Les amis d'Emma

Après un long silence , Max lui demanda :
" Et ta mère ?
- Ma mère ? C'étaient des pas qui s'approchaient en grondant .
- Et ton père ?
- Mon père ... des pas qui s'éloignaient lâchement . "

Ne tombe pas dans les bras d'un autre , il te laissera tomber . dans ses mains , tu vas fondre , et alors , il t'écrasera . Si tu es petite et fragile, il sera dur et méchant.

Ne sois pas confiante , sinon tu seras dépendante, Si tu es dépendante, tu commenceras à supplier qu'on t'aime . Et tu perdras ta dignité et ton bon sens .

Ne tombe pas dans les bras d'un autre , il ne te retiendra pas.

- Je veux une vraie poule , une poule du marché. Ou mieux encore : une poule congelée, une poule sous cellophane.

- Et comment tu crois qu'elle arrive là , ta poule . Au marché ou dans le bac frigorifique . Elle se suicide ?

Si elle avait ne serait_ce que cinq minutes de retard , elle avait raté le coche . Dans ce cas -là, les autres avaient déjà tout boulotté . C'était comme ça ici ; le plus fort se servait en premier , ensuite venait la femelle , et en dernier le petit . cette ferme remplie d'animaux pacifiques hébergeait des hommes sauvages qui mordaient , bouffaient , frappaient et aboyaient . Si Emma s'en était remise à eux , elle serait morte

On avait appris à la petite à ne plus être dégoûtée , elle n'avait pas non plus le droit d'avoir peur. Celui qui ne bosse pas , n'a rien à manger .

C'était la première fois que Emma tenait une personne dans ses bras. Sinon c'étaient toujours des bêtes. Elle n'avait jamais eu le droit d'être tendre avec Henner. Heureuse de pouvoir le protéger, elle caressait la tête de Max. Elle n'avait jamais rien éprouvé, jamais rien vécu de semblable. Elle ne le laisserait jamais partir, jamais plus. Il devait se sentir ici chez lui. Chez elle.

Emma s'entourait d'une pellicule douce et tendre que les autres appelaient la saleté, mais qui la réchauffait et la protégeait. Ce désordre constituait la face interne de son être, la topographie de son âme. La face externe, c'était le jardin, car lui au moins n'était pas grevé d'hypothèques. Elle pouvait y vivre comme bon lui semblait. Il révélait l'objectif qu'elle souhaitait atteindre en réalité. Son logis, au contraire, était la démonstration vivante de ce qu'elle n'arrivait pas à dépasser.

Dans cette région régnait le matriarcat. Les hommes faisaient l'important à la chasse, aux clubs de tir, au café, chez les pompiers et aux assemblées communales.
Mais le pouvoir appartenait aux femmes. C'étaient elles qui discutaient pour savoir lequel de leurs maris serait maire ou chef de canton, quand on enverrait les gars moissonner ou qu'on irait chez C&A.
Leur insigne était la taille de leurs robes, qui commençait au 50 et pouvait sans problème aller jusqu'au 64.

Je vais t'en donner, moi, des enchères. Celui qui me prends ma ferme, je l'abats comme un cochon. Je te le jure!

Henner savait qu'elle en était capable. Cette femme avait l'habitude de tuer. Désemparé, il la menaça de son index.

"Emma, je préfère n'avoir rien entendu."

Alors, elle pointa le canon de sa carabine vers sa braguette.

"Dégage, Henner, ou bien je te les explose."