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Judith Schalansky a bien choisi son endroit de naissance : Greifswald, à equidistance des 2 villes les plus grandes d'Allemagne, Berlin et Hambourg (et comme petit extra, à une heure de route de la frontière polonaise). C'est-à-dire en ex-Allemagne de l'est. Mais elle n'a pas dû trop souffrir de la redoutable Stasi, puisque la RDA a cessé d'exister lorsqu'elle était encore gamine, étant née en 1980. Fait remarquable, car unique, avec 4 ouvrages à son actif, elle a réussi à gagner 2 fois le Prix du plus beau livre d'Allemagne (Preis der Stiftung Buchkunst). D'abord avec son "Atlas des îles abandonnées", en 2009, et 3 ans plus tard avec "L'inconstance de l'espèce". Sa première oeuvre "Fraktur mon Amour" date de 2006 et sa seconde "Blau steht dir nicht" (Le bleu ne te va pas) de 2 ans plus tard. C'est grâce à son opus original des 50 îles désertiques que la jeune allemande s'est taillée une réputation mondiale : traduit en plus de 20 langues. Sur Babelio ce chef-d'oeuvre lui a valu 7 critiques favorables. "L'inconstance de l'espèce", montre sur la couverture des différentes traductions une girafe, car en VO l'ouvrage est intitulé "Der Hals der Giraffe" ou en français le cou de la girafe. Quel rapport ? Je pourrais répondre à la Sherlock Holmes par : mais voyons mon cher Watson, parce qu'il est question de beaucoup de biologie bien sûr. En effet, l'héroïne du roman, Inge Lohmark, est enseignante en biologie à la haute école Charles Darwin dans le Berlin de l'ancien paradis communiste qu' était la République démocratique allemande (RDA). Inge Lohmark croit fermement au principe darwinien de la survie du plus apte (survival of the fittest), ou en d'autres termes, la sélection naturelle. Pour elle l'aide aux faibles est vaine, ce qui résulte en un manque total d'empathie pour ses élèves moins doués. Je présume que beaucoup de professeurs seront scandalisés en lisant son monologue intérieur, elles et eux qui justement s'efforcent dans leur tâche quotidienne ét de motiver leurs élèves ét de venir au secours des élèves qui ont manifestement plus de difficultés à suivre. Sans vouloir entrer dans un domaine aussi délicat que celui de l'éducation, en tant que profane, je tiens tout de même à rassurer les professeurs bien intentionnés que par son procédé peut-être peu orthodoxe, Judith Schalansky a écrit, en fait, un petit manifeste anti-darwinien. Mais la Inge, elle, va loin dans son absence de sympathie pour ses élèves, elle va jusqu'à établir un tableau avec les "défauts" des 12 jeunes dont elle a la charge (pages 14 et 15). Il y a, bien entendu, son contexte spécifique : un mariage qui bat de l'aile, son unique fille Claudia qui l'a abandonné pour les avantages matériels aux États-Unis, un système politique en déclin, l'exode massif, la crainte de perdre son emploi au bout de 30 ans, etc. Bref, un scénario de "doom". Le roman est en même temps un plaisant cours de biologie : outre le phénomène de l'évolution de l'espèce, il donne des détails intéressants sur les particularités de certains animaux, telles les chauves-souris, les abeilles, les lézards ...ainsi que d'animaux ayant disparu comme les siréniens par exemple. L'ouvrage est agréablement illustré par des dessins de plusieurs espèces. Sur les 211 pages que compte le volume 32 pages sont des illustrations, certaines connues, d'autres originales. Comme d'autres lecteurs de Babelio, je trouve cet opus de Judith Schalansky fort réussi. Je n'irai pas à le qualifier de "brillant", mais presque. Pour cela les divagations d'Inge Lohmark sur ses élèves m'ont probablement un peu trop déplu ? En revanche, la conception et la construction de son oeuvre sont exceptionnelles. J'ai aussi apprécié ses phrases très courtes, mais singulièrement efficaces et son sens d'humour parfois sarcastique. En version originale l'ouvrage porte le sous-titre de "Bildungsroman", ou roman de formation/éducation d'après l'illustre exemple de Wolfgang Goethe avec son chef-d'oeuvre "Les Souffrances du jeune Werther". En fait, c'est tout le contraire : car Inge Lohmark ne fait que s'ajuster, de façon minimale, à son contexte, sans vraiment s'adapter à la réalité environnante. Elle est donc loin du talent d'adaptation de la girafe au long cou, qui, pour manger ses feuilles d'acacia préférées au sommet des arbres de la savane africaine, peut arriver jusqu'à une hauteur de 6 mètres. + Lire la suite |