6 enfants du prince Nicolaï et Maria Zouboff (1861-1927) a vécu sa jeunesse à Bronitsa en Ukraine à 350 km au sud-ouest de Kiev. Éblouie par les romans d'Alexandre Dumas père, très jeune elle s'est mise à écrire un journal intime. Ce sont les 2ème, 3ème et 4ème cahiers de ce journal, qui couvrent la période du 3 août 1914 au 20 janvier 1919, qui fait l'objet du présent ouvrage, publié en Français en 1990 et réédité en poche en 2007.

La redécouverte de ce journal, qui se trouvait quelque part au fond d'un tiroir, est due à une initiative du Prix Nobel Alexandre Soljenitsyne, qui réclama en 1975 aux émigrés russes de la 1re génération de lui soumettre leurs souvenirs écrits, que les filles de l'auteure Dana, Olga et Maria se sont mises à l'oeuvre pour transcrire ce journal. Une tâche ardue car écrit en Russe ancien et au crayon ! C'est surtout grâce à sa fille, Maria Razumovsky (née en 1923), qu'en 1983 l'ouvrage fut publié en Allemand. C'est la fille aînée de l'auteure qui a écrit la préface et complété le texte par des notes de bas de page judicieuses.
Maria Razumovsky est l'auteure de "Nos journaux cachés", avec ses 2 soeurs, en 2004 et de la remarquable biographie de la poétesse "Marina Tsvetaieva. Mythe et réalité" de 1988. C'est finalement, la petite-fille de Katia, Vera Michalski-Hoffmann, née à Bâle en 1954 et propriétaire de maisons d'édition en Suisse, Pologne et France, qui a assuré la traduction en Français de "La fin de ma Russie". Son père fut le petit-fils de Fritz Hoffmann, le fondateur du géant pharmaceutique Hoffmann-La Roche. Décidément, quelle famille !

Katia avait donc 19 ans lorsqu'elle a entamé son journal de guerre. J'ignore si c'est grâce au "Conte de Monte Christo" qu'elle avait lu et maintes fois relu, mais elle s'exprime étonnamment bien. Certaines de ses considérations sont un peu naïves (comme par exemple que "Les Allemands ne peuvent rien faire sans tricher" - page 20), mais dans l'ensemble son style est clair et élégant. Elle suit avec passion et précision le déroulement des combats sur le front de l'est au cours de la Première Guerre mondiale.

Avec sa soeur Tatiana ou Tania, qui a un an de plus qu'elle, elle se porte courageusement volontaire comme infirmière pour soigner soldats et officiers blessés des 2 camps.
La 1re partie du journal relate la montée de l'insécurité, les déplacements fréquents, la pénurie générale etc. C'est à partir de la révolution de février 1917 que ses notes deviennent vraiment intéressantes. Ainsi, observant de sa fenêtre les batailles de rue à Petrograd, elle confie à son cahier, le 12 février: " Un nuage noir se tient au-dessus de la pauvre Russie...Nous vivons une époque affreuse...Nous voyons que tout autour de nous s'effondre, que nous nous dirigeons tous vers un précipice, que seul un miracle peut nous sauver".

Il n'y aura pas de miracles bien sûr. "Le mécontentement croît chaque jour... et tout le monde est terriblement nerveux...La Russie périt !" En mars 1917, les Sayn-Wittgenstein réalisent qu'ils ne peuvent rester à Petrograd. Quoiqu'à la campagne ce n'est guère mieux : les 2 millions ou plus de déserteurs pillent la population, pendant que l'armée allemande progresse et que Trotski négocie une paix séparée, ce que Katia trouve honteux.

Arrive le mois fatidique d'octobre 1917 : la grande révolution ! Les informations, d'ailleurs confuses, de Petrograd ne filtrent que lentement jusqu'à Bronitsa. L'Ukraine s'est aussi proclamée indépendante et passe sous contrôle de Symon Petlioura qui se nomme lui-même chef de toutes les troupes. Il sera assassiné à Paris en 1926.
Les mauvaises nouvelles ne font que se multiplier pour Katia. Elle note que 35 domaines ont été complètement détruits et lorsque les cosaques ont pillé et détruit le domaine des Sayn-Wittgenstein de Bronitsa, elle conclue désespérément, le 22 décembre 1917 : "Maintenant tout m'indiffère".

Sa vie et celle de sa famille jusqu'à sa fuite en Roumanie, en novembre 2018, je vous laisse découvrir. Son 4e cahier s'arrête en janvier 1919. le 5e a malheureusement disparu. Trois ans plus tard, en 1922, Katia Sayn-Wittgenstein épouse le comte André Razumovsky et vit au château de Schönstein à Troppau, l'actuelle Opava en Moravie. Elle n'écrit plus... peut-être parce que entre temps elle a mis au monde 5 enfants. En 1948, avec l'installation du communisme en Tchécoslovaquie, elle et sa famille perdent pour la 2e fois tous leurs biens. Elle s'installe à Vienne, où elle meurt en 1983, à l'âge de 88 ans.

Si Alexandre Solsjenitsyne dans une lettre du 6 mai 1982 a déclaré à l'auteure : "Vous étiez vraiment une jeune fille perspicace, dès la mi-mai 1917, à Petrograd, vous avez exprimé l'essentiel de ce qui m'est apparu après les 8 volumes de mon récit..." qu'est-ce que je pourrais ajouter de sensé ?
Sauf que sa fille et sa petite-fille ont réalisé du beau travail, mais il a fallu, bien entendu, l'effort initial de Katia /Catherine Sayn-Wittgenstein.

PS : La photo de couverture nous montre Katia quand elle traversa le Dniestr vers la Roumanie, déguisée en uniforme de soldat de l'armée rouge, en novembre 1918. Elle avait 23 ans.
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