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Critique de tilly


tilly
24 février 2010
En 2000, dans son roman Ingrid Caven (prix Goncourt), Jean-Jacques Schuhl dressait sans indulgence (mais avec beaucoup de style et d'élégance) son autoportrait en écrivain :

" Faire revenir les morts, exercice macabre de ventriloque ou de marionnettiste manipulateur, et croire que je suis ce marionnettiste alors que je ne suis que la marionnette, le scribe qui bouge le bras, la plume, sous la dictée, composite de faraud et de snob dilettante entiché de gens célèbres, ghost writer qui profite de la célébrité des autres, écrivain fantôme ou plutôt fantôme d'écrivain qui a cessé d'écrire et maintenant s'affaire sur un manuscrit trouvé au lieu de parler de lui à la première personne, oser dire "je", abattre son jeu ou se taire. "

Dans Entrée des fantômes, dix ans plus tard alors qu'il n'avait rien publié depuis Ingrid Caven, Schuhl, " un rêveur for ever ", s'exorcise lui-même en faisant apparaître, comme un magicien, ses fantômes personnels.

J'aime quand les auteurs écrivent eux-mêmes la quatrième de couverture - l'auteur doit-il insister pour que l'éditeur accepte qu'il l'écrive ?
Voici le dernier paragraphe de celle de Fantômes :

" Au bout d'une nuit farfelue durant laquelle se bousculaient divagations et souvenirs dans ma tête fatiguée, des fantômes assez spéciaux sont venus à ma rencontre dans la ville enneigée. Et avec eux ma Chance. "

Avec une certaine fierté mal placée, j'ai entraperçu quelques réponses possibles aux nombreuses énigmes auxquelles le lecteur est confronté, et dont Schuhl parsème son roman. Mais je n'ai pas de réponse pour cette Chance avec un grand C. Qu'est-ce ? le stylo magique ? Qui est-ce ? Une femme ? Il faudra peut-être attendre encore dix ans et un prochain opus de Schuhl pour avoir la Clé des Fantômes.

I. le Mannequin 9
II. La Nuit des Fantômes 35

Le premier chapitre est un court épisode de feuilleton : bizarre, trash, déjanté, allumé.
Je l'ai lu avec beaucoup de plaisir, mais n'y ai rien compris, d'abord. Et surtout pas le rapport inexpliqué par l'auteur, avec le second chapitre. Les derniers mots de la page 9 m'avaient bien rappelé quelque chose... chambre 1050 : c'est le titre d'un album en français d'Ingrid Caven sur lequel Schuhl a écrit les paroles de la plupart des chansons.

Un peu plus loin dans la seconde partie du roman, Charles (alias Jean-Jacques) révèle qu'il a pensé un temps choisir le nom de Vaughan comme pseudo de scénariste, au cinéma. Et, tiens ! Vaughan c'est le personnage maléfique dont on parle mais que l'on ne voit pas dans le Mannequin.

Apparemment sans lien avec le genre pseudo-auto-biographique que cultive Schuhl, la première partie se révèle petit à petit de plus en plus fortement connectée au reste de l'oeuvre de Schuhl. Pas seulement avec ce roman, mais avec son précédent Ingrid Caven, aussi. Pour les deux premiers (Rose Poussière, Téléx n°1), je ne sais pas, ne les ayant pas encore lus.

Un exemple. Marge, le mannequin, parle au groom de l'hotel et apprend qu'il se prénomme Karl... Karl, Charles.

" Si vous avez besoin... Je m'appelle Karl... elle s'était déjà un peu éloignée, elle s'arrêta un instant sans se retourner... j'ai connu un garçon... un écriv... c'était un autre temps, une autre histoire... "

Marge c'est sans doute Margo, le mannequin qui laisse tomber Charles-Jean-Jacques (dans la vraie vie) pour un riche producteur ami de Mazar-Rassam, avant que Schuhl rencontre Ingrid. Marge, Margo, margarita. Un mannequin, c'est justement le sujet de la dispute centrale entre l'auteur et Ingrid, au coeur d'une Sacrée Nuit, la nuit de la mort de Rainer Werner Fassbinder, l'ex-mari d'Ingrid.

Un autre exemple. Les lys blancs dont Yves Saint-Laurent couvrait Ingrid deviennent les tulipes blanches de Marge, la fille somnambule. Coco le nom de code de Marge, c'est comme cela que Pierre Lazareff appelait le chauffeur de sa limousine noire qui sillonnait Paris pour l'endormir, anecdote rapportée dans Ingrid Caven. La limousine noire est là. La cocaïne aussi.

Sans vouloir faire une thèse sur Schuhl et ses romans, je m'avance jusqu'à faire l'hypothèse que le Mannequin, c'est un coupé-collé-décalé-transformé de Ingrid Caven. Un remix, en quelque sorte.
J'ai aussi pensé à la résolution du film The Usual Suspects : à partir de l'observation d'éléments de la vraie vie, des photos figurant sur un banal tableau d'affichage mural, le personnage principal met en scène et monte de toutes pièces une machination célèbre dans toute l'histoire du scénario de film américain. Autre coïncidence, Keyser Söze, le criminel légendaire claudique, tout comme Schuhl, et... Talleyrand !

Comparée à la première partie du roman, la seconde, la Nuit des Fantômes, est d'une clarté limpide !
Très ancrée dans la réalité, au moins au début...
Ça plane bien toutefois vers la fin, avec... l'entrée des trois fantômes.
Toujours mes associations d'idées tordues, j'ai pas pu m'empêcher de penser aux fantômes de l'affreux Scrooge de Dickens, que Schuhl mentionne d'ailleurs, mais pour La Petite Dorrit. Dickens et Andersen font partie du panthéon de Schulh, le conteur.

Il y a donc les fantômes de Schuhl, l'écrivain hanté. Jean Eustache est le plus touchant, le plus vivant, avec ses larmes.

Il y a aussi les obsessions de Schuhl, nombreuses. Parmi lesquelles : le jeu, les dés, les assassins charismatiques, les prothèses de main, les clichés radiographiques. Et les portes-tambour : quand sont-elles ouvertes ? fermées ? quand est-on dedans ? dehors ? vivant ? mort ?

Des extraits pour finir :

" ... longtemps je ne me suis pas considéré comme un écrivain, d'abord parce que, après avoir publié deux minces livres sans substance, j'avais traversé une longue éclipse où je me contentais de prendre des notes sur un carnet....

... il me fallait rester dans l'ombre : l'écrivain est un vampyre, un clandestin, un espion, un agent secret. Eventuellement un agent double qui va dans le monde en amenant son ombre dans la lumière.

... du coup me revenaient les mots de celui qui avait écrit son livre allongé dans une chambre capitonnée de liège volets clos rideaux tirés, navigateur du Temps dans son bathyscaphe : Les meilleurs livres ne viennent pas de la conversation et de la lumière mais du silence et de la nuit. "
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