AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de fabienne2909


Une voix dans la solitude et la musique sacrée de Vivaldi.
Le roman est porté en effet par la voix de la jeune Cecilia, orpheline obsédée par l'absence d'une mère qu'elle n'a jamais connue et dont elle ne sait rien. Insomniaque, elle lui écrit chaque nuit des lettres qui ne lui parviendront jamais, et dans lesquelles elle lui dit son désarroi, sa haine d'elle-même et sa difficulté d'exister, d'être pleinement elle-même. Comme si elle était déjà morte ou tout du moins pétrifiée dans sa douleur, ce qui est souligné par le fait qu'elle "voit" et converse avec Méduse (qui n'est pas nommée mais est reconnaissable par ses cheveux faits de serpents), personnage ambigu qui "est sur cette ligne de fracture, cette faille qui sépare en deux l'être humain : la vie et la mort" (Eleonore Pardo, "Le regard médusé", Recherches en psychanalyse. Les Origines grecques de la psychanalyse, 2010, vol. 9).
La pétrification que provoque Méduse, image parfois entremêlée au motif récurrent de la vision "cachée" structurent ainsi la psyché de Cécilia. En effet, la haine de soi causée par l'abandon de la mère après la naissance ressentie par la jeune fille ressort particulièrement à l'occasion de différentes scènes qu'elle surprend : une congénère accouchant d'un excrément qui se révèle être un bébé (l'image est frappante et revient régulièrement dans les pensées de la narratrice), le second quand elle voit Antonio Vivaldi procéder à la consécration du pain et du vin en pleine nuit :

" Il venait de consacrer le pain et le vin. Il les avait changés en corps et sang de Dieu notre seigneur. Ou plutôt Dieu notre Seigneur était descendu se nicher dans ce pauvre bout de pain, dans ce verre de mauvais vin. le prêtre a frissonné. Il a dû percevoir à quel point tout ceci était immonde. Un dieu qui s'incarne en grain moulu et jus de fruit fermenté. Qui se laisse malaxer et digérer par les entrailles répugnantes des êtres humains.
Il ne voulait pas penser au transit de Dieu notre Seigneur dans ses intestins, à ce qui en sortirait, à l'aboutissement de ce voyage sordide dans son corps.
Son angoisse était la mienne. Je l'ai entendu dire ces paroles ou peut-être les ai-je imaginées : "Pourquoi Dieu notre Seigneur a-t-il pris ces espèces ? Ne lui suffisait-il pas de s'être incarné une fois ? Pourquoi a-t-il voulu se réincarner des milliers de fois dans nos corps, subir cette humiliation encore plus ignominieuse que la mort sur la croix, mille fois pire que la flagellation et les crachats, que les humiliations et son exécution comme un vulgaire criminel ? Pourquoi ce chemin de croix dans nos viscères ? " ".

Cette pétrification la maintient ainsi dans un stade intermédiaire entre la petite fille qu'elle n'est plus et la jeune femme en devenir, ce qui est renforcé par le fait qu'elle joue masquée et cachée des communiants lors de la messe du dimanche dans l'église accolée à l'orphelinat où elle vit, et qu'Antonio Vivaldi refuse de la mettre en avant lors de solos si elle accepte de refuser les demandes en mariage qui pourraient s'ensuivre (personnage auquel la jeune fille découvre qu'elle n'est pas insensible).

Ces quelques élément d'analyse, qui ne révèlent rien de l'intrigue, montrent la richesse de ce roman, laquelle est magnifiquement mise en valeur par une écriture toute en nuances, bien que le propos dont elle est au service est sombre, austère, plein de désespoir (bien que coupé par une note plus positive à la fin de l'ouvrage).

En résumé, un roman court (152 pages), poignant et inclassable, et qui constitue en outre une remarquable introduction à l'oeuvre d'Antonio Vivaldi.
Commenter  J’apprécie          203



Ont apprécié cette critique (17)voir plus




{* *}