Il y a plein de beaux et bons livres qui paraissent sans cesse, mais s'il fallait en retenir un tout particulièrement (ou pour l'instant) alors cela serait probablement Martin, de Bertrand Schefer. J'y ai retrouvé cette fausse simplicité que j'avais apprécié dans l'un de ses précédents livres, Cérémonie. Une écriture dite "plate", qui ne l'est pas, évidement, mais dont la forme - sobre -, sert en définitive le fond. Il ne lui faut pas plus de quatre-vingt pages pour dresser le magnifique et tragique portrait d'une amitié de jeunesse que le temps a usé jusqu'à la moelle et que les trajectoires différentes font qu'elle se perd de vue jusqu'à devenir même un produit de pure fiction. Mais cela serait trop bête ici de divulgacher l'histoire et l'enjeu de ce livre qui est profondément émouvant ; qui n'a pas, un jour, voyant au loin une très ancienne connaissance - ou même ce qu'on dénommait "ami" par le passé -, changé de trottoir ou simulé ne pas reconnaître la personne, par peur d'un silence embarrassant, à cause de cet inévitable éloignement, du temps qui a passé et que l'on ne compte plus en année mais en décennie. Et c'est justement ce dont traite Martin, où le narrateur du livre ne veut pas ternir un passé idéalisé, voir fonctionnalisé (par l'écrit et le cinéma), par un présent et un réel par trop décevant. Il n'y aura pas de rencontres ni de retrouvailles, mais que des non-évènements, des non-rencontres et autant de non-retrouvailles... Ce livre sonne juste, c'est chose rare, et l'effet est proche de celui que m'avait procuré par exemple la lecture de Suicide d'Édouard Levé, ou celle de Ce que j'appelle oubli de Laurent Mauvignier, c'est dire (trop, peut-être... mais aussi pas assez tant ce livre est fort).
Martin est une petite pastille d'émotion mélancolique où le fantôme d'un vivant hante la vie du narrateur,.
Martin a accompagné l'enfance puis l'adolescence de, on peut le supposer, Bertrand Schefer. Voisins, amis, camarades de classe, ils ne se sont guère quitter durant une quinzaine d'années, partageant loisirs et découvertes. Cette amitié, aucunement sexuelle, s'est arrêtée avec l'âge adulte. Les routes ont divergé avec le passage aux études supérieures.
Martin va pourtant hanter la vie de Bertrand.
Martin a quelque chose d'Arthur Rimbaud mais sans sa production littéraire. Il semble zoner, poursuivant un idéal un peu anarcho révolutionnaire. Les deux hommes se croisent parfois au fil des années.
Martin survit, sdf illuminé, sombrant dans une solitude à rendre fou. Les lieux déserts mais aussi les asiles psychiatriques marquent autant l'homme que son physique. A chaque nouvelle rencontre, le délabrement s'accentue. Pour Bertrand, et quelques autres connaissances, l'impuissance à aider Martin commencent à les hanter, mélange de culpabilité et de pitié.
Martin devient donc au fil des années la figure fantomatique d'une chute inéluctable, l'innocence déchue d'un passé de plus en plus morcelé, le héros de productions cinématographiques où la sincérité n'a pourtant aucun effet pour apaiser le remord.
Martin devient de pages en pages le témoin d'un passé qui s'estompe.
Un peu plus sur le blog
Très beau roman. Martin est l'ami que l'on a tous, faut-il le sauver malgré lui ? le suivre dans ses délires, ses projets de poète fou ? L'oublier pour se construire une vie "normale", dans les clous ? Bertrand Schefer tente de répondre à ces questions en rendant aussi hommage à cette amitié perdue, entre Martin et lui, cette amitié de l'enfance ou les différences ne se dessinent pas encore, où on est égaux. On marche avec l'auteur dans Paris en proie aux doutes, à la recherche nostalgique des moments perdus, partagés avec son ami, sa famille.
Vite lu, vite oublié…
"Je n'ai pas voulu voir qu'il fallait passer à autre chose, je me suis accroché à la jeunesse qui s'enfuyait, que Martin avant figée dans son refus et son déni de tout, et tout est parti en miettes en m'explosant à la figure, parce que celui qui refusait de s'engager et de bouger se détruisait finalement plus vite que nous. Et maintenant j'avais pris sa place, un jour comme celui-ci : j'avais dans les yeux de sa mère dit adieu pour lui à son père. Lui pas revu depuis dix ans ou quinze peut-être, mais avant cela pas revu ce qu'on appelle vraiment depuis vingt ans, lui dont j'avais parlé aux uns et aux autres, des semaines, des mois, des années, dans le secret et en public, dont j'avais ravivé le souvenir chez nos anciens camarades acteurs, dans le contexte brutal et indifférent du cinéma, où tout devient un jour ou l'autre instrument de promotion et de réussite, lui errant sans rien peut-être mort ou fou sans retour, Rimbaud blasé sans œuvre, sur les routes, ailleurs, aura servi de ressort à cette comédie dont je dois maintenant supporter l'échec."
C'est en 1975 ou 1976, j'ai trois ans. Je rentre à l'école. Mes parents, qui vivent séparés depuis plusieurs années, ont officiellement divorcé. Mon fère doit avoir onze ans. Les souvenirs de ce temps sont vagues. Déjà, j'ai l'impression de vivre seul avec ma mère.
Quand je compte sur mes doigts, ce
ne sont plus les années qui défilent, mais
les décennies. Bientôt la quarantaine.
p.37
Quel livre n'a pas été écrit par Meg Cabot?