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EAN : 9782081416994
352 pages
Flammarion (13/09/2017)
4.33/5   142 notes
Résumé :
Dans la ville allemande de Mannheim d’où est originaire son père, Géraldine Schwarz part à la recherche de l’héritage du national-socialisme dans sa propre famille et découvre que son grand- père Karl Schwarz a acheté en 1938 une entreprise à un juif, Sigmund Löbmann, qui périt ensuite avec les siens à Auschwitz. Après la guerre, confronté à un héritier qui lui demande de l’argent, Karl Schwarz tente de se dérober à ses responsabilités passées. Cette découverte est ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (31) Voir plus Ajouter une critique
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L'ouvrage de Géraldine Schwarz pose la question fondamentale de l'attitude des Allemands pendant les 12 ans du régime hitlérien. Ce n'est sûrement pas le premier qui le fait et cela m'étonnerait que ce soit le dernier. Comment est-ce, en effet, possible qu'un peuple, qui a produit un Goethe, un Beethoven et un Kant, a pu élire un fou furieux comme Adolf Hitler et le suivre pendant si longtemps ? Même en passant les classiques explications en revue, comme la défaite de 1918, l'humiliant Traité de Versailles de 1919, les lourdes réparations de guerre, l'inflation galopante des années 1920, l'occupation de la Rhénanie, le sabotage de la gauche modérée par cet autre fou de Staline, les hésitations des ministres de Weimar, la duplicité des industriels etc. il reste une colossale marge pour l'incompréhension.

Le livre de Géraldine Schwarz m'a emballé dès la première page. J'ai rarement lu un ouvrage sur un thème si controversé avec autant de clarté et d'objectivité. En plus, j'admire l'honnêteté avec laquelle elle aborde l'histoire de sa propre famille pour nous illustrer et faire comprendre la situation telle qu'elle s'est présentée en Allemagne à partir de 1933 et en France à partir de 1940. Que l'auteure soit franco-allemande lui offre évidemment un avantage de perspectives, sans diminuer pour autant les mérites de son oeuvre. Plusieurs fois, j'ai arrêté ma lecture pour réfléchir sur l'une ou l'autre de ses réflexions en me disant : tiens, je n'avais jamais considéré ce fait sous cet angle, mais effectivement elle a raison et sa réflexion s'inscrit dans une logique qui permet de mieux apprécier et situer d'autres faits historiques.

Les livres traitant de cette période sont soit des livres d'histoire écrits par des historiens professionnels, soit des témoignages relatant l'expérience personnelle d'un ou plusieurs individus bien déterminés. Géraldine Schwarz semble avoir découvert une troisième voie : comment expliquer l'histoire de l'Allemagne nazie et la France de Vichy en racontant ce qui est arrivé à mes grands-parents et parents, des gens pas exceptionnels de qui le sort ne fut pas different de la majorité de leurs contemporains. Un exercice qui n'a pas dû être simple, ne fût-ce que pour préserver un équilibre entre d'une part sa famille et d'autre part les réalités de ces 2 pays. Et c'est là que réside la grande valeur de son oeuvre. En tournant la dernière page, on est content d'avoir appris énormément sans grand effort.

Et c'est une autre qualité de son livre, on a hâte de savoir que sont devenus Karl et Lydia Schwarz - ses grands-parents - Volker et Josiane Schwarz - ses parents dans le tourbillon de ces années terribles. Mais outre le récit des événements, Géraldine Schwarz ne craint pas de s'attaquer avec beaucoup de lucidité et de logique aux questions essentielles : le manque d'opposition spontanée et organisée à un régime démoniaque, la résistance effective qui n'était que le fait d'une infime minorité de la population et l'écrasante majorité des "Mitläufer", c'est-à-dire "des personnes qui marchent avec le courant".

Je souscris complètement à sa thèse que s'il y avait eu un peu moins de Mitläufer et un peu plus d'opposition, Hitler n'aurait jamais pu réaliser son programme diabolique, comme le génocide des Juifs. Elle rappelle, à juste titre, que la contestation de l'Église catholique et protestante contre le programme hitlérien de liquidation des handicapés mentaux et physiques a eu comme résultat que Hitler a cédé face à l'indignation populaire, en 1941. Qu'est-ce qui se serait passé si, en Allemagne d'abord et en France ensuite, les gens avaient montré la même indignation devant les rafles et déportations des Juifs ? Si le commun des mortels ignorait l'existence des camps d'extermination et des chambres à gaz, il pouvait quand même se douter que les juifs ne rentreraient plus, lorsque les autorités mettaient leurs biens aux enchères.

Après la guerre, le vaste programme de dénazification des alliés tourna relativement court après le grand procès de Nuremberg des leaders nazis, la guerre froide avec le bloc soviétique créant d'autres priorités. En Allemagne, les Mitläufer devinrent des "amnésiques", avant tout soucieux par un retour à la normale. Il aura fallu tout le courage d'un procureur comme Fritz Bauer pour envoyer des criminels de guerre en prison et les prises de position d'un Heinrich Böll et Karl Jaspers pour faire comprendre aux Allemands l'ampleur des crimes commis par leur peuple en Europe occupée et spécialement en Europe de l'est.

En France, la situation n'était pas beaucoup mieux. À cause du mythe de la France victorieuse (de Gaulle), celui du rôle décisif de la Résistance et celui des "deux Vichy" (l'une représentée par le pauvre Pétain et l'autre par l'horrible Laval), le rôle des Français dans la déportation et élimination des Juifs était minimisé, entre autres par un Robert Aron. La série télévisée américaine à succès "Holocauste" en 1979, les ouvrages révélateurs de l'historien Robert Paxton "La France de Vichy 1940-1944" et "Vichy et les Juifs", ainsi que les initaves du couple Serge et Beate Klarsfeld, ont finalement permis de rectifier le tir et de sortir de "l'amnésie".

C'est avec enthousiasme que je recommande l'ouvrage de Géraldine Schwarz aux lectrices et lecteurs désireux d'en savoir un peu plus sur l'histoire de l'Allemagne et de la France dans ces années tragiques, sans être pour autant des amateurs de livres d'histoire proprement dits.
La journaliste du 'Monde' a produit un récit captivant et humain tout en étant merveilleusement instructif. Je termine cette critique par une citation révélatrice de son approche et logique : "Car s'il est vrai qu'il était difficile d'imaginer Auschwitz, il était impossible de n'avoir "rien vu, rien entendu" et, pour certains aussi "rien fait", comme la génération de mes grands-parents a prétendu jusqu'à sa mort." (page 194).
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Difficile d'oublier Les Amnésiques.

Difficile aussi de répertorier ce livre sous une étiquette commode : essai biographique? historique? politique?

Essai, de toutes façons.. Et sûrement pas roman. Témoignage non plus, tant le matériau autobiographique est passé au crible de la confrontation historique, de l'enquête journalistique.

Livre inclassable, donc, d'une puissance de démonstration impressionnante, qui va chercher jusque dans les derniers événements- la vague d'immigration en Europe due aux guerres du moyen orient, les dernières élections en France, etc..-  matière à illustrer sa thèse.

 L'auteure, de mère française et de père allemand, élevée dans un biculturalisme parfait, européenne convaincue, historienne de formation et journaliste de profession, signe avec ce premier livre, un coup de maître!

Son grand père allemand a racheté, pendant la guerre,  à bas coût , un commerce juif, profitant des lois raciales instaurées par le pouvoir nazi- l'aryanisation des entreprises et des commerces- et paiera, après la guerre, au seul rescapé de cette famille juive émigré aux États Unis, un remboursement régulier pour ce bien mal acquis. 

L'autre grand père, le français, gendarme de son état , a  dû, du fait de son statut, convoyer vers le camp de Gurs, proche de son domicile, les réfugiés juifs allemands qui seront bientôt envoyés, sous la garde vigilante de la gendarmerie et de la police françaises, de Gurs  à  Auschwitz. ..

Cette double culpabilité originelle, l'auteur en fait le moteur de son livre.  

A partir de ces deux cas de figures personnels qu'elle interroge avec exigence et honnêteté, l'auteure élargit son propos à  l'attitude des deux pays,  liés  pendant 5 ans par un régime de collaboration sans aucun équivalent à l'époque. Elle étudie et compare  les intermittences de la mémoire, en France et en Allemagne,  de l'après-guerre jusqu'à nos jours.

En France, le "résistentialisme " pratiqué  tant par les gaullistes que par les communistes,   a occulté la culpabilité et les compromissions de tout un pays - et pas seulement de "Vichy":  les arrestations, les rafles,  les délations, les discriminations, les lois raciales  sont les manifestations opportunistes, sous l'occupation nazie et le régime de Vichy, d'un antisémitisme bien français,  antérieur à l'affaire Dreyfus- .  le "devoir de mémoire" , instauré dans  les années 80,  a enfin donné à la Shoah la place tragique qu'elle doit avoir dans l'histoire mais sans la relier vraiment à une responsabilité collective française :  l'expression même "devoir de mémoire" donne au travail mémoriel un aspect officiel, canalisé et contraint.

En Allemagne, longtemps étouffée,  la culpabilité s'est lentement fait jour, et le travail patient de certains juges- singulièrement, le procureur Fritz Bauer- a permis d'extirper de l'administration -sinon des grands groupes industriels...- les nazis notoires qui y demeuraient. Mais surtout est apparue la notion de Mittlaufer-ceux qui marchent derrière- qui montrait à quel point le suivisme passif avait permis à l'horreur nazie d'avoir pleine licence et coudées franches! Contrairement à la vision "étatique" de la culpabilité française, l'Allemagne, lentement mais sûrement, a fait un mea culpa nettement plus collectif - cette "gestion du passé " a permis de repartir sur des bases plus saines, même si la fusion des deux Allemagne a donné du fil à retordre  à cette douloureuse gestion..

Un pays sans gestion honnête de son passé est un pays  qui n'arrivera jamais à exorciser ses démons, un pays qui ne "grandira" jamais, ne tirera aucune analyse de ses erreurs, un pays qui ne sera jamais une démocratie,

C'est ce qui m'a semblé être le message profond de ce livre sincère, rationnel, rigoureux, et surtout convaincant , où l'histoire personnelle, sans le moindre exhibitionnisme et sans intimisme superflu,  sert de terreau à une réflexion plus générale et collective sur la grande Histoire.

Celle qui nous concerne tous. Écrite et à écrire.

Une lecture vraiment indispensable! Merci Kielosa pour cette découverte!
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Ecrire un billet sur un tel livre n'est pas chose évidente. J'ai lu ce livre avec beaucoup d'intérêt et celui-ci m'a renvoyée à mon identité, à ma famille paternelle, à ce qui m'avait été transmis. C'est une enquête extrêmement fouillée, très bien argumentée, réalisée par une jeune femme journaliste, franco-allemande, et qui pose un regard sans concession sur l'humanité !
Géraldine Schwarz, née de père allemand, originaire de Mannheim, et de mère française, découvre que son grand-père a acheté, à bas prix, au moment de l'aryanisation des entreprises, une société à Mr JULIUS LOBMANN. de cette découverte va naître, chez elle, un impérieux besoin de comprendre ce qui a pu mener des individus banals, sans idéologie particulière, à participer, sans contestation, à un système qui a fait du racisme une doctrine d'état : ce qu'elle nommera « les Mitläufer ».
Côté français, son grand-père Lucien était gendarme en Sâone-et-Loire, en zone « libre » chargé de surveiller la ligne de démarcation et fermant souvent les yeux sur les clandestins qui tentaient leur chance. Mais personne ne lui a parlé des rafles de Monceau-les-Mines, ville située à douze km de son village, où furent effectuées, par des policiers et gendarmes français, l'arrestation des 2/3 des juifs de la population de MONTCEAU qui furent déportés !
Je me suis mise à la place de Géraldine Schwarz ! L'héritage des victimes est lourd à porter mais celui des bourreaux n'est pas une sinécure pour celles et ceux qui ont conscience des atrocités commises ! Ses grands-parents allemands avaient connaissance de la « nuit de cristal » comme ses grands-parents français devaient avoir connaissance des rafles auxquelles Lucien a peut-être participé !
Les deuxièmes générations se sont posées des questions comme le papa de l'auteure, Volker, sans vraiment trouver de réponse. Côté victimes comme côté bourreaux, il y a eu le silence, le besoin d'oublier voire même d'excuser mais il me semble que la troisième génération doit entreprendre ce lourd travail de mémoire pour assainir l'inconscient collectif d'où son livre qui nous concerne tous.
Géraldine Schwarz analyse très bien les conséquences du déni des sociétés allemande et française sur les évènements qui ont suivi la deuxième guerre mondiale jusqu'à la Bande a Baader et mai 68.
Elle apporte un éclairage que j'ai particulièrement apprécié en raison de ma méconnaissance, des difficultés et des modifications survenues à la suite de l'effondrement du mur de Berlin. Elle met en évidence l'insuffisance en Allemagne de l'Est du travail mémoriel dû à l'enfermement de la RDA dans le bloc des pays de l'Est et ses conséquences sur les prises de position des allemands de l'est. Elle relate d'ailleurs certains évènements, soutenus par la population, comme l'incendie à Rostock, d'un foyer de vietnamiens alors qu'en Allemagne de l'Ouest, les attentats contre des immigrés sont commis par des néo-nazis combattus par la population.
L'auteure analyse également le travail mémoriel dans d'autres pays : La France, l'Italie, l'Autriche, les pays de l'Est.
Page 337
« La violence verbale, inspirée d'une rhétorique national-socialiste contre les étrangers, les juifs, les homosexuels, est devenue une triste caractéristique d'une partie de l'Europe de l'Est qui choque les sociétés occidentales que le souvenir du fascisme et de la guerre a rendues majoritairement hostiles à de telles manifestations de haine. Ce décalage des mémoires reste une réalité qui creuse un fossé au coeur de l'Europe.
Mais même à l'Ouest, le consensus mémoriel autour d'un rejet clair du fascisme et de la nécessité de se mobiliser contre sa résurgence n'a pas partout la même force. Il n'est pas immuable, comme nous aimerions le croire, nous les enfants gâtés de la paix qui ne connaissons que la liberté et la démocratie, et avons oublié à quel prix celles-ci nous ont été livrées, au nom de combien de luttes la mémoire des crimes et de leurs victimes a été sauvée de l'amnésie. Soixante dix an après la fin de la guerre, beaucoup de pays présentent les symptômes d'une rechute dans des schémas qu'on pensait irrémédiablement discrédités tant ils ont produit de souffrances et de destructions ».
Malheureusement, je suis arrivée à cette conclusion : la haine fait partie de l'être humain, il ne faut pas grand-chose pour l'alimenter. Ce monde est binaire, les excès attirent les excès contraires, il faut en tenir compte. Et pourtant à lire certaines chroniques bienveillantes sur Babelio, une petite flamme intérieure continue de brûler en moi-même. Si par moment elle s'amenuise, vacille, à d'autres elle s'agrandit.

Un grand merci à Jean-Pierre alias Kielosa qui m'a permis de connaître "Les amnésiques"
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Schwarz Géraldine – "Les amnésiques" – Flammarion, 2017 (ISBN 978-2-0814-1699-4) – format 22x15cm, 350p.

Un livre à mes yeux tout à la fois important et décevant.

Important car il traite d'un point quasiment inconnu du grand public français, et qui a pourtant joué un grand rôle dans ma vie de jeune frontalier à saute frontière franco-allemande, à savoir le relèvement spectaculaire de l'Allemagne de l'Ouest dévastée, ruinée, démembrée, juste après le désastre provoqué par la folie hitlérienne, dans les années 1945-1970.
Ces années où précisément j'eus l'occasion – tout comme cet auteur franco-allemande – de vivre des choses essentielles dans cette Allemagne du "miracle économique" de Ludwig Erhard, y compris ce trouble rapport au nazisme des allemandes et allemands de la génération d'avant, ayant "suivi" ce régime – les "Mitläufer".
A juste titre, l'auteur les nomme "les amnésiques" tant elles et ils faisaient tout pour oublier (se cacher à eux-mêmes) qu'elles et ils avaient cautionné ce régime : à les entendre, les hommes mobilisés dans la Wehrmacht avaient pratiquement tous été infirmiers (!!!) sans jamais tenir un fusil, tandis que les jeunes femmes se livraient à d'innocentes randonnées dans le cadre du BDM (Bund Deutscher Mädel – branche féminine des Jeunesses Hitlériennes). Ce point n'était pratiquement jamais évoqué frontalement par les parents allemands, mais ce silence minait les jeunes de notre âge...
Surtout dans la mesure où les parents français, eux, faisaient souvent état des exactions et rafles (mises exclusivement sur le dos des "boches", bien sûr) : le procès du massacre d'Oradour tenu en 1952 avait connu un extraordinaire retentissement, la spectaculaire capture d'Eichmann puis son procès et son exécution en 1961-1962 par les israéliens avait alimenté les conversations à la table familiale, rappelant sans cesse le destin des membres de la famille capturés ou déportés, revenus ou non des camps...
L'auteur remonte encore plus loin dans l'histoire de la branche allemande de sa famille, montrant combien ses grands-parents – des "Mitläufer" des classes moyennes – avaient su bénéficier des opportunités qu'offrait la spoliation des juifs aisés, et plus particulièrement la possibilité de "racheter" à un prix dérisoire la participation de l'associé dans la firme fondée conjointement avec le grand-père.

Un témoignage cependant extrêmement décevant.
Certes, l'auteur n'hésite pas à dévoiler toutes les turpitudes des grands-parents pleinement acteurs du soutien passif au nazisme indéniable de la part de ces milieux aisés qui – pour le moins – ne protestèrent guère lorsque cette idéologie emportai l'adhésion des foules allemandes – le grand-père allemand "Opa", représentant quasi archétypal de ces "Mitläufer", meurt le 20 septembre 1970 (p. 217) à l'âge de 67 ans : il était donc né en 1903, il avait trente ans en 1933, il était à la tête d'une moyenne entreprise cofondée avec un associé d'origine juive dont il va "racheter les parts" à vil prix lors de "l'aryanisation" de l'économie allemande ; après le désastre, lui et sa femme ne feront guère acte de contrition...
En revanche, son père est paré de toutes les vertus : il avait 15 ans en 1958 (p. 129), ce qui le fait naître en 1943 et faire son service militaire entre 1963 et 1965 (p. 137). Sa fille, l'auteur de ce livre, ne tarit pas d'éloge à son sujet : il est très tôt conscient des crimes du nazisme, n'hésite pas à fouiller dans le passé familial, et va se marier en mai 1971 avec une bonne française – Josiane, mère de l'auteur (p. 182) dont le père était policier sous le régime de Vichy.

Sauf que, sauf que... de par ses origines sociales, le père garantit un niveau de vie plus qu'aisé à sa famille, et notre gentille auteur est donc élevée, éduquée, formatée par ce milieu des privilégiés au grand coeur qui deviennent les bobos bien pensants dès les années soixante-dix, ces gens devenus des conformistes à tout crin exhibant constamment leurs bons sentiments puisqu'ils et elles vivent dans les quartiers de l'entre-soi caractéristiques des métropoles occidentales.
Notre brave journaliste vit à Berlin, dans le quartier du Kreuzberg (cf p. 322), l'épicentre du boboïsme allemand.

Ayant pour ma part vécu dans des milieux populaires beaucoup plus humbles et dans des lieux nettement moins branchôsss, je mesure à quel point il convient de relativiser ses propos gentillets emplis de componction sur la dénazification des esprits dans ce qui était alors l'Allemagne de l'Ouest. Certes, il y eut un effort fait en ce sens dans certaines strates aisées de la société, mais le titre qu'elle donne elle-même à son ouvrage "Les amnésiques" laissait espérer un approfondissement bien plus exhaustif de la question...

Cette faiblesse devient calamité lorsque – en fin d'ouvrage – elle tente d'aborder la vie dans l'ex-DDR/RDA, cette Allemagne de l'Est occupée par les soviétiques, dont le régime prétendait construire le communisme. Ses propos trahissent sa méconnaissance absolue de ce que fut cette dictature, et dans ce cas-là, on se doit d'éviter d'écrire des âneries. Ayant moi-même vécu dans ce pays avant son effondrement, dans un milieu très populaire, j'y ai rencontré le seul allemand de cette génération des Mitläufer qui parlait sans affectation, sans fard, mais avec une réelle contrition et consternation de son passé d'enthousiaste du nazisme à ses débuts triomphants : lui n'était pas amnésique, mais il est vrai qu'il n'était qu'un humble ouvrier...

Pour conclure, l'auteur ne se rend même pas compte à quel point elle détruit elle-même tout son propos, tout son échafaudage de bons sentiments lorsqu'elle décrit (pp. 318-325) l'accueil outrancièrement chaleureux que certain(e)s allemand(e)s réservèrent aux trains de migrants fin 2015 arrivants en Allemagne pour conclure par

"j'avoue avoir moi-même songé à adopter un enfant syrien, mais je me suis finalement contentée de donner mon numéro de téléphone pour mettre mon appartement à disposition au cas où des réfugiés arrivant tard le soir à Berlin auraient besoin d'être logés en attendant de trouver une place dans un camp" (p. 323)

ben oui, elle va tout de même pas les garder chez elle trop longtemps, ces jolis migrants... Elle atteint brusquement un sommet de cuistrerie en ajoutant (p. 324)
"on ne m'a jamais appelée, peut-être parce que j'avais exclu les hommes..."

En toute naïve bonne fois cette phrase écoeurante résume à merveille la mentalité réelle de ces bobos bisounours de loin.
D'ailleurs, hein, ma brave dame, au vu des "chasses à la nana" provoquées par ces mêmes migrants en gare de Cologne dans la Sylvester-Nacht 2015-2016, notre auteur fut bien avisée de tenir toute la misère du monde loin de son petit monde propret, n'est-il pas ?

Un livre à lire, mais en gardant une bonne distance.

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« les amnésiques » ou l'art, déployé par Géraldine Schwartz, d'éclairer l'histoire du 20è siècle.
Fille d'un allemand et d'une française, cette journaliste a la chance d'être parfaitement bilingue et biculturelle, ayant depuis l'enfance baigné tant dans le monde latin que dans le germanique.

Avec clarté et objectivité, elle s'interroge tout au long de cet ouvrage sur le passé de ses deux patries, et par le biais de la chronique familiale, ce qui rend la lecture particulièrement fluide et aisée, elle sonde les côtés les plus obscurs de l'histoire de chacune d'elles.

Son grand-père allemand, industriel à Mannheim, a profité de l'aryanisation des biens juifs pour conclure une affaire avantageuse en achetant à vil prix (le prix fixé par les nazis) en 1938 l'entreprise Löbmann alors que cette famille souhaitait quitter l'Allemagne hitlérienne.

Son grand-père français, gendarme sous le régime de Vichy, dans une localité proche de la ligne de démarcation a accompagné jusqu'au camp de Gurs, dans le sud-ouest de la France, le premier convoi de juifs déportés à l'automne 1940.

A partir de ces deux événements, Géraldine Schwartz sonde avec acuité le vécu de ses quatre grands-parents de 1939 à 1945 mais surtout cherche à mettre en évidence l'attitude de la population de chacun des deux pays, se penchant principalement sur l'Allemagne hitlérienne.

Si son grand-père était affilié au parti nazi, il n'en était pas pour autant un membre actif. Sa grand-mère, par contre, non encartée, éprouvait de l'admiration pour Hitler, le « sauveur » de l'Allemagne.

Géraldine Schwartz s'est donc livrée à de sérieuses recherches historiques pour tenter de comprendre l'attitude de la population de l'époque, et elle stigmatise les « Mitlaüfer », c'est à dire ces citoyens qui se sont contentés de suivre, sans jamais rien tenter pour empêcher, voire simplement freiner les événements. La majorité du peuple est restée silencieuse, cantonnée dans un suivisme qui a permis à Hitler et son régime criminel, alliant arsenal de séduction et système répressif, de commettre toutes les horreurs qui ont déshonoré l'Allemagne.
La question est posée : si ces Mitlaüfer s'étaient élevés contre le régime, l'histoire aurait-elle pu en être changée ?
« Nous ne pouvons pas nous mettre à la place des gens d'une époque que nous n'avons pas vécue, où tout était si différent » dit la tante de l'auteur.

Après la guerre, dans l'Allemagne occupée par les alliés, les américains vont entreprendre la dénazification du pays, mais celle-ci sera vite abandonnée par le gouvernement du premier chancelier de la RFA, Konrad Adenauer, au nom du principe : « laisser le passé au passé », facilité dans laquelle les allemands vont s'engouffrer avec soulagement.
Le Bundestag ira même jusqu'à voter une loi d'amnistie bénéficiant à des milliers de nazis condamnés à une peine de 6 mois maximum, et réintégrant des fonctionnaires écartés par les alliés au nom de leur proximité avec le régime nazi. Ce qui favorisa l'amnésie des citoyens.
Aussi le grand-père de l'auteur sera-t-il surpris de se voir réclamer un dédommagement par le seul survivant de la famille Löbmann ! Inconscient de l'injustice commise lors de l'acquisition de cette entreprise juive en 1938 et allant même jusqu'à juger la réclamation injuste !

…. Jusqu'à ce qu'un procureur courageux Fritz Bauer aille secouer la torpeur ambiante et initier la série de procès qui vont éveiller la conscience de la génération d'après-guerre, celle du père de l'auteur, celle des jeunes gens interrogeant leurs parents : « et vous , qu'avez-vous fait sous le IIIè Reich ? ».... et lui instiller la nécessité d'une démocratie vigilante, refusant les extrémismes de tout poil.

Côté français, il a fallu plus de temps encore pour casser le mythe d'une France résistante, fiction largement propagée par le général De Gaulle, alors qu'en réalité le pays avait tremblé ou collaboré sous la botte nazie, s'était assoupi sous le régime de Vichy, et que la Résistance ne représentait pas plus de 2% de la population !

Mais ce qui a causé un véritable électro-choc, tant du côté français qu'allemand, ce fut, curieusement, la série « Holocauste » sur le génocide dans les camps d'extermination, mettant en avant le mot « Auschwitz » et sa cohorte d'abominations, à la suite de quoi les meurtres de masse commis par le régime furent mis en lumière, faisant l'objet de films et d'une littérature dédiée.

Pour terminer sa brillante démonstration, l'auteur fait un bref tour d'horizon européen, pointant le déni de responsabilité de certains pays, dont l'Autriche, évoquant la situation particulière de l'ex-RDA et mettant en lumière les anciens pays satellites de l'ex-URSS où le fascisme vit toujours de beaux jours. En effet, d'après elle, sous le joug soviétique, aucun appareil critique de l'époque nazie n' a été mis en place, ce qui favorise l'amnésie du peuple et son soutien à des régimes contestables, tels que la Hongrie de Victor Orban par exemple.
L'auteur s'interroge donc sur l'intérêt de maintenir dans l'Union Européenne ces pays qui profitent des subsides accordés par l'Europe, sans contrepartie, et qui en outre piétinent la démocratie, s'attaquent aux libertés individuelles et où xénophobie et antisémitisme prolifèrent dangereusement ; cette montée des extrêmes-droites, y compris en Allemagne, étant favorisée et financée par Poutine !

Enfin un ouvrage hautement recommandable, suscitant réflexion de la part du lecteur amené à s'interroger sur les dérives d'un présent, qui, apparemment, fait actuellement fi des leçons transmises par le passé et interpellant sur la frilosité de l'Europe face aux enjeux du 21è siècle.
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Citations et extraits (51) Voir plus Ajouter une citation
Je n'étais pas spécialement prédestinée à m'intéresser aux nazis. Les parents de mon père n'avaient été ni du côté des victimes, ni du côté des bourreaux. Ils ne s'étaient pas distingués par des actes de bravoure, mais n'avaient pas non plus péché par excès de zèle. Ils étaient simplement des Mitläufer, des personnes "qui marchent avec le courant". Simplement au sens où leur attitude avait été celle de la majorité du peuple allemand, une accumulation de petits aveuglements et de petites lâchetés qui, mis bout à bout, avaient créé les conditions nécessaires au déroulement de l'un des pires crimes d'État organisé que l'humanité ait connu. Après la défaite et pendant de longues années, le recul manqua à mes grands-parents comme à la plupart des Allemands pour réaliser que sans la participation des Mitläufer, même infime à l'échelle individuelle, Hitler n'aurait pas été en mesure de commettre des crimes d'une telle ampleur.
Le Führer lui-même le pressentait et prenait régulièrement la température de son peuple pour voir jusqu'où il pouvait aller, ce qui passait et ne passait pas, tout en l'inondant de propagande nazie et antisémite.
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Cette quête de pureté et d'essence, je la retrouve au plus profond de l'âme allemande, dans son dégoût pour la légèreté, son inclination pour l'absolu, dans l'infâme comme dans le beau. Dans sa vision de l'amour aussi, où Goethe et les romantiques allemands ont laissé un héritage indélébile, un amour mystique et prédestiné, unique, torturé et irrationnel, une valeur absolue qui se passe de réciprocité pour exister, quitte à mener au désespoir et à la mort. (...)
Quel contraste avec la "manière d'aimer" à la française, inspirée de l'écriture libertine du XVIIIe siècle puis revisitée par Stendhal, Flaubert et Balzac, où la séduction est érigée en art psychologique et stratégique, où le jeu et la sensualité jouent une part essentielle, où l'on pense avant de ressentir.
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Pendant des décennies, les Italiens vécurent dans le déni d’avoir été des bourreaux et se nourrirent du mythe que la majorité d’entre eux avaient résisté au fascisme, alors que le mouvement de résistance armé avait compté environ 300 000 personnes et, surtout, il ne s’était constitué qu’après l’invasion allemande, en 1943. Auparavant, une majorité écrasante d’Italiens avaient soutenu Mussolini et ses guerres criminelles. « C’est ainsi qu’est née la légende des Italiens brava gente, comme l’a décrit l’intellectuel Angelo Del Boca : des braves gens qui ne font pas de mal à une mouche, contrairement au mal absolu, le nazisme, explique Giovanni Donfrancesco. Le cinéma aussi a joué un rôle dans ce mythe. »
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De manière générale, les Français avaient acquis la réputation d'être la puissance d'occupation la plus magnanime envers les anciens responsables nazis. Le fait que la France avait étroitement coopéré avec le IIIe Reich et que son administration après la guerre était encore truffée d'anciens collaborateurs de Vichy qui redoutaient que les accusations contre les nazis ne se retournent contre eux a certainement pesé sur cette mansuétude.
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" Avant, nous ne mangions que des pommes de terre et après l'annexion nous avions de la viande dans notre soupe. "

Géraldine Schwarz citant une vieille dame d'origine tchèque à propos de l'annexion de son pays par les nazis en 1938, et d'ajouter : "Je fus frappée... à quel point le motif d'une adhésion à un régime peut être simple : "de la viande dans notre soupe."

(page 119)
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