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Critique de Ambages


« J'ai compris un beau jour que l'homme n'appartient qu'à lui-même. »

Petite à l'école je mettais au centre d'un disque une attache parisienne et coloriais à partir du centre des triangles vert rouge bleu pour faire une toupie. Quand elle tournait, avec de la chance si l'attache était bien positionnée, les couleurs se fondaient pour disparaître au profit d'un blanc, incroyable. On ne voyait plus rien des triangles colorés qu'on avait mis tant de patience à colorier sans déborder... tristesse et surprise d'une expérience éblouissante. le blanc !

J'ai associé les chapitres de ce roman à cette toupie, qui virevolte pour nous rendre aveugles. Tout est jeu de couleurs. Ici le personnage principal, Sébastian von Eschburg dès son enfance comprend et ressent au travers des couleurs qu'il associe à un sentiment, à une personne ou aux lettres de l'alphabet « le A était d'un rouge aussi vif que le cardigan de l'institutrice (...) le B était bien plus volatil et léger, il était jaune et avait l'odeur des champs de colza ») mais « lorsqu'il fermait les yeux, tout en lui se confondait en une couleur indéfinissable. » C'était son refuge, « le monde coloré qui peuplait son esprit. »

« Le cimetière du village. J'aime les portraits émaillés des défunts. Ils sont la vie même. »

Traumatisé dans son enfance notamment à la suite de la perte de son père, il développe cette faculté visuelle et devient photographe, pour créer son langage. Il rencontre Sofia. « Elle est la première femme avec qui la vie me semble possible, se disait-il. Avec elle tout serait envisageable, la solitude et le silence. » On devine un personnage qui reste marqué. « Elle était pleine de vie ; il demeurait étranger à lui-même. » Sofia s'interrogeait « je crois que c'était la perte, sa solitude. » Avec elle, il progresse encore dans son art, elle lui fait découvrir les peintures de Goya lors d'un voyage en Espagne : La Maja nue et La Maja vêtue. le photographe reprend haleine et se lance dans de nouvelles oeuvres. Mais « la beauté n'est pas la vérité. »

Survint alors le drame. Sébastian est emprisonné, suspecté de meurtre car du sang est retrouvé dans son atelier. Il choisit un avocat réputé ayant un tempérament bien affirmé, considérant que « la vérité se distingue tout à fait de la réalité, comme le droit se distingue de la morale » et doté d'un esprit curieux « plus une question est cruciale, moins elle m'intéresse. »
L'avocat va devoir démêler cette affaire de meurtre dont est accusé von Eschburg devant la cour.

« Chaque procès tient en partie de la pièce de théâtre, non ? »

J'ai beaucoup apprécié ce roman qui parle d'art. Jusqu'où un artiste est-il capable d'aller ? Évidemment j'ai repensé à Clara et la pénombre de Somoza. Les descriptions de la tristesse de l'enfant von Eschburg, issu d'une vieille famille aristocrate ruinée, sont bien rendues « le manoir au bord du lac n'existait plus et les jours lumineux s'étaient enfuis ». J'ai apprécié ce personnage qui semble perdu « Il voulait lui dire que la réalité était plus véloce que lui, qu'il n'arrivait pas à la suivre. Les choses se passaient et il n'en était qu'un simple spectateur. » L'auteur a une écriture très agréable.

Toutefois, je reconnais comme l'écrit Ferdinand von Schirach : « On ne voit jamais que ce qu'on veut voir. » Il appartient à chacun de se faire son idée en lisant ce roman que j'ai apprécié. Je remercie les Éditions Gallimard et Babélio pour ce cadeau qui a été un très bon moment de lecture. Sans nuance on ne verrait rien, c'est la petite chose que je retiendrai de ce livre, trop de blanc éblouit et on n'y voit pas plus que dans une nuit noire.

« Sais-tu que la tonalité de tes photos, cette couleur sépia qui les imprègne, provient de l'encre de seiche ? Certains médecins la prescrivent contre la dépression, le vide, la solitude. Ils affirment qu'elle peut rétablir la dignité blessée de l'homme. »
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