Requiem pour Sascha, tome 2 : Dies Irae

Je prends une profonde inspiration. Il faut que je me reprenne. Tout faire brûler ne m’avancera à rien. Je calme l’incendie intérieur qui nourrit le feu sur mes mains et m’effondre contre le mur. Toute ma vie, je me suis adaptée à ce que mon entourage attendait de moi et au final j’ignore qui je suis réellement. Orpheline, nonne, salope, marginale, princesse cassée, héraut de l’Apocalypse.

- J'hallucine ou tu es en train de me citer l'Associé du diable ?
- J'ai suggéré Pacino pour mon rôle. J'aime beaucoup cet acteur, dit-il avec un sourire.

Un cri rauque s'élève de ma gorge lorsque mon corps explose en milliers de petites particules de plaisir, qui flottent détachées du temps et de l'espace avant de revenir à leur place dans mon corps tendu comme un arc contre le torse de [...]

Luc fouille le sachet, de toute évidence un peu perdu. Je tends la main et il me passe les médocs. Corrisol, Prednisone,Clonazépam, Codéine...Si j'avais eu la force de parler, je lui aurais demandé s'il chasse souvent la sauterelle au bazooka.

Il se relève à ces paroles, me rejoint sur le lit et s’allume une cigarette également. Puis, de sa main libre, il attrape la mienne et des flammes jaillissent de nos doigts entremêlés. Je ne recule pas cette fois. Ni à son contact, ni lorsqu’il force mon pouvoir de pyrokinésie à s’éveiller.
— Dis-moi franchement, commence-t-il tandis que les flammes lèchent doucement mon avant-bras sans me brûler, tu te sentais vraiment à ta place avec les humains ?
Les flammes se renforcent soudain, grandissent sur ma main et remontent jusqu’à mon épaule. Il sourit.
— C’est bien ce que je pensais, dit-il avant de me lâcher.

Je ne suis peut-être pas un danger pour l'espèce humaine en tant que telle, mais les mecs autour de moi me rendent infréquentable.

Après une course effrénée – et plutôt excitante – à travers les rues de Paris avec mon nouveau compagnon à poils, nous finissons par arriver au portail. Je m’y reprends à trois fois pour allumer les bougies parce que le loup bat tellement vite de la queue qu’il les éteint avant qu’on puisse se téléporter.

Ça fait des heures que je m’entraîne. Je suis fatiguée, j’ai mal partout et j’aurais aimé me reposer un peu sur mes lauriers après le succès de notre dernière mission, mais Zekiel en a décidé autrement, et il a alourdi le programme. Des jours à exercer mes différents pouvoirs des heures durant, sans faire de pause, sans manger, sans boire et sans vraiment comprendre ses instructions toutes plus délirantes les unes que les autres. Tout ça sans aucun égard non plus pour les gueules de bois, les migraines – ainsi que mon envie de baiser tout ce qui passe –, qu’implique l’utilisation à outrance de mes capacités.

Ma cigarette finie, je me relève pour retourner à mes quartiers sans bien savoir ce que je vais y faire. Je croyais qu'en venant vivre ici j'aurais une famille, des amis, une vie normale parmi mes semblables mais ma place n'est nulle part.
(ed. poche, p. 361)

Je crois que chacun d'entre nous a un point de rupture. Une ligne rouge à ne pas dépasser. Un seuil au-delà duquel il ne peut plus encaisser et finit par céder. Je crois que je viens d'atteindre le mien.
Je pensais avoir déjà touché le fond mais malgré tout, j'ai pu continuer à avancer, à faire avec et à me relever. Cette fois, le fond est là. Je peux le toucher. Et si je suivais la métaphore consacrée, je pourrais donner un coup de pied et finir par remonter à la surface. Sauf que quand on atteint le fond, c'est parce qu'on y a été entraîné, et il ne suffit pas de donner un coup de pied quand on a les jambes coulées dans le béton.
(ed. poche, p. 371)