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Aurélien Berlan (Traducteur)
EAN : 9782021445602
624 pages
Seuil (01/10/2020)
4.63/5   46 notes
Résumé :
Énorme succès à l'étranger, ce livre haletant nous offre enfin la clé de compréhension des désastres climatiques, écologiques, pandémiques et économiques contemporains.
Accuser Sapiens, un humain indifférencié et fautif depuis toujours, est une imposture. Notre histoire est sociale : c'est celle des structures de domination nées il y a cinq mille ans, et renforcées depuis cinq siècles de capitalisme, qui ont constitué un engrenage destructeur de la Terre et ... >Voir plus
Que lire après La fin de la mégamachineVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
L'histoire est une entreprise politique ! Si vous en doutez encore, il est temps de lire l'ouvrage de Fabian Scheidler.
Puisant aux sources des sciences humaines, de l'anthropologie autant que de l'économie, de la sociologie autant que de l'histoire des technologies ou de la philosophie, Scheidler entreprend de déconstruire le roman officiel du mythe occidental et son cortèges de propagande idéologique. Il livre un combat contre les fausses valeurs (le progrès, le développement, la croissance, la démocratie) qui fondent nos sociétés prétendument libres et développées depuis au moins le XVIe siècle ; et il nous offre un grand livre de science politique, un des meilleurs que l'on puisse lire, un livre qui permet de comprendre réellement le système monde (Wallerstein). Empruntant plus encore à Mumford le concept de mégamachine pour désigner l'ordre social qui asservit la plus grande part des hommes et détruit la planète au profit d'un petit nombre d'individus arrogants et stupides, il éclaire ainsi la logique à l'oeuvre depuis la composition des États militarisés.
Dans une langue très accessible et en un récit passionnant, il s'assume radical et va à la racine du mal, de notre monde tel qu'il ne va pas, de notre civilisation telle qu'elle nous mène à la perte, de nos erreurs que nous maquillons en grandeur, de notre déraison que nous arborons en rationalité. Sous nos yeux d'enfants de l'ère numérique qui avons oublié le temps, pourtant pas si lointain, de l'argentique, par le mariage heureux d'une mise en lumière savante et de ses émulsions cristallines, il développe la photographie nette et précise de l'ordre de choses et, en négatif, nous aide à saisir ce qui sera précisément à l'ordre de son effondrement.
C'est, à coup sûr, l'un des livres les plus importants, l'un des plus enthousiasmants aussi, parce qu'ô combien éclairant, que j'ai lus.
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Malgré la démonstration implacable et à bien des égards désespérante, Fabian Scheidler offre avec cet ouvrage une lecture effectivement enthousiasmante. Cela pourrait sembler être un paradoxe, mais nous avons si peu l'occasion de nous confronter à la fois au réel dans toute sa nudité, et à une vision aussi alternative qu'intelligente du "système-monde" (terme repris des ouvrages d'Immanuel Wallerstein), qu'on tourne les pages, avide d'aller au bout de la mécanique de la mégamachine telle que décortiquée par l'auteur.

En effet, au-delà du constat le propos permet de se réapproprier l'histoire, d'en écouter un autre récit, et par là-même, de sortir de l'impuissance en libérant aussi bien la révolte que l'imagination. Si l'avenir est imprévisible, nous pouvons donc encore donner tort aux prophètes de l'Apocalypse, aux tenants de la destruction créatrice, aux fous furieux qui prétendent nous gouverner de façon rationnelle et pour notre bien selon des logiques aussi absurdes que morbides. Chacun de nos choix peut compter.

Il est difficile de résumer cet ouvrage qui balaye l'histoire de l'humanité du néolithique à nos jours, mais on prêtera une attention particulière aux "quatre tyrannies" qui sont analysées aux premières pages, et qui innervent tout le récit : le pouvoir physique, la violence structurelle, le pouvoir idéologique et la pensée linéaire (ou l'idée que le monde obéit à des lois de cause à effets qui peuvent être calculées). Ces quatre tyrannies qui ont perduré depuis au moins cinq mille ans sont à l'origine de souffrances innombrables jusqu'à la crise peut-être ultime que nous sommes en train de vivre. S'en libérer est un enjeu crucial si nous voulons imaginer un avenir, aussi bien pour l'humanité que pour une planète vivante.

La postface, en analysant les événements depuis le début de pandémie du Covid 19 atténue les quelques espoirs dessinés au chapitre des Possibilités. Cependant, elle n'en fait ressentir que plus profondément l'urgence d'un changement de paradigme.
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La fin de la megamachine
Sur les traces d'une civilisation en voie d'effondrement

de Fabian Scheidler
Editions Anthropocène Seuil 2020, publié en Allemagne en 2015

Fabien Scheidler, l'auteur est philosophe et dramaturge allemand .
C'est en humaniste qu'il cherche à comprendre comment notre civilisation qui, dans le monde entier se présente comme porteuse de raison et de progrès, n'est pas capable de changer de cap pour abandonner une voie manifestement suicidaire, créant les moyens de sa propre destruction .
Sans prétendre à une histoire universelle, il a sélectionné le matériel historique et le cadre géographique de l'analyse :
la préhistoire en Mésopotamie et Méditerranée,
et l'expansion du « système monde »moderne de l'Europe vers le reste du monde .
Le livre se divise en 2 parties portant d'abord sur
- les 5 premiers millénaires
- puis les 500 dernières années


Le terme « mégamachine » est emprunté à l'historien Lewis Munford (1895-1990) pour nommer cette forme d'organisation sociale qui, prenant appui sur 3 principaux piliers: militaire , étatique , économique, dans la perspective d'une accumulation sans fin du capital, semble fonctionner comme une machine et dans lequel les être humains ne seraient que les rouages .

Le point de vue de l'auteur se décentre de l'histoire officielle , celle souvent racontée par les vainqueurs .
Une version standard c'est le mythe de la civilisation occidentale qui a conduit malgré les obstacles et revers plus de bien-être et de paix , de savoir , de culture et de liberté, les guerres et les génocides sont vus comme des dérapages , des effets secondaires non voulus d'un processus de civilisation qui a été positif.
L'auteur démontre que les inégalités sociales , les dégâts environnementaux ont des causes plus profonde que le néolibéralisme qui est l'aspect plus récent d'un système plus ancien fondé sur le pillage, système qui avec une force d'expansion inédite a atteint désormais ces limites . Les dérapages ne sont pas secondaires mais consubstantiels à cette forme d'organisation sociale.L'économie monétaire ne serait pas née du libre échange mais de la logique de la guerre et de l'esclavage
Notre histoire est une histoire sociale dans laquelle il identifie quatre tyrannies structurantes et liées entre elles :
- la violence physique,
- la puissance économique ,
- l' hégémonie idéologique,
- une pensée linéaire appliquée au système vivant, l idée que l'on puisse maitriser le système de la terre
qui font obstacle à l'exercice d'une véritable démocratie .

Avant un épilogue qui évoque l'ombre de l'hydre : les pandémies et les limites de l'expansion, la dernière partie du livre est une ouverture vers des possibilités , elles se nourrissent du retour sur cette histoire sociale .Sortir de la mégamachine et ainsi de la logique capitaliste d'accumulation sans fin est inextricablement lié à la question de l'auto-organisation démocratique.

La fin de la Mégamachine est un livre dense, structuré en chapitres et sous chapitres ce qui en facilite la lecture .
Les événements décrits sont particulièrement documentés, on apprend beaucoup et avec un vif interêt dans ce bond en arrière au coeur de notre histoire .
Une importante bibliographie organisée par chapitre, une chronologie détaillée des faits importants survenus aux époques évoquées, mais également des notes nombreuses et précises permettent d'approfondir le propos et rendent cet ouvrage très riche.

Comme je l'ai lu dans des commentaires, on aimerait que ce livre soit étudié à l'école .
En attendant je le recommande vivement !
Lisez le,
Offrez le .
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Voilà un livre que je conseille de lire plus que tout autre.
C'est une étude qui nous explique pourquoi notre modèle de société est voué à s'écrouler. Alors non, ce n'est pas un ouvrage farfelu, il est même très bien construit, et l'auteur a fait un boulot de dingue, puisque nous passons par à peu près toutes les époques traversées par l'homme. La politique y est décortiquée, la religion, les guerres, les maladies, les problèmes liés au climat également. Lorsque vous aurez finit ce livre, il y a de grande chance que le monde dans lequel nous évoluons aujourd'hui vous paraisse plus limpide.
N'hésitez pas, foncez, vous ne serez pas déçu.
C'est vraiment un gros coup de coeur pour moi.
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Ce livre est une somme qui nous aide à comprendre le déclin de notre civilisation. Il aborde tous les domaines de la société actuelle et explique pourquoi et comment nous en sommes arrivés là, en remontant à l'époque qui est désignée sous le terme de Renaissance.
Esclavagisme, colonisation, extractivisme, militarisation, église autrefois, médias aujourd'hui au service des puissants de ce monde bien imparfait et inégalitaire, la mégamachine nous conduit droit dans le mur mais il n'est pas question de changer quoique ce soit ni de dévier de cette route mortifère jusqu'à épuisement des ressources dont s'emparent déjà les plus riches.
Cet essai est passionnant, bien documenté mais je l'ai lu le soir avant de m'endormir, sans prendre beaucoup de notes.
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critiques presse (2)
LaViedesIdees
28 juillet 2021
Des forces politiques, techniques et économiques détruisent la Terre et l’humanité. Nées il y a cinq mille ans, elles se sont renforcées depuis cinq siècles avec le système-monde capitaliste. Ce récit des origines que propose Fabian Scheidler aide-t-il à échapper à l’engrenage ?
Lire la critique sur le site : LaViedesIdees
Bibliobs
19 octobre 2020
Dans « La fin de la mégamachine », l'auteur allemand Fabian Scheidler éclaire autrement les coulisses historiques de la modernité, des mines d'argent de Bolivie à la chasse aux sorcières.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
L’État autoritaire ne fut pas la seule institution monstrueuse créée au début des Temps modernes. Aussi puissante que lui, si ce n’est même plus, et tout aussi monstrueuse, est une deuxième institution, étroitement liée à lui : la société anonyme.

Une société anonyme est, à la considérer de près, une construction très singulière. Sur le plan du droit, c’est une « personne juridique » et même, aux États-Unis, une « personne morale » dotée de tous les droits constitutionnels dont seules les « personnes naturelles » jouissent sinon. A la différence d’autres personnes juridiques comme les associations ou les corporations, son unique finalité est d’augmenter la richesse des actionnaires. Comme la société anonyme ne saurait mourir comme les personnes naturelles, elle peut en principe exister éternellement. Elle est donc quelque chose comme une machine – une machine avec des propriétés anthropomorphiques – dont le seul but est l’accumulation sans fin d’argent. Certes, les engrenages et les rouages de ce gigantesque cyborg sont en majeure partie faits d’humains, mais ces humains sont complètement concentrés sur la fonction qu’ils exercent au service du but suprême de la machine. S’ils ne servent pas ce but, la machine les jette dehors.

C’est sur ce principe que les institutions les plus puissantes du monde sont construites. Financièrement, elles sont plus solides que la plupart des États. Bien qu’elles puissent aussi entrer en conflit avec les gouvernements, elles sont pourtant leur produit : car seuls les États et les gouvernements peuvent édifier, garantir et imposer les constructions juridiques complexes qui sont nécessaires à leur existence et même, en fait, les constituent. Leur programme génétique les pousse à grossir toujours plus, car l’argent accumulé doit être à nouveau multiplié. Elles sillonnent terres et mers en quête de nouveaux placements. L’arctique est-il en train de fondre en raison des gaz à effet de serre qu’elles engendrent ? Ce n’est pas une raison pour s’arrêter, mais l’occasion de forer aussi en arctique à la recherche de pétrole. Ce qu’elles produisent – voitures et médicaments, sucettes et fusils mitrailleurs, aliments pour animaux et électricité – sont seulement des moyens interchangeables pour atteindre le but qui est vraiment le leur, l’accumulation d’argent. Si les besoins sont couverts, qu’à cela ne tienne : elles créent de nouveaux besoins. Voilà pourquoi il est indispensable à leur fonctionnement que les citoyens soient transformés en consommateurs dont la contribution essentielle à la vie sociale est d’acheter leurs produits, si absurdes, superflus ou nuisibles soient-ils. Leur logique fait que les questions sur le sens et le but de nos activités économiques, celles de savoir de quoi les humains ont vraiment besoin et comment ils veulent vivre, n’ont pas droit de cité. Mais bien que le but des sociétés anonymes soit abstrait, leur input doit être concret, car elles ont besoin d’énergie et de matière à transformer en produits qui seront échangés contre de l’argent. Ces entités artificielles et immortelles se nourrissent ainsi de la réalité pour la transformer en pure abstraction : en une série de chiffres sur le numéro de compte de leurs actionnaires.

En 1602 est fondée la Compagnie néerlandaise des Indes orientales : c’est la première société anonyme au sens actuel. Elle obtient de l’État néerlandais un monopole commercial dans tout le secteur des océans indien et pacifique. Pour faire négoce de ses actions, la première bourse des valeurs du monde, longtemps la plus importante, fut créée peu de temps après à Amsterdam. Dans la mesure où les titres de propriété pouvaient être librement négociés, cela rendait leur propriété fluide et abstraite, découplée des personnes et des lieux. A la différence des sociétés commerciales qui avaient jusque-là existé, la Compagnie avait en principe une durée de vie illimitée. Elle fut en outre la première société à limiter la responsabilité des actionnaires à la valeur de leur action. Cette innovation semble aller de soi aujourd’hui, mais c’était en fait une monstruosité. Pour la première fois dans l’histoire économique, les investisseurs eurent un droit formellement reconnu de ne pas garantir avec leur fortune les pertes et les nuisances provoquées par la Compagnie. Inversement, ils avaient à peine voix au chapitre en ce qui concerne les décisions de l’entreprise ; c’est aussi la raison pour laquelle ils n’étaient pas responsables pénalement des crimes qu’elle commettait. Ils recevaient simplement les dividendes qui leurs étaient garantis et n’avaient sinon rien à voir avec elle.

La Compagnie poussa ainsi à son terme le processus de désencastrement de l’économie hors du ménage (en grec : oikos)6. Elle était libérée de tout lien aux êtres humains, aux lieux et aux relations sociales réelles, ainsi que de toute responsabilité humaine. Autrement dit, elle devint une sorte d’entité métaphysique, immortelle comme les anges, et comme eux dénuée de tout ancrage spatial.

La puissance économique de cet être non terrestre n’aurait pas pu, cependant, être imposée sans le recours massif à la violence physique. Dès sa fondation, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales avait obtenu le droit de constituer sa propre armée avec des soldats qui devaient lui prêter serment de fidélité. Au cours du xviie siècle, la Compagnie anglaise des Indes orientales obtint elle aussi peu à peu les droits de lever des troupes et de mener des guerres à sa guise, de battre sa propre monnaie et d’exercer la pleine juridiction, sur le plan pénal comme sur le plan civil, « sur toutes les personnes appartenant à ladite compagnie ou relevant de son ressort ». Les compagnies de commerce étaient donc des formations simili-étatiques avec des territoires flottants. Elles étaient régies par un gouverneur chargé de commander non seulement à ses employés, mais aussi à tous les êtres humains vivant dans les colonies conquises par la compagnie. Dans ces firmes, les tyrannies économiques et militaires étaient réunies dans les mêmes mains. […]
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La machinerie de l’accumulation sans fin d’argent a besoin, pour fonctionner, d’un approvisionnement toujours croissant en énergie et en matières premières qui, à l’autre bout de la chaîne, entraîne une production de déchets et de gaz à effet de serre qui augmente elle aussi à toute vitesse. Le lien entre croissance économique et destruction de la planète est tellement évident qu’il suffit juste de nos cinq sens pour le saisir. En outre, la fin du pétrole bon marché (le « pic pétrolier ») et la raréfaction prévisible de matières premières stratégiques comme le cuivre et l’uranium posent à l’expansion continue des limites énergétiques et matérielles7.

Face à ce constat, on ne cesse d’objecter que la consommation de ressources et la croissance monétaire seraient deux choses différentes ; que jusqu’à présent, il n’y aurait eu qu’une sorte de fausse croissance et que nous aurions besoin à présent d’une autre croissance, « verte » et « soutenable ». Le « découplage », voilà la formule magique. Cela signifie que nous pouvons certes continuer à accumuler plus d’argent, mais que nous consommons toujours moins de ressource par euro gagné. De fait, le découplage est déjà en route dans tous les pays industrialisés depuis des siècles, pour la simple et bonne raison que les entreprises ont intérêt à réduire leurs coûts d’approvisionnement et donc aussi à économiser les ressources. Toutefois, la logique de la mégamachine veut que les entreprises ne fassent pas disparaître l’argent économisé dans un bas de laine, mais le réinvestissent selon une dynamique d’élargissement de la production (ou de la spéculation), tandis que les consommateurs peuvent, pour chaque euro épargné, acheter plus ailleurs – un phénomène connu sous le nom d’effet rebond. Même celui qui ne consume pas tout son argent, mais le place à la banque, le réinvestit dans le circuit économique puisque la banque « travaille » avec. L’idée de découplage et d’emploi efficace des ressources se révèle ainsi absurde.

Toute société humaine, y compris son économie, est un sous-système de la planète Terre. Elle vit des échanges matériels de ce système d’ordre supérieur, de sa capacité à mettre à disposition de l’eau, de l’air respirable, de la nourriture, des minéraux et des conditions météorologiques un tant soit peu stables8. La Terre peut très bien se débrouiller sans sociétés ni économies humaines, mais ces sociétés et ces économies ne peuvent pas une fraction de seconde exister sans le système vivant ultra complexe qu’est la Terre. Si le système d’ordre supérieur s’effondre, le sous-système périt aussi. Pour cette simple raison, l’idée que l’économie et la technique humaines puissent dominer la nature est absurde. Un sous-système ne peut jamais contrôler le système d’ordre supérieur dont il dépend.

Un sous-système ne peut pas non plus grandir indéfiniment au sein d’un système d’ordre supérieur. S’il dépasse certains seuils critiques, le système d’ordre supérieur ne peut plus assurer certaines fonctions, ce qui en retour nuit à l’approvisionnement du sous-système. Bien des sociétés ont déjà été contraintes de faire ces expériences, depuis les habitants de l’île de Pâques qui ont abattu leurs forêts jusqu’au dernier arbre jusqu’aux Mayas et aux Vikings9. Mais l’effondrement de ces civilisations était toujours local. En revanche, avec la monstrueuse force d’expansion et de destruction de la mégamachine qui embrasse la Terre entière, nous avons entre temps atteint des seuils globaux qui touchent presque tous les systèmes importants pour la vie humaine : les sols, les forêts, les mers, le climat, la biodiversité et le cycle de l’eau. […]Face aux crises combinées des systèmes sociaux et écologiques à l’échelle planétaire, les stratèges en sécurité et les think tanks internationaux explorent depuis quelques années, de manière obsessionnelle, divers scénarios de fin du monde, dans l’espoir de trouver des voies pour pouvoir encore contrôler le système. Ils n’ont pas encore compris que l’ère du contrôle est révolue. Le fantasme d’un management global du système – d’une « gouvernance globale » – s’effondre sous nos yeux et cède dans la panique à des mesures ad hoc : ici une entreprise militaire contre les « rebelles » et les « terroristes », là-bas le sauvetage des banques zombies ; ici, l’annonce jubilatoire de la découverte d’une nouvelle nappe de pétrole dans l’arctique dont les glaces ne cessent de fondre, là-bas un plan abscons de géo-ingénierie sorti du cabinet du docteur Folamour. La grande machine se précipite peu à peu dans le mur et ses pilotes jouent à l’aveuglette sur divers régulateurs, ce par quoi ils ne font au final qu’empirer la situation. Car les seuls dispositifs qui pourraient maintenant nous être d’une aide quelconque n’ont jamais été installés : un frein et une marche arrière.
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Dans cette histoire, la question de la démocratie joue un rôle central. Car la logique intrinsèque de la mégamachine est fondamentalement incompatible, telle est la thèse du neuvième chapitre, avec la démocratie véritable, au sens de l’auto-organisation ; c’est pour cette raison qu’elle n’a jusqu’à présent permis que des formes limitées de participation au processus de décision politique. La quête de formes de démocratie allant au-delà de ces limitations est donc une question clé, systémique, dont on peut suivre les traces depuis les révolutions européennes jusqu’à nos jours, en passant par les luttes de libération dans les colonies et la « révolution mondiale de 1968 » (chapitre dix). Sortir de la mégamachine et ainsi de la logique capitaliste d’accumulation sans fin est inextricablement lié à la question de l’auto-organisation démocratique (chapitre onze).
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Mais de quel droit prétendre, au fond, que nous avons affaire à un système global et non à une simple juxtaposition d’institutions, d’idéologies et de pratiques ? Un système est plus que la somme de ses parties, c’est une structure fonctionnelle dans laquelle tous les éléments sont interdépendants, aucun ne pouvant exister sans les autres. Il est évident qu’il y a quelque chose comme un système financier mondial, un système global de l’énergie ainsi qu’un système international de la division du travail, et que ces systèmes sont étroitement articulés. Toutefois, ces structures économiques ne peuvent fonctionner de manière autonome. Elles supposent l’existence d’États en mesure de faire valoir certains droits de propriété, de disposer d’infrastructures, de défendre militairement les voies commerciales, d’amortir les pertes économiques et de garder le contrôle sur les résistances suscitées par les injustices du système. Comme nous le verrons, les États militarisés et les marchés ne constituent pas deux pôles antagonistes. Au contraire, ils se sont développés de manière conjointe et restent jusqu’à aujourd’hui inextricablement imbriqués. On se plaît à opposer l’État au « libre marché », mais cette opposition est une fiction qui n’a rien à voir avec la réalité historique.
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Du fait de la militarisation croissante des principaux accès à l'Union européenne, les demandeurs d'asile sont refoulés sur des voies de plus en plus dangereuses, ce qui fait que des dizaines de milliers de réfugiés sont déjà morts noyés en Méditerranée. Afin que les migrants n'atteignent même plus les frontières de l'Union, cette dernière soutient fortement la création, dans des pays comme la Libye, le Tchad et la Turquie, de camps où les réfugiés sont enfermés dans des conditions inhumaines. Et c'est ainsi que les États qui ne cessent de se réclamer des glorieuses " valeurs occidentales " orchestrent la création d'un nouvel archipel du goulag.
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Vidéo de Fabian Scheidler
Fabian Scheidler est l'auteur de "La Fin de la mégamachine" publié aux éditions du Seuil, un ouvrage dans lequel il tente de trouver la clé de compréhension des désastres climatiques, écologiques, pandémiques et économiques contemporains. Pour en savoir plus : https://www.seuil.com/ouvrage/la-fin-de-la-megamachine-fabian-scheidler/9782021445602 Et : https://www.megamachine.fr/
Vidéo réalisée par KontextTV.
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