AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,92

sur 432 notes
5
20 avis
4
26 avis
3
11 avis
2
3 avis
1
0 avis
Avez-vous aimé les monologues décousus et déjantés d'Ariane dans Belle du Seigneur ? Alors vous aimerez certainement ceux de Mademoiselle Else, en proie au questionnement, dans son hôtel de luxe de San Martino di Castrozza (situé dans le massif des Dolomites en Italie du Nord).

Nous voilà aux côtés d'Else, une jeune demoiselle de dix-neuf ans, bourgeoise, fille d'un célèbre avocat viennois. Elle est belle comme un ange et n'ignore pas ce détail. Elle est en villégiature avec sa tante et son cousin. C'est une bourgeoise mais elle vit comme une aristocrate ; elle a des goûts d'aristocrate, et son éducation familiale n'y est certainement pas étrangère.

Son père est brillant, renommé, recherché pour ses talents devant la cour, mais il vit notablement au-dessus de ses moyens. Avec le train de vie qu'il mène et qu'il offre à sa famille, les gages de trente-six plaidoiries par jour, même très bien rémunérées, n'y suffiraient pas.

Else est donc dans son hôtel bien prout-prout : on navigue dans ses pensées et ses réflexions personnelles lorsqu'elle reçoit un courrier express de sa mère, qui lui indique qu'une nouvelle fois, son père est au bord du gouffre et que cette fois-ci, s'il ne trouve pas trente mille florins pour dans deux jours, ce sera les menottes aux poignets, et sa carrière brisée, et la catastrophe pour la famille, et la fin de la vie dorée, et tout ce que vous pouvez imaginer encore.

Or, il s'avère qu'auprès d'Else, dans cet hôtel séjourne un certain von Dorsday, ami de la famille et qui a déjà, par le passé, mis la main au porte-feuille pour colmater une fuite d'ordre similaire. La maman, en épouse modèle, demande donc instamment à sa fille de bien vouloir faire l'entremetteuse entre lui et la dette de son père.

Else, avec ses allures altières (je l'imagine très bien en Katharine Hepburn, par exemple dans le film Indiscrétions), est catastrophée d'avoir à s'abaisser de la sorte devant ce vieillard qui lui glisse de temps à autres des regards lubriques. Comment le lui dire ? Doit-elle le lui dire ? le déshonneur ou la chute ? Dans un cas comme dans l'autre, il y a à y perdre du prestige, n'est-ce pas mademoiselle Else ? But what else ?

Arthur Schnitzler nous fait vivre l'ébullition sous ce joli crâne, les contradictions, les déterminations, les contre-ordres, les battements de coeur de cette petite Else. Et l'autre, von Dorsday, comment va-t-il réagir ? Comment va-t-il la recevoir ? Ne va-t-il rien lui demander en échange ? Comment faire ? Comment savoir ?...

… et bien en lisant Mademoiselle Else, pardi ! ce que je vous laisse le soin d'accomplir si ce n'est déjà fait. Un roman disent certains, une nouvelle prétendent d'autres, on s'en fiche éperdument rétorquent les derniers. Tous ont probablement un peu raison bien que personnellement j'inclinerais davantage sur la désignation de nouvelle.

Une nouvelle donc très plaisante, très bien menée, tout-à-fait maîtrisée quant à sa forme et sa constitution mais qui n'est pas forcément hyper accessible car elle nous oblige à nous fondre dans le moule de la pensée d'Else, ce qui n'est pas forcément du goût de tous.

Personnellement, j'y vois, pour mille et une raisons, qu'il serait long et fastidieux de développer ici, un fort lien de parenté avec Belle du Seigneur, en particulier pour le personnage d'Ariane, car tout génial qu'il était, Albert Cohen ne pouvait pas créer cela de rien et je parie ma main gauche et mon oreille droite qu'il connaissait cette nouvelle de Schnitzler avant de nous servir son monument.

Mais tout ceci n'est que mon avis et, what else ? pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          1342
Dans ce livre, publie en 1924, Schnitzler se met dans la tete d'une femme. Il nous offre le monologue interieur d'une jeune fille de 19 ans, de peu de moyens bien qu'appartenant a la "bonne societe", qui, invitee par une riche tante, passe des vacances en Italie, a San Martino di Castrozza, une des stations estivales preferees des Viennois de l'epoque.


Une lettre-express de sa mere la met au courant de la situation desesperee de son pere suite a des dettes et des malversations inavouables, et l'enjoint de demander une grande somme a une riche connaissance qui se trouve en villegiature a San Martino lui aussi. le richard accepte, a condition que la jeune fille se denude devant lui. Et Schnitzler de nous livrer la tornade de pensees et de sentiments contradictoires qui se dechainent dans sa tete. Grande tempete qui met a mal toutes les certitudes – ou soi-disant certitudes – de son education, de son existence jusque la. Doit-elle se "prostituer" pour sauver son pere? Et pourquoi son pere la met dans une situation pareille? Il n'y a que son honneur a lui qui compte, balayant sans scrupules son honneur a elle? Et sa mere, est-elle si naive en jouant les entremetteuses, ou la sacrifie-t-elle a l'autel de sa situation bourgeoise? Comment doit-elle agir? Et si elle accepte la condition deshonorante, comment affronter la situation en temps reel? Comment et ou se presenter devant le magnat lubrique? Toutes ses contradictions, tous ses doutes, toutes ses peurs l'ameneront, en un final grandiose, a convertir sa denudation en une affirmation desesperee d'independence, d'auto-estime et fierte retrouvees.


De nombreux critiques ont estime la profondeur avec laquelle l'auteur a reussi a cerner une psychologie feminine. Moi aussi, et en plus de ce "portrait interieur" je vois en ce livre un portrait de la "bonne societe" de son époque: ennuyeuse, superficielle, hypocrite, arborant les distinctions de classe et de fortune, sclereotisee par un corset de conventions sociales. Et un quantieme approfondissement de themes chers a Schnitzler: l'erotisme et la mort.


Et c'est bien ecrit. le monologue d'Else est un flux de conscience, melant pensees logiques a d'autres qui le sont moins mais surviennent spontanement, et aussi a de courts dialogues, vu qu'elle rencontre du monde a l'hotel. Tout cela ajoute a la profondeur du portrait de la jeune fille, qui nous parait tour a tour intelligente et futile, arrogante et apeuree, bref qu'on a envie de gifler ou de prendre dans les bras, selon les pages.


Cherchez donc mademoiselle Else. Allez la retrouver. Depuis 1924 elle ne s'est pas completement perdue. Elle est sauvee par chaque lecture.
Commenter  J’apprécie          650
Je me sens encore un peu en colère, alors que j'ai laissé passer quelques jours après cette lecture. J'aime découvrir une histoire et son dénouement par moi-même, mais à peine quelques lignes de la préface lue que j'en connaissais déjà la fin. Cela m'a profondément abîmée dans ma lecture, car j'avais directement un sentiment différent et une attente consciente du dénouement... Et même s'il s'agit d'une réédition, d'un livre écrit il y a plusieurs années, je préfère découvrir un livre par moi-même et m'interroger plus avant si j'en ressens le besoin... Un gout amer et une pointe fâchée encore aujourd'hui. Il m'arrive de me "spoiler", mais cela ne m'est pas imposé...

Quoi qu'il en soit, l'histoire d'Else est intrigante, fascinante dans un sens. On suit son interrogation permanente sur une situation qu'elle souhaite maîtriser, mais qui finit par lui échapper. le livre est écrit sous forme d'un monologue continu, mêlant les réflexions de la jeune fille et les tiraillements qu'elle ressent. En voyage avec sa tante et son cousin, elle dépeint ses journées et les pensées profondes concernant les personnes qu'elle côtoie. Else est une jolie jeune fille de la bourgeoisie. Son père est un avocat reconnu, mais qui semble vivre bien au-dessus de ses moyens et ce qu'il gagne ne suffit pas à profiter de ce train de vie actuel.

C'est un courrier de sa mère qui vient perturber les habitudes vacancières : le besoin de liquidité est tel, que son père risque la prison. Elle lui demande, au nom de son père, de la famille, de pouvoir parler avec une personne qui se trouve dans le même hôtel qu'elle actuellement et qui est déjà venu en aide à son père par le passé : M. von Dorsday. Ce dernier, d'un âge certain, entend la demande de la jeune fille mais lui demande en retour un petit quelque chose, trois fois rien : pouvoir l'observer à minuit dans une clairière baigné par la lumière de la lune, entièrement nue...

On suit les interrogations, les paradoxes, les tiraillements d'Else dès la lecture de la lettre de sa mère. Il y a l'envie et le besoin de venir en aide à la famille, puis des interrogations diverses concernant la demande, la réalisation de celle-ci, mais aussi la faisabilité.

Une telle demande est somme toute indécente, encore plus à cette époque où la nudité est cachée, proscrite voire dangereuse. On s'immisce dans les pensées de cette jeune fille dont l'auteur arrive à nous faire ressentir moult subtilités.

Arthur Schnitzler dépeint avec brio cette relation au père qu'Else admire et aime, mais en même temps cette colère sourde de se dire que ses parents se doutent bien de la situation dans laquelle ils la placent. L'auteur nous plonge dans ses doutes, ses peurs, ses décisions, ses incertitudes. Elle peut sauver son père, sa famille de la honte, mais en portant en elle l'opprobre et cette part de "vice".

Le portrait dépeint par Arthur Schnitzler est vraisemblable. Si au début, j'ai été un peu énervée par le ton et les propos d'Else, j'ai été vite rattrapée par le mode "pensées décousu". Il s'agit d'une jeune fille de 19 ans, à une époque où puritanisme, famille, religion sont quasi permanent dans la société. Ses pensées ne sont pas permanentes, ou fluides. Elles sont percutantes, hachées, déstructurées, paradoxales pour certaines. Là où je me suis sentie agacée au début, c'était par ce côté parfois simpliste et/ou fantasmé. Et pourtant, tout l'intérêt est là : être remué par des pensées qui finalement "ne nous appartiennent pas".

Mon grand bémol est que ce roman/nouvelle va trop vite : suivre les pensées d'Else était par moment laborieux. J'aurais eu besoin et aimé approfondir davantage certains passages. Connaitre un peu le contexte historique de l'époque donne des clefs de compréhension.

Là où j'ai été conquise, c'est par le côté profondeur de la pensée : cette histoire a dû être à plusieurs points de vue choquante à sa sortie. Comment une jeune fille peut déjà avoir ce genre de pensée sur elle-même alors que sa famille lui demande de l'aider à régler une situation complexe pour sortir le père des risques juridiques qui pèsent sur lui. En me replaçant dans ce contexte, Else me semble forte derrière son sourire sa politesse. Ses choix et sa réflexion autour de la situation sont pertinents.

En bref : un roman court entrant dans les méandres et les pensées d'une jeune fille tiraillée entre la bienséance et l'envie d'aider sa famille.
Commenter  J’apprécie          583
C'est l'histoire d'une jeune fille intelligente, jeune ,jolie, de la bourgeoisie viennoise , un peu vaniteuse , Else , fille d'un célèbre avocat : le texte a été écrit en 1924…

En vacances en villégiature avec sa tante , dans un palace italien ,elle apprend par une lettre de sa mère que son père ,il vit au - dessus de ses moyens , ruiné à la suite de malversations financières——- il est même au bord du gouffre cette fois ——ne pourra être sauvé du déshonneur que si elle parvient à soutirer à un ancien ami de la famille , le marchand d'art Dorsday, trente mille florins .

Surtout que ce n'est pas la première fois que Dorsday a mis la main au porte- feuille afin de colmater les dettes de son ami …

L'histoire d'Else est fascinante : le lecteur suit ses interrogations, , ses pensées intimes , ses réflexions lors d'un long monologue intérieur , sur une situation délicate qu'elle aimerait tant maîtriser.

L'auteur s'immisce avec brio dans la relation d'Else avec son père , elle le chérit mais se rend compte avec amertume que sauver son père ne pourra que la plonger dans la honte d'elle même .
Très dévouée à son père, pensons à l'époque : elle est tiraillée entre la bienséance et l'envie absolue d'aider sa famille.

Elle passe par tous les états possibles et imaginables : doutes , craintes , sidération , fantasmes , acceptation, désespoir, souffrance rêves ,pulsions de vie , pulsions de mort, folie ….désir de mort …désirée …

Elle apparaît agaçante ,frivole parfois , pathétique….


Le ton est juste : cas de conscience entre l'amour paternel et le propre amour propre d'une jeune fille tiraillée , la rencontre d'une ingénue et le jouisseur pernicieux : le marchand d'art Dorsday.

Un conte cruel éblouissant, tout en tension , moderne à travers des mots forts et des errances désespérées.
Merci aux amis de Babelio de m'avoir fait acheter ce livre, une fois de plus !
Commenter  J’apprécie          452
Schnitzler est magistral. Il dissèque avec brio l'esprit de cette jeune fille intelligente, un peu vaniteuse certes, mais surtout dévouée à son père. Nous la suivons dans sa descente en enfer avec émotion. Elle nous livre toute une palette de sentiments au travers de ses réflexions. Je retiens surtout sa solitude. Dans cette bourgeoisie pleine de faux semblants, elle devra assumer seule l'irresponsabilité de ses parents. Ce livre est envoûtant car toutes les tentatives que la narratrice imagine, nous laissent croire qu'une issue est encore possible, et d'un coup de plume _une écriture très moderne_ nous plongeons dans ses doutes, ses craintes, ses peurs. A dix-neuf ans tout est si extrême...
Commenter  J’apprécie          440
LE MESSAGE EST À L'INTÉRIEUR...

Mlle Else est, vue de l'extérieur, une jeune fille bien sous tous rapports : Jeune (19 ans), belle, charmante, élégante, vive ; elle est - du moins pour les apparences - de bonne famille bourgeoise, fille d'un avocat d'affaire de la Vienne de la fin du XIXème (ou du début du XXème. L'auteur nous donne trop peu d'éléments pour mieux situer l'époque. La nouvelle est de 1924) et réside en villégiature dans un palace italien avec sa tante.

Coup de tonnerre : une rapide missive de sa mère l'informe du drame en action. Son père s'est (une fois de plus, mais nous ne l'apprendrons qu'au fil du récit) mis dans une situation financière tellement délicate - le démon du jeu semble en être d'abord la cause principale - et même illégale qu'il risque non seulement la prison mais le déshonneur le plus infamant, pour lui et, par voie de conséquence, pour la famille toute entière. On comprendra très vite cependant que ce père est un avocat véreux ayant l'habitude de solliciter son entourage pour le tirer d'affaires scabreuses. Cette fois, il semble s'en être pris à l'argent de pupilles dont la gestion des biens lui furent confiés... Sans l'ombre d'un ressentiment, il a donc téléguidé ce courrier, via son épouse, afin que sa propre fille se vende, littéralement, à un certain Monsieur von Dorsday, riche, vieux et libidineux marchand d'art en relation avec son père (lequel est au courant d'une de ses récentes et fructueuses ventes de toiles) et par ailleurs présent dans la station thermale où se repose sa fille. Le courrier demande à Else qu'elle fasse l'emprunt de 30 000 gulden, lesquels deviendront très vite 50 000, le montant dû par ce père indigne étant plus élevé qu'il l'avait d'abord prévu. L'intrigue peut, dès à présent, se nouer.

On peut très vite imaginer les remous, la souffrance, les interrogations intérieures de la jeune femme, qui confinent au pire des dilemmes : sauver son père - et, incidemment, sa famille - de la faillite et de la honte publique ou porter le déshonneur dans sa chair mais sans que nul autre que les deux protagonistes directs de l'affaire - elle, le vieux bougre, moins satyre qu'il y paraît de prime abord mais qui ne se rend pas compte de la portée apocalyptique de sa prétention - en sache rien de concret. En un mot comme en cent, se prostituer pour la survie du clan... D'ailleurs, c'est presque en ces termes qu'elle se pose à elle-même ce qu'on lui demande d'accomplir : «Je ne me vends pas ; non, jamais je ne me vendrai. Je me donnerai. À l'homme de mon choix je me donnerai. Me vendre, ah non. Je veux bien être une dévergondée mais pas une putain.» On peut d'autant mieux les imaginer, ces tempêtes intimes, que tout l'art, magistral, d'Arthur Schnitzler nous y invite. Ainsi, cette nouvelle (il ne s'agit en rien d'un roman mais la densité et le brio avec laquelle elle est exécutée en vaut mille) use-t-elle d'un procédé stylistique encore très nouveau à l'époque, inventé par un littérateur français aujourd'hui totalement oublié, un certain Emile Dujardin, pour sa nouvelle parue en 1887 "Les lauriers sont coupés" et qui sera très rapidement qualifié de "monologue intérieur". Ainsi, tout au long des quelques quatre-vingt pages de ce texte haletant, sans répit, mené tambour battant par un maître de la nouvelle, ce sont les pensées de la jeune femme que l'on suit. À peine sont-elles ici et là entrecoupées de dialogues que la jeune femme échange avec son entourage et qui permettent de créer un pont entre intérieur et extérieur, donnant ainsi encore un peu plus de ressort, de suspens à ce texte diabolique par sa conception et sa réalisation. Ainsi, on "entend" les pensées volubiles, parfois volatiles, toujours en tension, d'Else ; des pensées souvent «coq à l'âne» d'une jeune âme forte et fragile à la fois - un peu narcissique, légèrement "hystérique", elle suit une cure dans laquelle lui est prescrit du véronal - , elle souffre et est évidemment en droit de souffrir que d'être auto-sacrifiée par une famille sans vergogne et sans amour sur l'autel de la faute paternelle, qui ne trouve de sens à sa vie que dans la mise en scène d'une fin qu'elle va mettre en scène mais qui va s'avérer parfaitement ratée, rongée par une culpabilité qu'elle échoue à mettre à l'écart, partagée entre désir immense de vivre, de profiter de l'existence (elle a des rêves de maris riches, d'amants nombreux et de vie plus libre que la société de son temps lui promet) et volonté plus où moins outrée, surjouée de se donner la mort...

Le Docteur Arthur Schnitzler connaissait bien son sujet, lui qui était féru des découvertes du Dr Freud avec lequel il correspondait, lui qui s'intéressait de très près aux avancées de ce que l'on appellerait plus tard la psychanalyse, et plus particulièrement aux premières découvertes d'importance en matière d'hystérie et de névrose, s'intéressant de près aux pulsions inconscientes, aux rêves, etc. Partageant avec son aîné de six ans un judaïsme laïque assumé, l'amour pour une même ville, Vienne, une même profession, la médecine, des auteurs proches voire identiques, il est inconcevable de ne pas lire cette nouvelle incomparable à l'aune du "psychologisme" en cours à l'époque. Mais - et, dans un certain sens, les nazis ne s'y étaient pas trompés qui vouèrent le génial autrichien aux gémonies, l'accusnat de participer à la décadence et à la destruction d'une société antique, parfaite et fantasmée - il ne faudrait pas oublier la dimension sociale - sociétale exprimerait-on aujourd'hui - de ce texte brillantissime. Car c'est rien moins qu'à une société aussi sclérosée qu'abominablement hypocrite que le nouvelliste s'attaque ici une nouvelle fois. Une société dans laquelle l'honneur d'une famille, sa réputation, valent mieux que l'intégrité physique et psychologique d'une femme au commencement de sa vie d'adulte ; une société dans laquelle l'individu ne compte guère sans le groupe et, au sein de ces individualités, où la femme demeure assujettie à la figure masculine (ici : paternelle), même si cette dernière est des plus contestables, des plus immorales et mortifères.

Mademoiselle Else est aussi bien plus que cela. C'est, par la grâce d'un écrivain de génie, le portrait incroyablement crédible d'une jeune femme, certes de son temps par bien des réflexions, par son mode de vie, par son entourage et pour cela certains éléments peuvent sembler aujourd'hui terriblement passés, désuets ; mais c'est aussi une demoiselle excessivement moderne, d'abord parce qu'avec une finesse psychologique inouïe, Arthur Schnitzler nous convainc, dès les premières lignes, que c'est bel et bien une personne vivante à laquelle nous avons affaire et dont, par un pouvoir télépathique incroyable, nous pourrions lire chacune des pensées, parce que c'est une charmante opportuniste qui se sait l'être (sans vergogne mais sans malice non plus), parce que si son âge peut nous la rendre parfois naïve, elle est loin d'être niaise ni godiche. Qu'elle est d'une intelligence redoutable derrière ses sautes d'humeur, ses incertitudes, son désir de faire son devoir mais qu'un très fort sentiment de sa propre liberté de conscience, de son individualité lui permet de contrebalancer afin de la sortir du rôle guindé de la "fifille à son papa ou à sa maman".

Si James Joyce avait utilisé ce procédé deux auparavant (en 1922) dans son célèbre Ulysse, c'est bien plus au personnage de Solal, d'Albert Cohen, que cette Mademoiselle Else nous renvoie et qui en fut d'ailleurs, possiblement, l'un des modèles. Même liberté de ton, même sautes d'humeurs, même virulence, même intransigeances, même envies de bien faire, mais sans que leurs créateurs cédassent pour autant jamais aux sirènes désagréables de l'auto-analyse, du contentement de soi dans la contemplation de leurs créatures. L'une comme l'autre sont dans l'action, dans la vie, mieux : elles sont la vie, et c'est ce qui rend d'autant plus troublant ce véritable morceau de bravoure littéraire, dont il semble en outre qu'il n'était pas un coup d'essai pour Arthur Schnitlzer, une nouvelle datant de plus de vingt-cinq ans auparavant et intitulée "Le Lieutenant Gustl" l'ayant déjà utilisé, sans que la postérité s'en souvienne autant. Quoi qu'il en soit, ce bref texte est indubitablement de ceux dont on peut affirmer qu'il n'a pas un mot de trop ni qu'un seul manque tant il est ciselé à la manière d'un diamant magnifique. Quant à sa brièveté, elle devrait être gage que tout lecteur un rien curieux prenne un jour la peine de lire ce monument des lettres germaniques et de la littérature mondiale tout court : le temps d'un court voyage en train, en métro et c'est le monde qui s'illumine un peu plus d'intelligence et de grâce autour de son lecteur !
Commenter  J’apprécie          438
Il est difficile de faire une critique sur Mademoiselle Else...Pourquoi ? Parce que c'est un livre très complexe, d'où mon avis mitigé...

Tout d'abord, ce roman est très court (moins de 100 pages), ce qui ne m'a malheureusement pas permis de m'attacher au personnage d'Else. En outre, je dois avouer que je n'ai pas aimé la narration adoptée ; certes, le monologue est un très bon choix pour un aussi court roman, mais je n'arrivais pas à suivre les pensées de l'héroïne, et, donc, hélas, je me suis ennuyée à plusieurs reprises.

Malgré tout, ce roman présente aussi des avantages que je suis obligée de mettre en lumière. En effet, l'intrigue m'a tout de suite plu : une jeune femme en vacances avec sa tante reçoit un télégramme de la part de sa mère lui annonçant que son père, endetté, risque d'être envoyé en prison. Or, pour récupérer l'argent nécessaire pour sauver son père, Else doit faire appel à Dordsay, un marchand d'art qu'elle méprise, mais qui, hélas, est le dernier espoir de la famille. Petit à petit, Else va sombrer dans la folie, ce qui va la conduire vers une issue fatale...
De même, la "dernière" partie de l'histoire, lorsque Else doit faire un choix au sujet de Dordsay, est sensationnelle ! Nous suivons les derniers instants de la jeune femme, qui passe par tous les états possibles : le rêve, l'acceptation, le désespoir, puis la folie, et enfin, la mort (désirée).

Ainsi, je suis assez partagée par ce roman, mais je vous le conseille tout de même, ne serait-ce que pour la merveilleuse scène finale...
Commenter  J’apprécie          353
Else est une belle jeune fille de 19 ans, issue de la bourgeoisie autrichienne, et qu'on pourrait qualifier d'insousiante. Seulement, ce sentiment vole en éclat le jour où elle reçoit un télégramme de son père lui demandant de trouver une "importance" somme d'argent pour lui éviter un aller direct en correctionnelle. Et en se rendant chez le bienfaiteur indiqué, celui-ci lui propose un marché à la hauteur du regard lubrique qu'il jette à la jeune fille.

Cette novella rend compte des états d'âmes, incertitudes et errances morales du personnage éponyme et principal. Impossible de s'y tromper, c'est bien d'une déchéance qu'il s'agit.
On reconnait parfaitement dans ce récit les pensées en vogue à l'époque de Schnitzler, à savoir : la psychanalyse !
Pas de doute, Else oscille sans cesse entre pulsions de vie et pulsions de mort, et la sexualité joue un grand rôle dans le récit. de plus, le récit fait la part belle à tout ce que la bonne société cache et a de plus intimes : ses pensées qu'on ne saurait révéler au grand jour - donc merci l'auteur.

Heureusement que je connaissais le contexte de l'oeuvre, sans quoi sa lecture doit sembler sortir de nulle part ou sans intérêt. Toutefois, malgré mes connaissances je n'y ai rien trouvé de transcendant non plus.


Challenge Multi Défis
Challenge XXème siècle
Challenge globe-trotteurs saison 2
Commenter  J’apprécie          220
Tempête sous un crâne.
Injonction pressante pour Else, jeune bourgeoise viennoise en villégiature dans un hôtel des Dolomites. Sa mère la supplie par lettre de quémander de l'argent à un marchand d'art de leurs amis, Dorsday. Il ne s'agit rien moins que de sauver son père de la prison!
Pas facile pour une jeune, jolie et frivole personne de se faire violence en sollicitant ce vieux barbon passablement libidineux de Dorsday!
Une jeune fille encore immature qui va devoir s'humilier pour sauver son père bien aimé.
C'est un soliloque magistral qui va nous être proposé. On passe par toute la palette des sentiments. Les pensées se bousculent, de la plus triviale à la plus noble. Un état d'effervescence qui conduit Else en quelques heures de l'abattement total au fier refus, de la confusion au désespoir sans issue.
Je n'en dirai pas plus. Il faut lire cette nouvelle pour la justesse du ton, la prouesse technique et la tension constante.
On termine sans prendre un moment de répit cette petite centaine de pages extenué... et bluffé d'un tel talent.


Commenter  J’apprécie          213
Court roman mais long monologue intérieur, ce texte met en scène le cas de conscience d'une jeune fille confrontée à l'opposition entre l'amour paternel et son propre amour propre.

Quel texte ! Quelle construction magnifique ! le lecteur est plongé dans les pensées contradictoires de Mademoiselle Else, et peu à peu pris dans sa propre logique et avance vers une issue qu'il subodore puis qu'il entrevoit et enfin qu'il comprend.

Else est une jeune fille de la bourgeoisie viennoise en vacances sur la Riviera italienne avec sa tante et son cousin. Alors qu'elle rentre d'une partie de tennis, elle prend connaissance d'un télégramme envoyé par sa mère, à propos des dettes que son père a contracté. Pour sauver son père, sa mère lui demande un petit service. Déchirant ...

Tout est là dans ce roman magistral publié en 1924, à (re) découvrir, qui se lit d'une traite avec une tension croissante à la limite du soutenable.
Lien : http://animallecteur.canalbl..
Commenter  J’apprécie          210




Lecteurs (1192) Voir plus



Quiz Voir plus

Les Chefs-d'oeuvre de la littérature

Quel écrivain est l'auteur de Madame Bovary ?

Honoré de Balzac
Stendhal
Gustave Flaubert
Guy de Maupassant

8 questions
11085 lecteurs ont répondu
Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..