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Critique de horline


"A mordre dans la mort comme dans un fruit pourri, à tout avaler sans rien mastiquer, je commençai par vomir puis m'accoutumai". Cette phrase d'accroche aurait pu être rédigée par Oxymor Baulay, parisien de la rive gauche adepte des figures de rhétorique et accessoirement journaliste pigiste. Mais n'est pas Hamlet qui veut ! Cette phrase signe la plume d'un "écrivassassin" admiratif de Shakespeare et de Rimbaud, qui relate dans ce qui pourrait apparaître comme un sombre polar, ses confessions sur le meurtre de cinq jeunes femmes commis dans les années soixante-dix.
Echoué par hasard entre les mains d'Oxymor au cours d'un reportage en immersion chez les sdf, ce manuscrit ne pouvait rester anonyme, la qualité du texte est indéniable. Sorti de l'oubli grâce à la publication réalisée par un vieil ami éditeur et fort du succès qu'il rencontre auprès du public, ce roman anonyme titré "A noir" par l'auteur fait sortir de sa torpeur l'écrivain-tueur jamais inquiété.

Le thème du livre tueur n'est pas nouveau mais Gilles Schlesser renouvelle le genre avec un regard iconoclaste sur le roman d'enquête. Ce n'est pas une intrigue au scalpel sous un éclairage saignant. On s'attarde relativement peu sur l'assassin, d'ailleurs Oxymor convient dés le départ que l'assassin ne peut plus être inquiété pour les cinq meurtres compte tenu de la prescription. L'auteur ne s'attache pas non plus à explorer la face sombre de la nature humaine.
Si Gilles Schlesser n'use pas des codes traditionnels des polars c'est pour mieux détourner le regard du lecteur sur l'enquête littéraire. Elle supplante totalement l'enquête policière. Car la clé pour résoudre l'énigme relative à l'identité du meurtrier réside au coeur du manuscrit, un manuscrit qui foisonne de références et de contraintes littéraires captivantes. Ces jeux de mots qui font la part belle aux facéties oulipiennes (des jeux de mots qui obéissent à certaines contraintes d'écriture et de mathématique tel La Disparition de George Perec où la lettre e est absente) et qui reposent sur le poème "Voyelles" de Rimbaud n'ont pas ce caractère obscur que l'on pourrait redouter. le talent de Schlesser est de familiariser le lecteur avec ces jeux de l'esprit lesquels rendent paradoxalement la lecture de ce roman noir légère, voire ludique. Oui, il s'agit bien d'un roman noir : l'intrigue est tenace, le mystère est habilement enraciné dans une narration limpide.
Un roman noir qui ne manque pas de railler le prix Goncourt et sa logique commerciale.
Il y a par ailleurs un réel pouvoir d'attraction vis-à-vis des personnages, des dialogues : les personnages secondaires sont savoureux et hauts en couleur avec une concierge provocante qui s'habille en Chanel, Amphigouri un neveu turbulent, une maîtresse adepte des desserts érotiques, un éditeur terriblement saint germain des près…sans compter des dialogues piquants s'inspirant d'une gouaille irrévérencieuse du Paris des années soixante. Il y a quelque peu une exhumation, un parfum de nostalgie du Paris de Raymond Queneau et de Mouloudji, mais l'intrigue n'en demeure pas moins ancrée dans la réalité contemporaine.
Dans un bel exercice de style, on se laisse prendre par la fantaisie de l'auteur, sa liberté avec le genre et l'insolence à peine voilée.
Assurément, Gilles Schlesser fait partie des rares auteurs qui ne sacrifient pas le contenu sur l'autel du suspense, on n'est pas envahi par une déferlante d'angoisse et d'hémoglobine. Il sait faire goûter un style très personnel où tout est prétexte à des figures de style en tout genre.
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