Clara est cette "silencieuse" aux mots "bloqués à l'intérieur". Lorsque Barnabé, son compagnon, la quitte, elle abandonne les marionnettes qu'ensemble ils animaient, à lui les voix et les paroles, à elle l'espace et les gestes. Elle quitte la ville, "un monde", pour abriter son silence dans un autre, dans celui qu'elle se crée peu à peu. Un monde dont le centre et le refuge est une vieille et grande maison, comme née de la nature qui l'entoure. Les pierres, la rivière, les arbres et le jardin sont les premiers éléments qui apportent leur consistance à cette transparence que Clara reconnaît comme partie intégrante de sa personnalité. Une transparence que les personnes rencontrées par la jeune femme dans ce village isolé assimilent plutôt à de la discrétion, et, peu à peu, les silences de Clara deviennent réceptacles pour la parole des autres : les voisins, bavards comme Thierry, secrets comme Omar, étranges comme Bertrand, ardents comme Ameline, mais aussi les textes et oeuvres des artistes qui nourrissent ses propres sculptures. Sa solitude choisie, sinon toujours acceptée, englobe les mots et les existences de ceux qui la croisent et les silhouettes qu'elle sculpte gardent la mémoire du mouvement et de l'espace.
Comme une dentellière, le personnage du roman d'
Ariane Schréder raconte la trame du temps en une passementerie, trouée de silences et d'abandons, tissée de poésie et de précision, une dentelle qui arrime le territoire intérieur à l'espace extérieur. D'une grâce et d'une pureté infinies, l'écriture incarne toutes les nuances d'une histoire dans laquelle le romanesque vient se nicher discrètement, presque modestement, à l'image de Clara.
Ce roman a, pour moi, quelque chose d'une source. La limpidité sûrement, mais aussi la sensation que l'on peut s'y désaltérer quelle que soit la soif que l'on éprouve. Parce qu'il me semble aussi que sa clarté définit l'opacité et vice-versa. Je veux dire que, encore une fois comme la narratrice au prénom trompeur, la transparence enferme et enveloppe une singulière profondeur. Comme la promesse d'un charme constamment renouvelé à chaque lecture.