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Agnès Dempster a grandi dans la riche ferme familiale, le Pré aux Nuages, à North Chittendon dans le Vermont. En cette fin de XIXème siècle où l'on méprise leur esprit, la vie des femmes est toute tracée : elles doivent accomplir leur destin biologique. Pour s'affranchir de cette malédiction féminine qu'ont subie avant elle sa grand-mère Euridyce et sa mère Helen, Agnès ne veut pas d'enfant, et pour ne pas s'engluer dans cette toile d'araignée domestico-maternelle, décide de tisser la propre étoffe de son existence. A 16 ans, après le décès d'Euridyce, son ange gardien excentrique, elle part vivre à Montpelier. Logée dans une pension de bonne réputation et engagée comme couturière-brodeuse, Agnès attire les hommes par sa beauté. Charlie Mondell la courtise. Il est tailleur de pierre, gentil garçon, d'une grande force physique, protecteur, bien intentionné mais elle n'a d'yeux que pour Frank Holt, ami et collègue de Charlie, beau et volage. Voilà Agnès prise au piège d'un amour entier, exclusif, dévorant, qui la prive rapidement de son libre-arbitre avant de sombrer dans l'obsession maladive : « Rien ne peut s'opposer à un amour si pur et si fort. Tout le reste n'est qu'illusion ». Elle est jalouse des statues que sculpte Frank, des chaises sur lesquelles il s'assied. Son exaltation délirante, la toute-puissance de sa passion aveugle conduit Agnès à l'âge de 19 ans et jusqu'à sa mort, à l'asile d'aliénés de Highbury, après un meurtre dont elle a été acquittée parce que reconnue folle, grâce au talent et à l'expérience de Maître Kingsley, son avocat. C'est Agnès elle-même qui raconte son histoire, sous la forme d'une courrier-confession adressé à Margaret Eckroyd, sa gardienne à l'asile, devenue son amie. Ces quelques lignes ne peuvent évidemment pas résumer les 778 pages du roman foisonnant de Susan Fromberg Schaeffer, paru en 1983 et réédité en 2011 par Belfond. Etiqueté par l'éditeur « roman culte qui a marqué des générations de lectrices », il serait dommage que Folie d'une femme séduite, soit perçu comme un roman « féminin-à-l'eau-de-rose » et rebute des lectrices et j'espère aussi, lecteurs, peu friands du genre nunuche. Car il s'agit d'un très grand roman d'une portée classique, à la thématique universelle, dont le style, l'ampleur, la puissance rivalisent avec ceux des soeurs Brontë. L'auteure a créé une héroïne attachante et poignante, dont le lecteur partage les souffrances, plongé dans les méandres de son esprit perturbé. S. Fromberg Schaeffer raconte avec minutie la condition des femmes à la fin du XIXème siècle, insiste sur le poids de l'histoire familiale, et lors des chapitres consacrés au procès d'Agnès ou à sa vie à l'asile, décrit les prémices de la psychiatrie. Dans les années 1900, étaient répertoriées la folie émotionnelle, la folie impulsive, la folie compulsive. Faute de reconnaître chez Agnès, aucune de ces formes de maladie mentale, le Docteur Train, qui a l'a expertisée et soignée, crée pour sa patiente, la folie de la femme séduite (p. 648), inconnue jusqu'alors, et qui donne son très beau titre au roman. Après cette lecture, l'expression : « Je suis folle de lui », prend tout son sens. Je laisse le dernier mot à Agnès : « Ne condamne pas les filles malades d'amour, car c'est à force d'aimer qu'elles sont malades » (p. 503) + Lire la suite |