Les enfants ont une prédisposition naturelle à la cruauté, ce qui les amène souvent à poser des questions embarrassantes à leurs aînés et Sandra n’était pas du genre à lâcher le morceau.
Elle ne resterait pas dans cet endroit de misère, elle irait vivre dans une grande ville, elle travaillerait dans une grande société d’informatique, elle se marierait avec un homme beau, riche et intelligent, elle écumerait les boutiques de mode, elle dînerait dans des restaurants gastronomiques branchés, elle prendrait l’avion pour partir en week-end…
Sous prétexte d’un geste affectueux se voulant paternel, il avait tenté de lui tripoter les seins. Sandra avait bien vu son corps évoluer au cours des dernières années et elle avait compris qu’il déclenchait de drôles d’idées dans la tête des hommes, certains étant aussi fascinés par le contraste entre l’angélisme de son visage et l’éclat provocant de ses yeux en amande. Elle n’était pas naïve, avait du sang froid et savait parfaitement comment réagir en de telles circonstances. Elle s’était dégagée d’un mouvement brusque, et se tournant face à lui, l’avait regardé droit dans les yeux. Les siens lançaient des éclairs.
Décidément, tous ces garçons étaient excitants, mais ils ne savaient pas s’y prendre. C’était mieux quand elle s’occupait d’elle-même toute seule, se dit-elle en souriant intérieurement. Elle n’en voulait pas à Amine, qui était très gentil et que toutes ses copines lui enviaient, mais voilà que depuis quelques jours, il insistait lourdement pour remettre cela, et pire, qu’il commençait à évoquer des projets d’avenir.
La plupart du temps, quand un problème lui était soumis, Sandra n’avait besoin que de quelques secondes pour trouver le raisonnement qui menait à la solution. Elle en arrivait même parfois à terminer l’énoncé du problème à la place de l’enseignante.
Elle avait craint un moment qu’Amine restât à l’attendre, pour lui demander, le regard plein d’espoir, de passer l’après-midi avec lui. Qu’est-ce qu’il croyait, celui-là ? D’accord, c’était un beau garçon, le plus beau de la classe, c’était sûr, et de surcroît, ça n’était pas le plus bête. D’accord, il était trop craquant, quand ses grands yeux noirs aux cils fournis devenaient implorants comme ceux d’un petit chien qui espérait une caresse. D’accord, cela faisait six mois qu’il était son petit copain attitré. Trois semaines plus tôt, elle avait accepté de le suivre chez lui, en l’absence de ses parents. Ils s’étaient allongés sur son lit, s’étaient longuement embrassés et caressés ; c’était cool, se souvenait-elle.