L'auteur du délit est
Ferdinand von Schirach, avocat de la défense à Berlin.
Fort de son expérience du barreau, des affaires criminelles et des sombres méandres de l'esprit humain, il a échafaudé le «
Crimes » parfait, un recueil de onze histoires criminelles inspirées ou tirées de son vécu par lesquelles il nous propulse avec préméditation dans le petit théâtre du sordide où se joue chaque jour l'humaine tragédie.
Semant les indices de la culpabilité tout autant que du doute, laissant les empreintes de la faute, de la démence et de la peur sur chaque scène de crime, cultivant l'art du faux semblant, l'auteur, avec ce premier ouvrage, dissémine les preuves comme autant de pièces à charge ou à décharge et verse aux dossiers des éléments qui introduisent questionnement et trouble dans l'esprit du lecteur.
Car si tous les acteurs des drames qui se déroulent dans «
Crimes » sont bel et bien
coupables, combien d'entre eux sont foncièrement condamnables dans l'intention préméditée de faire le mal pour le mal ? Combien sont-ils à n'être animés que du seul désir morbide d'ôter la vie ?
C'est la problématique que soulève
Ferdinand von Schirach dans le traitement de ces dossiers criminels.
Le narrateur, avocat de la défense des personnes incriminées, est le fil délicat qui relie et fait le lien entre toutes les affaires. Sorte de double de l'auteur, c'est par lui que le lecteur pénètre dans une dimension à la fois terriblement ordinaire et épouvantable, où l'atrocité et la monstruosité côtoient indubitablement les sentiments les plus humains :
Ce médecin qui, pour ne pas rompre le serment de mariage, se laisse humilier pendant cinquante ans par une épouse ignominieuse puis finit par la tuer à coups de hache…
Cette jeune violoncelliste qui tue son frère gravement accidenté, paralysé à vie, amnésique, à jamais déficient…
Ce jeune homme qui veut protéger sa fiancée prostituée et découpe un de ses clients, mort accidentellement pendant l'une de ses prestations…
Ce cambrioleur qui commet des hold-up afin de pouvoir rejoindre sa famille en Afrique…
Gestes fatals, actes horribles guidés par l'amour, la passion, le désespoir, la légitime défense, la folie…mais qui révèlent et relèvent presque toujours de sentiments humains même si poussés à leur paroxysme.
L'auteur amène les faits avec une grande impartialité, se bornant à les raconter sobrement, cliniquement, avec la distance qui sied aux procédures judiciaires, en soulevant telle ou telle question de droit ou de légitimité, en examinant la recevabilité des accusations et des charges, en évitant la justification des actes tout en attirant néanmoins l'attention sur le cadre personnel, la psychologie et le faisceau d'évènements qui ont conduit les personnages à basculer dans l'horreur.
On se rend compte alors que, dans la plupart des cas, seuls de malheureux concours de circonstances ou un enchevêtrement dramatique des faits ont poussé les inculpés à commettre l'acte décisif, fatal, répréhensible, et qu'aucun n'est véritablement le monstre que l'on voudrait qu'il soit pour pouvoir le juger avec facilité et sans états d'âme.
Mais nul n'est jamais tout blanc ou tout noir, toutes ces personnes restent indiscutablement humaines. Là est la difficulté d'émettre un jugement décisif à leur encontre.
Aucune d'entre elles ne pensait tuer un jour mais…c'est ce « mais » que l'auteur, en bon avocat, désigne et qui retentit au fond de nous, ce « mais » qui renvoie à chacun d'entre nous avec ses peurs, ses obsessions, ses névroses, et qui ne met personne à l'abri d'être un jour confronté à l'abîme qui est en lui.
Au terme de la lecture on pourra méditer ainsi à loisir cet aphorisme de
Georg Büchner « chaque homme est un abîme, on a le vertige quand on s'y penche dessus ».