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Jean Descat (Traducteur)Pierre-Emmanuel Dauzat (Préfacier, etc.)
EAN : 9782268064154
94 pages
Les Editions du Rocher (31/01/2008)
4.08/5   65 notes
Résumé :

"Contemporain du malheur serbe, comme on a accoutumé de parler du malheur russe, Scepanovié est un adepte du " local sans les murs ", qui a nom l'universel. Les tropismes de fuite et les désirs de mort qui sont au cœur de la tragédie grecque se retrouvent pareillement au cœur des romans et nouvelles de Branimir Scepanovié. Si La Bouche pleine de terre, avec ses airs de parabole judéo-chrétienne et sa "source gr... >Voir plus
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C'est un livre court. Un livret. Un fin opuscule. Precede d'une preface de Pierre-Emmanuel Dauzat qui le met en rapport avec ses sources, ses attaches, ses accointances, ses comparses en litterature. Excusez du peu: Rimbaud, Jarry, Ivo Andric, Alexandre Tisma, Homere, Goethe, Yeats, Michel Foucault, Drieu la Rochelle, Dante, Simenon, Elias Canetti, Paul Valery, Sartre, Simone Weil (la philosophe), Ortega y Gasset, Sylvia Plath, Saint Augustin, Seneque, Kazantzakis, Kafka, Melville, Camus, Origene, Lewis Carroll, Borges, Roger Caillois, Thomas Bernhard, jusqu'a Hitler! et quelques auteurs serbo-croates inconnus de moi. Trop c'est trop. Enerve, j'ai failli abandonner ma lecture.
Mais c'est un livre court, alors j'ai continue.


Un homme a qui on a diagnostique un cancer terminal part de Belgrade pour voir une derniere fois son Montenegro natal, la montagne aux cimes blanches de son enfance, et y mourir. Voir la Prekornitsa et mourir. Revenir mourir chez soi, a la maison.
Au milieu du trajet il saute du train et se met a marcher. Rencontrant une paire de campeurs, il les fuit, sans raison apparente. Eux, surpris, se mettenr a sa poursuite, sans plus de raison. Mais bientot se joignent a eux un berger et un garde forestier, qui accusent le fuyard de toutes sortes de delits. Le groupe des poursuivants grandit sans arret, exponentiellement, devient une meute, haineuse, desireuse de faire payer des crimes que personne ne sait detailler vraiment. Quant au fuyard, il finira, dans un delire grandissant, par croire qu'il est arrive a sa destination desiree, au Prekornitsa, et il mourra apaise (machant des herbes veneneuses ou se jetant du haut d'un rocher). Contrairement aux poursuivants, tourmentes par leur echec a rattraper leur cible et surtout par l'incomprehension de leur propre attitude dans cette affaire.


Un homme est poursuivi par de parfaits etrangers, qui ne savent rien de lui, s'imaginent tout et n'importe quoi, et sont determines, sans qu'ils en comprennent eux-memes les raisons, a le spolier de la seule chose qui lui importe: le droit de choisir sa mort, le moment, l'endroit, les modalites de sa mort.


Une poursuite qui est une persecution. Metaphore de la facon dont les hommes se comportent avec ce qu'ils ne comprennent pas, avec ce qu'ils considerent comme discordant et incompatible avec leur vecu, inconciliable avec leurs valeurs. Une metaphore des relations entre individus et collectivites, entre une personne et la masse des autres, entre norme et divergence; sur les motifs, reels ou pas, fondes ou pas, de la stigmatisation, de l'anathematisation de l'autre, de celui qui est percu comme autre; sur la fabrique de victimes; sur la formation de bourreaux.


C'est un livre inquietant. Kafkaien si je dois choisir entre toutes les sources citees dans la preface du sieur Dauzat. D'un Kafka qui aurait vecu assez longtemps pour connaitre et interioriser le 1984 d'Orwell. Par bonheur c'est un livre court, sa lecture finit avant qu'elle ne devienne penible. Chaque lecteur aura juste le temps de se demander s'il est poursuivant, et quel type de poursuivant est-il, et au nom de quoi, ou s'il est poursuivi, et alors pourquoi croit-il qu'il l'est. Quant a moi, je crois que ca depend du lieu et du moment. Nous sommes tous poursuivis. En puissance. Nous sommes tous poursuivants. En puissance.


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(...).

Déjà, la préface est magnifique, riche de références (du dormeur du val à Goethe en passant par Mein kampf et saint Augustin), et du coup vous vous trouvez ridicule à prétendre parler de ce livre. Car, soyons honnête, la préface éclaire la face cachée de l'oeuvre, celle que, maigrement cultivé que vous êtes (enfin, vous, je veux dire, moi) vous n'auriez jamais pu que ressentir sans clairement identifier.

Je ne peux m'empêcher de vous en citer un passage:

"De "la mort de Monsieur Golouja" au "rachat" en passant par "la bouche pleine de terre", l'évangile selon Scepanovic prêche la même éthique du salut, avec toujours les mêmes héros qui prennent sur eux le pêché du monde, la haine des nations en meute, pour trouver dans la mort bienheureuse une certaine réconciliation. Après avoir cherché l'ombre de la croix sur la terre, le suicidé frustre ses assaillants d'une mort promise. La stupeur des chasseurs frustrés ne se laisse comparer qu'à la stupeur des disciples accouardis devant le tombeau vide. le sourire sur les lèvres d'une bouche pleine de terre est une manière de se dérober d'une façon aussi sûre que celui du chat de Cheshire (...) Et le bonheur de ce suicidaire est très exactement le même que celui de Borges (...) autre chantre, dans ses fictions, du bonheur par la pétrification et la minéralisation de l'homme:"Aucune étoile ne restera dans la nuit / ni la nuit ne restera./ Je mourrai et avec moi mourra la somme de l'intolérable univers." Et comme en apothéose pour qui sait lire sur les lèvres des morts volontaires de Branimir Scepanovic:"Je rearde le dernier coucher de soleil./ J'entends le dernier oiseau./ Je lègue le néant à personne." Eut-il été moins nu, que le néant n'aurait pas été aussi accompli, ni le sourire aussi franc et salutaire, ni la mort autant mortifiée. Tel est le "supplément d'être" du mort volontaire.(...)"

Ce livre relativement court (moins d'une centaine de pages dans l'édition de poche) est un récit à double narration en échos, la double narration étant explicitée dans la forme par des paragraphes espacés, ainsi que l'emploi des italiques (narration coté Mort volontaire).

Le récit commence par celui de deux chasseurs, dans une tente, engloutis dans une nuit d'été.

Puis vient celui d'un voyageur à bord d'un train. Sans bagages. Ce voyageur, comme on l'apprendre plus tard, a choisi de se rendre à un endroit pour mourir. Parcequ'il veut choisir sa mort et ne veut pas qu'une maladie la lui vole. Sa maladie, incurable. Il s'enfuit de l'hopital, rentre chez lui, fuit son domicile. Puis le train et la gare. Une fuite, un exil. La mort comme salut. Dès lors, notre homme va éviter tout ce ui pourrait inflechir sa détermination.

L'endroit élu est le sommet d'une montagne, là ou quelques décennies plus tôt, enfant, il s'était réfugié et avait entrevu une première fois la mort comme une délivrance. Alors qu'il marche vers cette terre, promesse de néant libérateur, il rencontre de façon fortuite les deux chasseurs. Ils auraient pu se croiser, s'ignorer, et notre futur mort volontaire aurait pu continuer son chemin.

Mais au lieu de ça, sans mot dire, il fait demi-tour et se met à courir. Et, curieusement, les chasseurs se mettent à lui courir apres. Sans savoir trop pourquoi. Cette course poursuite effrenée va durée toute la journée. Aux chasseurs se joindront un berger, puis un garde chasse, et au fur et à mesure une véritable meute se formera. Personne ne sait précisément pourquoi il poursuit le fuyard, mais au fur et à mesure, les gens s'inventent une raison et se mettent, via une espèce d'émulation inhérente au groupe, à le haïr.

L'auteur décrit de façon très subtile cette naissance de la haine.

Tout cela prendra fin lorsque notre homme se jettera du haut de son rocher.

Il a pris conscience de son existence, approché la mort, l'a convoitée, redoutée et, dans un ultime soubresaut, s'est jeté dans ses bras, anéantissant ainsi la horde qui était à ses trousses et laissant les chasseurs hagards, hébétés, comme à la suite d'un mauvais reves.

Les matéphores possibles d'un tel récit sont multiples. On peut y voir une dimension religieuse, mais également une dimension sociale (thème du suicide et du rapport de l'individu à la collectivité) et politique. Ainsi, Thierry Guichard du matricule des anges, évoque une analogie avec le sort de la Yougoslavie ("Son analyse du comportement de la foule des poursuivants, la mécanique de la haine qu'il démonte sobrement, éclaireront ceux qui voudront voir dans ce roman l'annonce de la guerre qui a conduit la Yougoslavie au suicide")

Un très grand livre, excellente introduction à l'oeuvre de l'auteur.
Lien : http://lelabo.blogspot.com/2..
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De quelle aliénation sommes-nous les victimes ? Qui a commis la faute en premier : l'individu ou la société ? Sommes-nous tous, irrémédiablement, pourris ?


La thématique qui relie les quatre nouvelles de ce recueil ne m'a pas déçue mais la façon dont Branimir Scepanovic l'a traitée, si. Je n'aime pas ses personnages, fatigants et geignards. Ils ne donnent envie d'aimer rien ni personne, ils ne donnent pas envie non plus de s'énerver, et encore moins de rire. Ce qu'ils dénoncent semble évident, mais il faudrait qu'on leur fasse des courbettes pour les féliciter d'avoir eu des yeux.


Ces nouvelles tournent en rond, peut-être parce que Scepanovic, sans doute bien pris au piège dans son corps et dans sa tête, n'est jamais arrivé à sortir de son amertume. Allez, un jour ça viendra peut-être.
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« Il savait seulement que jamais il ne reverrait ces petits villages monténégrins où il avait connu jadis le bonheur et la souffrance, car, en cet instant, il plongeait ses regards en lui-même comme dans les profondeurs de la nuit et faisait, sans une larme, ses adieux au monde entier ».

Encore un nouvel élément dans ma moisson balkanique à la bibliothèque (sans l'avoir fait exprès, d'ailleurs).

Dans la montagne monténégrine, deux hommes en poursuivent un troisième. Récit court et rythmé, anxiogène et de plus en plus oppressant. Mené à deux voix, alternant celle du poursuivi, et celles des poursuivants, de plus en plus nombreux. Inexplicable poursuite évoquant quelque peu Mangez-le si vous voulez de Teulé, comme une parabole effrayante.

« Avions-nous, dans ces conditions, d'autre ressource que de le haïr ? Bien entendu, quand nous commençâmes à le haïr, nous ne doutions pas, tout d'abord, que ce sentiment puissant et merveilleux qui nous situait par rapport à lui, avait tout de suite effacé les différents motifs qui nous avaient jusque-là poussés à le poursuivre : nous fûmes soudain plus proches les uns des autres, presque identiques, nous nous ressemblions, jusque dans notre aspect extérieur : trempés de sueur, le visage crispé, courbés en avant, nous courions au même rythme et respirions du même souffle, comme une meute de chiens harassés qui ne puisent leur force que dans la fureur et la haine ».

Certes pas une lecture très guillerette. Mais ouaw ! qu'est-ce que c'est bien fait.
Lien : http://le-mange-livres.blogs..
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Deux narrateurs se partagent ce récit surprenant et qui met mal à l'aise le lecteur. le premier, en italique et raconté à la troisième personne, narre la fuite d'un homme qui se sait atteint d'une maladie incurable. S'interrogeant sur le sens de sa vie, il décide de sauter d'un train et de se laisser mourir en pleine nature. le deuxième récit entrelacé au premier, en romain et à la première personne, est celui d'un homme ordinaire et de son ami, partis pécher lorsqu'ils voient cet individu étrange et atterré. de là, de cette rencontre simple, naît une histoire tragique et incompréhensible.
Car le fuyard, d'abord interloqué devant la présence de deux hommes, décide brusquement de fuir : il fuit toute question, toute tentative de le faire revenir en arrière, vers la raison, et vers un espoir auquel il ne croit plus. Mais les deux hommes, le voyant courir de toutes ses forces, se décident à lui venir en aide en lui courant après, pour lui assurer leur soutien, leur compassion car ils comprennent à demi-mot le désespoir vécu. Ce que le fuyard ne comprend pas. La fuite se poursuit ; les deux hommes s'épuisent, s'agacent de cette course inutile, sans but, et en viennent à penser que cet homme qu'ils pourchassent est responsable de leur labeur. La course devient agressive, d'autant que des inconnus la rejoignent : un garde-chasse persuadé de reconnaître un criminel, des marcheurs persuadés que la poursuite est légitime.
Ce court roman, ou cette nouvelle plutôt, est terrible dans sa représentations des relations humaines, dans le désespoir d'un homme incompris, incapable de dire son désarroi et de ces poursuivants formant foule, tout juste bons à contraindre un individu qu'ils jugent étrange et donc forcément coupable, qu'ils ne comprennent pas et qu'ils accusent de leur incompréhension.
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
“le ciel semblait un chapiteau de cirque et flamboyait de couleurs bigarrées, violet, rouge, jaune, argent, et dans leur tourbillon, son oeil pénétrant pouvait reconnaître jusqu’aux couleurs inconcevables de l’oxygène, de l’azote, de l’hélium, tandis que son oreille perçante, soudée au sol brûlant, entendait au loin respirer la terre, comme une femme enceinte, de façon sourde et mystérieuse.”
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Toujours rampant, il fourrait dans sa bouche et avalait avec une avidité désespérée toutes les plantes médicinales qu’il parvenait à identifier, ou du moins qu’il croyait reconnaître […]. Il était heureux, car aux goûts qu’il percevait, il pouvait se convaincre qu’il ingérait, sous leur forme naturelle, de la coumarine et du tanin, de la saponine et d’autres glucosides, des composés du phénol, de la chlorophylle et des acides organiques, du mucus et des huiles essentielles, de l’arbutine, du sucre et bien d’autres substances chimiques encore inconnues, et il espérait que tout cela, dissous et mélangé par la salive, se combinerait pour donner une substance nouvelle et miraculeuse, qui le guérirait tout à fait.
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En cet instant merveilleux, tandis que, dévoré du désir de la mer, il aimait en réalité l’univers entier, parce qu’il lui appartenait et qu’il savait qu’il lui appartiendrait jusqu’à son dernier souffle, il ne se doutait même pas que ses pieds et ses chevilles lacérés laissaient derrière lui dans l’herbe foulée une trace de sang rougeâtre. Il n’avait plus mal aux yeux et n’éprouvait plus le besoin de leur faire écran avec sa main ; et dans l’espace ondoyant, dont les limites ne cessaient de s’élargir, il ne se sentait plus, comme avant, seul, sans défense et minuscule.



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Avions-nous, dans ces conditions, d’autre ressource que de le haïr ? Bien entendu, quand nous commençâmes à le haïr, nous ne doutions pas, tout d’abord, que ce sentiment puissant et merveilleux qui nous situait par rapport à lui, avait tout de suite effacé les différents motifs qui nous avaient jusque-là poussés à le poursuivre : nous fûmes soudain plus proches les uns des autres, presque identiques, nous nous ressemblions, jusque dans notre aspect extérieur : trempés de sueur, le visage crispé, courbés en avant, nous courions au même rythme et respirions du même souffle, comme une meute de chiens harassés qui ne puisent leur force que dans la fureur et la haine.
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Il savait seulement que jamais il ne reverrait ces petits villages monténégrins où il avait connu jadis le bonheur et la souffrance, car, en cet instant, il plongeait ses regards en lui-même comme dans les profondeurs de la nuit et faisait, sans une larme, ses adieux au monde entier.
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