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Critique de kielosa


L'ouvrage de Géraldine Schwarz pose la question fondamentale de l'attitude des Allemands pendant les 12 ans du régime hitlérien. Ce n'est sûrement pas le premier qui le fait et cela m'étonnerait que ce soit le dernier. Comment est-ce, en effet, possible qu'un peuple, qui a produit un Goethe, un Beethoven et un Kant, a pu élire un fou furieux comme Adolf Hitler et le suivre pendant si longtemps ? Même en passant les classiques explications en revue, comme la défaite de 1918, l'humiliant Traité de Versailles de 1919, les lourdes réparations de guerre, l'inflation galopante des années 1920, l'occupation de la Rhénanie, le sabotage de la gauche modérée par cet autre fou de Staline, les hésitations des ministres de Weimar, la duplicité des industriels etc. il reste une colossale marge pour l'incompréhension.

Le livre de Géraldine Schwarz m'a emballé dès la première page. J'ai rarement lu un ouvrage sur un thème si controversé avec autant de clarté et d'objectivité. En plus, j'admire l'honnêteté avec laquelle elle aborde l'histoire de sa propre famille pour nous illustrer et faire comprendre la situation telle qu'elle s'est présentée en Allemagne à partir de 1933 et en France à partir de 1940. Que l'auteure soit franco-allemande lui offre évidemment un avantage de perspectives, sans diminuer pour autant les mérites de son oeuvre. Plusieurs fois, j'ai arrêté ma lecture pour réfléchir sur l'une ou l'autre de ses réflexions en me disant : tiens, je n'avais jamais considéré ce fait sous cet angle, mais effectivement elle a raison et sa réflexion s'inscrit dans une logique qui permet de mieux apprécier et situer d'autres faits historiques.

Les livres traitant de cette période sont soit des livres d'histoire écrits par des historiens professionnels, soit des témoignages relatant l'expérience personnelle d'un ou plusieurs individus bien déterminés. Géraldine Schwarz semble avoir découvert une troisième voie : comment expliquer l'histoire de l'Allemagne nazie et la France de Vichy en racontant ce qui est arrivé à mes grands-parents et parents, des gens pas exceptionnels de qui le sort ne fut pas different de la majorité de leurs contemporains. Un exercice qui n'a pas dû être simple, ne fût-ce que pour préserver un équilibre entre d'une part sa famille et d'autre part les réalités de ces 2 pays. Et c'est là que réside la grande valeur de son oeuvre. En tournant la dernière page, on est content d'avoir appris énormément sans grand effort.

Et c'est une autre qualité de son livre, on a hâte de savoir que sont devenus Karl et Lydia Schwarz - ses grands-parents - Volker et Josiane Schwarz - ses parents dans le tourbillon de ces années terribles. Mais outre le récit des événements, Géraldine Schwarz ne craint pas de s'attaquer avec beaucoup de lucidité et de logique aux questions essentielles : le manque d'opposition spontanée et organisée à un régime démoniaque, la résistance effective qui n'était que le fait d'une infime minorité de la population et l'écrasante majorité des "Mitläufer", c'est-à-dire "des personnes qui marchent avec le courant".

Je souscris complètement à sa thèse que s'il y avait eu un peu moins de Mitläufer et un peu plus d'opposition, Hitler n'aurait jamais pu réaliser son programme diabolique, comme le génocide des Juifs. Elle rappelle, à juste titre, que la contestation de l'Église catholique et protestante contre le programme hitlérien de liquidation des handicapés mentaux et physiques a eu comme résultat que Hitler a cédé face à l'indignation populaire, en 1941. Qu'est-ce qui se serait passé si, en Allemagne d'abord et en France ensuite, les gens avaient montré la même indignation devant les rafles et déportations des Juifs ? Si le commun des mortels ignorait l'existence des camps d'extermination et des chambres à gaz, il pouvait quand même se douter que les juifs ne rentreraient plus, lorsque les autorités mettaient leurs biens aux enchères.

Après la guerre, le vaste programme de dénazification des alliés tourna relativement court après le grand procès de Nuremberg des leaders nazis, la guerre froide avec le bloc soviétique créant d'autres priorités. En Allemagne, les Mitläufer devinrent des "amnésiques", avant tout soucieux par un retour à la normale. Il aura fallu tout le courage d'un procureur comme Fritz Bauer pour envoyer des criminels de guerre en prison et les prises de position d'un Heinrich Böll et Karl Jaspers pour faire comprendre aux Allemands l'ampleur des crimes commis par leur peuple en Europe occupée et spécialement en Europe de l'est.

En France, la situation n'était pas beaucoup mieux. À cause du mythe de la France victorieuse (de Gaulle), celui du rôle décisif de la Résistance et celui des "deux Vichy" (l'une représentée par le pauvre Pétain et l'autre par l'horrible Laval), le rôle des Français dans la déportation et élimination des Juifs était minimisé, entre autres par un Robert Aron. La série télévisée américaine à succès "Holocauste" en 1979, les ouvrages révélateurs de l'historien Robert Paxton "La France de Vichy 1940-1944" et "Vichy et les Juifs", ainsi que les initaves du couple Serge et Beate Klarsfeld, ont finalement permis de rectifier le tir et de sortir de "l'amnésie".

C'est avec enthousiasme que je recommande l'ouvrage de Géraldine Schwarz aux lectrices et lecteurs désireux d'en savoir un peu plus sur l'histoire de l'Allemagne et de la France dans ces années tragiques, sans être pour autant des amateurs de livres d'histoire proprement dits.
La journaliste du 'Monde' a produit un récit captivant et humain tout en étant merveilleusement instructif. Je termine cette critique par une citation révélatrice de son approche et logique : "Car s'il est vrai qu'il était difficile d'imaginer Auschwitz, il était impossible de n'avoir "rien vu, rien entendu" et, pour certains aussi "rien fait", comme la génération de mes grands-parents a prétendu jusqu'à sa mort." (page 194).
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