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Critique de oblo


A première vue, Urbicande est une cité modèle. Tout du moins sa rive sud. Largement remaniée par l'urbatecte Eugen Robick, qui en a fait son manifeste architectural, la ville est cependant coupée en deux par un fleuve et la rive nord, délaissée, croupit dans l'ombre et l'anarchie urbaine. Robick, en début de récit, propose justement la construction d'un troisième pont qui, en plus de permettre l'union un peu plus complète des deux rives, garantirait la symétrie du projet. Alors que celui-ci est refusé par les autorités de la ville - un collège tout-puissant de commissaires -, Robick constate qu'on a apporté sur son bureau un bien étrange objet : un cube parfait dont les propriétés étranges vont se révéler dans les jours et les mois suivants.

En effet, le cube grandit de façon exponentielle, s'auto-générant et pénétrant les matières, quelles qu'elles soient. Si Robick y voit un objet scientifique dont il faut respecter et regarder attentivement l'évolution, autour de lui les gens s'inquiètent ou s'excitent. Ce cube, que l'on considère comme l'invention de Robick, prend bientôt des proportions gigantesques, tissant des liens entre les deux rives d'Urbicande, permettant la libre circulation des personnes malgré les autorités. le "réseau Robick" bouleverse complètement la vie de la cité : outre le pont qu'il constitue entre les deux rives, le manque total de contrôle des autorités remet en cause leur légitimité, et bientôt leur pouvoir. de nouveaux projets politiques apparaissent tandis que Robick se lance dans la cartographie de la nouvelle Urbicande. Mais le réseau grandit à nouveau, libérant Urbicande de son emprise.

Deuxième opus de la série des Cités obscures, La fièvre d'Urbicande est un album à la fois très beau et porteur de questions architecturales et sociales, et dont le sujet rappelle quelque épisode historique. L'architecture y apparaît comme ce qu'elle fut tout au long de l'Histoire, comme un art politique en premier lieu qui contraint les hommes et est un marqueur idéologique fort. Les deux rives d'Urbicande s'opposent aussi en cela : aux espaces de la rive sud qui sont aérés et structurés par des édifices grandioses, mais qui sont vides de monde, s'oppose une architecture en rondeur et à taille humaine de la rive nord, pleine de vie aussi. La fausse symétrie du réseau permet de tisser le lien entre les deux rives et est générateur, du point de vue des autorités politiques, d'anarchie aussi bien architecturale que sociale.

Servi par un dessin superbe et minutieux ainsi que par une mise en page qui multiplie les plans de vue, les perspectives et les détails architecturaux, le récit peut être également perçu comme une mise en abîme de notre propre histoire puisque l'histoire d'Urbicande n'est pas sans rappeler celle de Berlin : une même ville séparée de façon définitive par un mur - qu'il soit de béton ou d'eau -, et dont la rigueur d'une des parties - ou des rives - est marquée par une symétrie porteuse de sens politique mais non pas de vie sociale. Si les autorités veillent à ce que les deux rives soient strictement séparées, elles ne peuvent rien dès lors que la frontière a été franchie et que le mur - quel qu'il soit - a été fissuré.

Loin de sacrifier à la rigueur de l'art les envolées poétiques, La fièvre d'Urbicande trace aussi le destin d'un homme, Eugen Robick qui, marginalisé par son intransigeance vis-à-vis des commissaires, devient le symbole du renouveau d'Urbicande. Mais, homme de l'art avant tout, c'est à l'architecture qu'il consacre à sa vie, démontrant que l'engagement, même le plus jusqu'au-boutiste, peut être apolitique.
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