Citations sur La 317e section (12)
« Important le règlement. Vous savez pourquoi j’ai failli louper mon peloton de cabot en 46 ? »
Il essuie ses mains humides sur le fond de son pantalon.
« Un coup vient te partir. Que faut-il au canon pour se refroidir ? Question. Hein Perrin ? Que faut-il ?
-J’sais pas moi…
-C’est tans le manuel, caporal Perrin, c’est tans le manuel.
-Ben j’sais pas, du froid quoi. »
Willsdorff ricane.
« Pas mal caporal Perrin, pas mal, mais c’est pas ça. Question : un coup vient te partir, que faut-il au canon pour se refroidir ? Réponse : un certain temps. »
Torrens part d’un grand rire.
« Un certain temps, ça c’est génial. Un certain temps ! C’est de la poésie pure. »
Lundi 27 avril 1953, 08 h 15.
(...)
La forêt silencieuse recommence doucement à vivre et à bruire : dans la jungle, une troupe en mouvement est toujours au centre d'une nappe de silence qui se déplace avec elle. Les bêtes troublées par une présence inhabituelle se terrent et attendent. Si les hommes s'arrêtent et ne font pas de bruit, la vie secrète reprend progressivement et mille frottements, mille souffles suspendus avec inquiétude renaissent.
Quand Willsdorff rejoint Torrens il fait déjà chaud mais les lointains ont encore la fraîcheur, la netteté des miniatures d’un livre d’heures du Moyen Age. Des banderoles de brouillard subsistent dans les creux d’ombre. La jungle étincelle de rosée. Gorgées d’eau les rizières en gradins éblouissent comme des plaques d’acier. L’air est joyeux comme en Europe, en mars entre deux giboulées.
Je vais vous dire quelquechose mon Lieutenant. J'aurai laissé Roudier à Pak La et à l'heure actuelle on serait à Tao Tsaï. Quand on fail la guerre, y'a qu'une chose dont ll faut être sûr. C'est que l'objectif à atteindre justifie les pertes. Sans ça on ne peut plus commander. Je sais bien, quand on est chef de section les pertes, ce sont les copains. Mais quand-même, vous avez tort. Vous faites une connerie... Et merde! Je suis content que vous l'ayez faite et je suis content d'être avec vous pour ça. Et si on doit tous y rester, et bien, vive la mort!
L'orage de la veille continue à se développer. Pendant la nuit les lourds nuages noirs se sont dissous lentement. A l'aube il ne restait d'eux qu'une vapeur fragile, rose pâle, dans un ciel frais. Mais avec le soleil ils sont revenus, massifs et blancs, boursouflés comme un cancer monstrueux. Maintenant ils pèsent, épais et sales, sur la torpeur de la jungle.
Quand ils entendirent l'explosion et, tout de suite après, une rafale brève et quelques coups de feu isolés, Willsdorff, Ba Kut, Ty et le supplétif étaient déjà presque arrivés sous la protection de la jungle. Ils s'arrêtèrent mais ne purent rien voir.
De grands oiseaux noirs tournaient inlassablement dans le ciel blanc sans jamais donner un coup d'aile.
Quand on fait la guerre, il y a une chose dont il faut être sûr. C'est que l'objectif à atteindre justifie les pertes. Sans ça on ne peut plus commander.
Mais c’est beau cette vallée hein ? Et tans quinze jours trois semaines tous les arbres le long te la rivière seront rouges. Ce sont tes flamboyants. (C’est Willsdorff qui parle avec son accent alsacien)
Ah! les vaches, y z'ont buté Gégène.
–Ils ne le plantent pas aussi bien qu'au Tonkin. Mais c'est beau cette vallée, hein ? Et tans quinze jours trois semaines tous les arbres le long te la rivière seront rouges. Ce sont tes flamboyants. Alors les Lao feront un « boum » — une fête — et ils se saouleront la gueule, et ils tanceront avec les filles toute la nuit... Je vais vous tire quelque chose mon lieutenant. J'aurais laissé Routier à Pa Ka et à l'heure actuelle on serait à Tao Tsaï. Quand on fait la guerre, il y a une chose tont il faut être sûr. C'est que l'objectif à atteindre justifie les pertes. Sans ça, on ne peut plus commanter... Je sais bien, quand on est chef de section, les pertes, ce sont les copains. Mais quand même, vous avez tort. Vous faites une connerie... Eh merte ! Je suis content que vous l'ayez faite et je suis content t'être avec vous pour ça. Et si on toit tous y rester, eh bien, vive la mort !