Fragments d'une autobiographie fantastique,
Les boutiques de cannelle sont treize récits composés vers 1930 par
Bruno Schulz , un professeur de dessin au lycée de Drohobycz . Au départ écrit pour ses seuls amis, longtemps inédit, elle ne fut publié que sur le tard grâce à une autre écrivaine polonaise de renom . Schulz nous raconte ici ses souvenirs d'enfance y dressant le portrait de son père et autres membres de sa famille à travers une réalité transfigurée, un univers onirique, foisonnant, où tout semble mystérieux empreint d'une folie douce et où s'y produisent toutes sortes d'événements incongrus et extraordinaires. Un roman autobiographique, qu'il considère comme une généalogie spirituelle car dit-il « elle remonte aux origines les plus profondes, celles qui se perdent dans les divagations mythiques. » Maniant une plume d'une imagination poétique débordante, il nous plonge dans un autre espace-temps souvent difficile à saisir, une réalité où apparaît le principe, « d'une mascarade universelle ». Les personnages même, le père, la domestique Adèle…jouent des rôles momentanément adoptés, dans cet autre espace-temps, une dimension particulière qu'il appelle lui-même, « ce treizième mois**, superfétatoire en quelque sorte et postiche », « en marge du temps réel » ou « sur ses voies de garage ». Quand aux contextes, elles sont visualisés par des images aux details qui rappellent fortement les tableaux de
Jerome Bosch (“La nuit de la Grande Saison”) et aux processus temporels projetés sur un plan et spatialisés, « les journées somnolentes étaient bordées de deux côtés, matin et soir, d'un manchon double de fourrure crépusculaire ……De la neige laineuse comme une toison d'astrakan sortaient des anémones tremblantes qui s'inclinaient, une étincelle de clarté lunaire dans leurs calices. »
J'avais repéré Schulz chez
Tokarczuk, et l'ayant à nouveau rencontré comme traducteur de Kafka, je n'ai plus voulu retarder sa lecture. Oui il y a des similitudes entre
Tokarczuk et lui , mais tous les deux ont des univers vraiment propre à eux, sûrement inspirés largement de leur appartenance à cette partie de l'Europe de l'Est , dont les frontières restèrent longtemps friables. Même ressenti pour lui et Kafka, où les univers sont plus proches, comme dans la nouvelle le Cafard, mais beaucoup moins sombre et doux chez Schultz. Lire ce livre m'a retournée dans le monde magique et rêvé de l'enfance, dont l'un des summums a été la nouvelle éponyme du titre, où je suis partie me perdre en sa compagnie dans la nuit enneigée et étoilée de Drohobycz…..
À cette édition ont été ajoutés sept autres textes divers , récits , réflexions, et lettres tout aussi intéressants que les 13 textes sur l'enfance, dont je pense qu'il est inutile d'en creuser la signification profonde, vu que parlant de ses textes il en dit lui-même , « J'aurais préféré ne pas répondre à votre question sur l'explication philosophique que je donne moi-même des Boutiques de cannelle. Je crois qu'en voulant rationaliser la vision des choses que recèle une oeuvre d'art on démasque les acteurs, on met fin au jeu, on appauvrit l'oeuvre. » Tellement vrai.
C'est particulier, magique, envoûtant ces histoires qui représentent sa manière de vivre , son destin particulier, « la dominante de ce destin est une profonde solitude , un isolement par rapport aux affaire de la vie quotidienne. »
En recommande la lecture expressément si non déjà fait.
« Le sens est ce qui entraîne l'humanité dans le processus de la réalité. »
« La vie de la matière consiste à user une quantité infinie de masques, et l'essentiel de la vie, c'est cette circulation des formes. »
**”On sait assez que dans une suite d'années normales, tout ordinaires, ce vieux maniaque de Temps aime quelquefois à en engendrer d'autres, bizarres et dénaturées, auxquelles s'adjoint çà et là — comme un sixième doigt à la main — un treizième mois faux.”