À minuit, Tchin−Tchié demanda grâce. Étendue sur les draps de son lit de santal, elle se prétendait rompue, invoquait ses jambes éreintées, ses reins fourbus, son pauvre corps exténué de brutalités et de caresses. Le patron la raisonna, fit appel à son courage, la menaça de la police. Ce serait impardonnable de s'arrêter en pleine veine au milieu de la nuit, alors que la maison regorgeait encore de messieurs qui attendaient leur tour en tirant la langue. On avait déjà encaissé plus de douze cents francs, sans compter les consommations et la limonade qui marchait rondement depuis le dîner.
Un ancien chef de timonerie qui avait navigué dans les mers de Chine surexcita violemment les imaginations en parlant des bateaux fleurs de Canton qu'il n'avait d'ailleurs point visités et des contes absurdes que les Européens ont répandus au sujet de ces fastueux établissements. Selon lui, Tchin−Tchié sortait tout simplement d'un de ces bateaux, mais elle avait dû y apprendre des choses !
Sur la place, devant le Palais de Justice, les six cents délégués évoluaient en proie à la même pensée fixe : la Chinoise.
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En réalité, ils revenaient profondément déçus de leur furtive excursion à travers le paradis des voluptés orientales, en proie au «Omne animal triste» du poète romain ; mais ils se gardaient bien d'en convenir.
La petite servante de Saïgon leur apparaissait comme une vraie princesse de Pékin ou de Canton, sortie de son extraordinaire patrie après des aventures d'un romanesque échevelé.
Cette chambre de Tchin-Tchié est encore célèbre aujourd'hui dans les souvenirs de la luxure dracénoise.
Quand la pauvre petite Tchin-Tchié se retrouva seule dans sa chambrette du faubourg, derrière le port marchand, un gros chagrin lui sera le cœur, avec une vaine nostalgie des pays perdus. Retourner en Cochinchine ? Elle le tenta.