Que l'Académie allemande fasse appel à des illustres revenants tous les 100 ans pour leur montrer l'état du monde, n'est pas une idée banale. Que ces revenants se fassent accompagner par des écrivains contemporains en échange d'une modique somme d'argent, l'est encore moins. Enfin, que le narrateur désigné pour accompagner le grand, le seul, l'unique
Goethe se fasse appeler Schmidt peut nous interpeller et nous prédisposer à une lecture cocasse du texte.
Arno Schmidt écrit cette petite nouvelle en 1957, après la Trilogie de Nobodaddy et son Coeur de Pierre, et trois avant
On a marché sur la Lande. On est plus proche, en effet, des écrits précédents tant pour la forme, sa façon d'aborder l'écriture en petites structures (« en tant que constructeur roublard de formes brèves »), que par la thématique abordé, sa vision du monde et de l'Allemagne d'après-guerre. On observe néanmoins quelques phrases écrites en langage phonétique avec les accents des personnages qui annoncent l'évolution du style de Schmidt, mais on est encore loin de la déconstruction formelle de KAFF auch Mare Crisium.
Le narrateur Schmidt accueille
Goethe dans le monde de vivants non sans quelques complicités : leur vision des femmes, une certaine érotomanie pas toujours absente de misogynie, la critique des religions, du progrès ou le mal-être chez les deux personnages devant la présence nord-américaine en sol allemand après la guerre. Ce dernier point va être aussi la pierre d'achoppement dans le rapport qu'unit les deux hommes : d'après Schmidt, on ne peut pas avoir la même vision de la réalité, de la littérature sans l'expérience de la dernière guerre ou, comme dirait
Adorno, impossible de trouver une esthétique innocente après Auschwitz. L'image que la postérité a gardé de
Goethe est celle d'un poète d'un autre monde, d'une autre
histoire sans résonance possible avec la réalité maculée du monde contemporain. La récupération de
Goethe par l'Allemagne d'après-guerre (le poète avait été heureusement épargné par les nazis de par son refus de tout nationalisme) comme figure « rédemptrice » et libératrice d'une culture nationale allemande ne laisse pas sans réagir le narrateur qui voit en cet acte la momification d'un symbole presque oublié.
Car le problème de la postérité n'est pas celui évoqué par
Goethe : « qui ne compte pas sur au moins 1 million de lecteurs, ne devrait pas commencer à écrire ». Assertion à laquelle le narrateur répond : « il faut que ce 1 million de lecteurs se répartisse sur les 500 ans qui suivent la parution de son livre (…) : il faut que votre million se compose successivement des meilleurs de la nation ; et non pas d'enfants, des jeunes en uniforme, de vieilles peaux cacochymes et d'autres trous du cul » La messe est dite.
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