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Critique de audelagandre


« À nos jours heureux » est un hommage vibrant à la vie. Quand elle est menacée par une petite chose presque invisible au fond de soi prête à exploser, quand elle se manifeste, quand il faut livrer bataille. Laurent Scalese décrypte toutes les phases de la maladie, une bombe à fragmentation, ses conséquences dans différents domaines, les traitements et leurs incidences, les rencontres et la vie qui reprend toujours le dessus grâce à l'espoir et aux belles rencontres qui changent tout. Il m'apparaît très clairement qu'il s'agit ici d'un pan de vie vécu, tant le texte est précis et les émotions justes. J'ai dit juste, pas triste. Conforme, pas déprimant. J'ai eu deux crabes rasés dans mon entourage qui ont livré bataille. Je pense qu'elles auraient beaucoup aimé certains passages de ce livre, souri ou ri à d'autres et relevé certaines phrases à réciter comme des mantras. « À nos jours heureux » porte bien son titre : tchin-tchin la vie !

Judith Freeberg est directrice générale d'une maison d'édition, a une mère avec laquelle elle ne fait que se disputer, une fille en pleine crise d'adolescence, deux anciens compagnons dont l'un est le père de Crystal, un nouveau Sébastien que sa fille déteste (bien évidemment, sinon les choses seraient trop simples). En somme, Judith est une femme occupée professionnellement et personnellement. Elle n'a pas beaucoup le temps de penser à elle. Et pourtant, dans sa course folle du quotidien, lors d'un banal contrôle de routine, Judith va se prendre un mur en plein visage. C'est le choc. Un rendez-vous chez le médecin vécu en apesanteur, des mots qui frappent : « À partir d'aujourd'hui, il n'y a qu'une personne qui compte : vous. Zappez le reste. Croyez-moi, vous mettrez toutes les chances de votre côté. » Allô ? le changement de vie ? C'est par ici que ça se passe, toute votre attention est requise sous peine de châtiment maximal. « La vie ne tient pas à ce dont on est capables mais à ce que nous sommes prêts à accepter. » Évidemment, c'est à partir de là que revient résonner la mélodie de « À nos jours heureux »… ceux passés, et tous ceux à venir, parce que du courage, Judith en possède à revendre !

Sa mission est d'accepter la maladie pour mieux la combattre. Son médecin a été très clair sur ce point, elle tranche et ne prend pas de gants pour l'annoncer à ses ex. y a-t-il réellement une bonne façon d'annoncer une telle nouvelle ? « Je voulais vous présenter mon nouveau compagnon. – Un cancer du sein ». Elle l'annonce également à son compagnon, du moment, qui, très courageusement, la largue en pleine nuit, en prenant la fuite. « Sébastien Legac appartenait donc à cette catégorie de salauds, il était du genre à raccrocher les gants alors que le combat n'avait pas commencé, à déserter le champ de bataille avant que le moindre coup de feu ne fût tiré, à lâcher l'être aimé au moment où ce dernier avait le plus besoin de lui. Elle se rapprocha du traître, si près qu'il n'eut pas d'autre choix que d'affronter son regard mi-hébété, mi-réprobateur. » Mieux vaut être seul que mal accompagné, c'est bien connu. Pas de pitié pour les lâches : « Il était entré dans sa vie avec élégance et humour, il en sortait pitoyable, petit, aussi insignifiant qu'un insecte. » Car, dans la vie d'un malade, il y a parfois l'abandon du conjoint qui ne sait pas faire face… Sujet délicat que l'auteur aborde avec transparence.

« À nos jours heureux » raconte à la fois le parcours de soins, la portée psychologique de certaines étapes clés, la froideur parfois du corps médical par des paroles malheureuses, et/ou inappropriées, la difficulté pour une femme de perdre ses symboles de féminité. Mais, « À nos jours heureux » est davantage un bouquet de coupes de champagne avec lesquelles on porte un toast à la vie. Dans ce texte, Laurent Scalese évoque aussi bien la maladie que l'espoir de la guérison, et ses personnages s'octroient le droit à l'humour comme arme de destruction massive. Même si Judith perd Sébastien, elle gagne des amitiés bien plus précieuses, des compagnons de lutte, car accompagnée, elle le sera par une bande rencontrée lors des séances de chimiothérapie qui s'autobaptiseront les crabes rasés. Et, comme il faut bien que la maladie « serve » à quelque chose, ses relations avec sa fille et avec sa mère vont s'améliorer. Plus de temps à perdre avec des disputes inutiles et sans réels fondements, il faut remettre l'essentiel au centre du tout. « le merveilleux, le miracle, chacun appelle ça comme il veut, est invisible aux yeux des personnes en parfaite santé, elles sont trop occupées à courir après la vie et le temps, enchaîna-t-elle d'une voix habitée. Il nous apparaît, à nous malades, partout où il se trouve, dans les moindres recoins où il se niche, car nous sommes plus conscients que quiconque de la beauté et de la fragilité de l'existence. »

Dans « À nos jours heureux », Laurent Scalese aborde un sujet grave, la maladie, grâce à des personnages qui bouffent la vie. « Plus soudés que jamais, les crabes rasés connurent la période la plus heureuse et la plus intense de leur vie. Ils vécurent chaque journée comme si c'était la dernière, ils savourèrent chaque seconde passée ensemble à s'aimer, à rire, à réinventer le monde, à simplement respirer le même air, car celles et ceux qui ont frôlé la mort savent que l'existence humaine est fragile, qu'elle ne tient qu'à un fil, si ténu qu'un accident, une mauvaise rencontre ou une tumeur d'à peine deux millimètres peuvent le rompre à tout moment. » Ses personnages sont lumineux et réalistes, jamais autant humains que depuis qu'ils ont tous leurs chakra ouverts. À travers eux, le lecteur se prend une formidable et bienveillante leçon de vie. « Installés le plus confortablement possible dans les fauteuils inclinables, visages tournés l'un vers l'autre, Lola et Nicolas évoquaient la vie d'avant le cancer, regrettant d'avoir souvent compliqué les choses simples, d'avoir gaspillé une énergie et un temps précieux dans des combats qui n'avaient d'importance que celle qu'ils leur attribuaient à titre personnel. À force de courir en tous sens, après l'insaisissable, ils étaient passés à côté de leurs meilleures années. »

Car, sur la pointe des pieds, l'écrivain aborde toutes les thématiques liées à la maladie jusqu'au droit de mourir dans la dignité et de choisir et le lieu et le moment si la bataille prend des allures de KO technique. Les quatre personnages de « À nos jours heureux » savent bien qu'il n'y a que deux issues possibles à leur combat, la guérison ou la chute « Nous sommes des funambules qui marchent sur une corde tendue entre la vie et la mort. » Quelle belle image que ces êtres humains en habits de lumière qui dansent au-dessus d'un gouffre…

Lauren Scalese a la finesse de l'esprit et la délicatesse du coeur. « À nos jours heureux », analyse également les affres de notre société dans laquelle il devient difficile de trouver sa place et de vivre en adéquation avec ses principes… Comme une bravade, certains affirment ne pas regretter ce monde si complexe et détestable s'ils venaient à mourir. Et pourtant, au fond d'eux, ils se disent tous la même chose « J'ai retrouvé ce que je croyais avoir perdu : le goût de la lutte. »

J'ai aimé la façon dont l'auteur transforme l'épreuve d'une vie en prise de conscience. de pénible et parfois juchée d'errances, l'existence devient inestimable et douée de sens. « le merveilleux, le miracle, chacun appelle ça comme il veut, est invisible aux yeux des personnes en parfaite santé, elles sont trop occupées à courir après la vie et le temps, enchaîna-t-elle d'une voix habitée. Il nous apparaît, à nous malades, partout où il se trouve, dans les moindres recoins où il se niche, car nous sommes plus conscients que quiconque de la beauté et de la fragilité de l'existence. »

« À nos jours heureux » est sans doute le roman le plus personnel de Laurent Scalese, celui où l'homme est plus palpable que l'écrivain, où l'enfant aux mille rêves et illusions refait surface. « Je crois qu'on passe notre vie à jouer à l'homme, formula-t-il, sérieux. Il suffit de gratter le vernis de l'adulte pour mettre à nu l'enfant qu'il n'a jamais cessé d'être. » Je n'aime jamais autant quelqu'un que lorsque je perçois ses failles, ses fractures et ses espoirs, sa sensibilité à fleur de peau, sa vulnérabilité et son vécu.

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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