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Critique de SZRAMOWO


C'est après avoir lu « les portes du paradis » de Jerzy Andrzejewski que j'ai décidé de lire « la croisade des enfants » de Marcel Schwob dont l'auteur polonais s'est inspiré d'après certains critiques.
Tout d'abord, cette croisade des enfants a-t-elle vraiment existé ? Les historiens s'accordent sur plusieurs points :
- A l'été 1212, des cortèges regroupant de nombreux enfants partent de de France et d'Allemagne,
- Les chroniques relatant ces faits datent des années 1250, donc ne sont pas écrites par des contemporains
- Il n'y a aucune certitude sur le succès de ces « croisades », elles se seraient arrêtées à Marseille ou à Milan
- Les textes historiques utilisent le mot pueri (enfants) pour parler des croisés, mais au sens des « enfants de Dieu »
Une fois posé ces données, il convient de souligner, que tant chez Schwob que chez Andrzejewski, la vérité historique n'est pas le but recherché.
Schwob notamment avec ses vies imaginaires se fait le chantre de biographies où la recherche de la vérité n'est pas l'essentiel.
Dans les deux cas, « la croisade des enfants » est une allégorie de l'avenir et de la capacité des futurs responsables de la société à s'affranchir des erreurs de leurs aînés et à construire un avenir différent à défaut d'être meilleur.
Dans son texte très court, contenu dans le recueil « psyché », Schwob conçoit le récit comme un reportage, des interviews, un concept assez novateur en 1896, date de la parution de son texte.
Chaque personnage interviewé délivre sa vision des enfants et les voit comme des anges libérateurs :
Le mendiant Golliard fait part de la miséricorde des enfants, et pense qu'ils trouveront Jérusalem dans ce voyage :
« C'étaient de tout petits pèlerins. Ils avaient des bourdons de noisetier et de bouleau. Ils avaient la croix sur l'épaule ; et toutes ces croix étaient de maintes couleurs. J'en ai vu de vertes, qui devaient être faites avec des feuilles cousues. Ce sont des enfants sauvages et ignorants. Ils errent vers je ne sais quoi. Ils ont foi en Jérusalem. Je pense que Jérusalem est loin, et Notre Seigneur doit être plus près de nous. Ils n'arriveront pas à Jérusalem. Mais Jérusalem arrivera à eux. Comme à moi. La fin de toutes choses saintes est dans la joie. Notre Seigneur est ici, sur cette épine rougie, et sur ma bouche, et dans ma pauvre parole. »
Le lépreux se réjouit de leur tolérance à son égard :
« Il n'a pas eu peur de moi ! Il n'a pas eu peur de moi ! Ma monstrueuse blancheur est semblable pour lui à celle de son Seigneur. Et j'ai pris une poignée d'herbe et j'ai essuyé sa bouche et ses mains. Et je lui ai dit :
— Va en paix vers ton Seigneur blanc, et dis-lui qu'il m'a oublié.
Et l'enfant m'a regardé sans rien dire. Je l'ai accompagné hors du noir de cette forêt. »
Le pape Innocent III (1161-1216 et Pape à partir de 1198) demande conseil au Christ pour déterminer la conduite qu'il doit adopter face à l'initiative des enfants :
« Maintenant, Seigneur, écoute ce chuchotement chevrotant qui monte hors de cette petite cellule de ma basilique et conseille-moi. Mes serviteurs m'ont apporté d'étranges nouvelles depuis les pays de Flandres et d'Allemagne jusqu'aux villes de Marseille et de Gênes. Des sectes ignorées vont naître. On a vu courir par les cités des femmes nues qui ne parlaient point. Ces muettes impudiques désignaient le ciel. Plusieurs fous ont prêché la ruine sur les places. Les ermites et les clercs errants sont pleins de rumeurs. Et je ne sais par quel sortilège plus de sept mille enfants ont été attirés hors des maisons. Ils sont sept mille sur la route portant la croix et le bourdon. Ils n'ont point à manger ; ils n'ont point d'armes ; ils sont incapables et ils nous font honte. Ils sont ignorants de toute véritable religion. »
Trois enfants Alain, Denis et Nicolas remettent en cause les croyances des adultes et balaient les craintes qu'on leur a fait valoir pour les dissuader de partir :
« On nous disait que nous rencontrerions dans les bois des ogres et des loups-garous. Ce sont des mensonges. Personne ne nous a effrayés ; personne ne nous a fait de mal. Les solitaires et les malades viennent nous regarder, et les vieilles femmes allument des lumières pour nous dans les cabanes. On fait sonner pour nous les cloches des églises. Les paysans se lèvent des sillons pour nous épier. Les bêtes aussi nous regardent et ne s'enfuient point. Et depuis que nous marchons, le soleil est devenu plus chaud, et nous ne cueillons plus les mêmes fleurs. »
François Longuejoue, un clerc du port de Marseille, relate leur arrivée :
"Aujourd'hui, quinzième du mois de septembre, l'année après l'incarnation de notre Seigneur douze cent et douze, sont venus en l'officine de mon maître Hugues Ferré plusieurs enfants qui demandent à traverser la mer pour aller voir le Saint-Sépulcre. Et pour ce que ledit Ferré n'a point assez de nefs marchandes dans le port de Marseille, il m'a commandé de requérir maître Guillaume Porc, afin de compléter le nombre."
Kalandar, un musulman souligne leur aveuglement par la foi catholique :
"Voici maintenant quelle était la disposition de ces enfants. Ils étaient vêtus de blanc, et ils portaient des croix cousues sur leurs vêtements. Ils ne paraissaient point savoir où ils se trouvaient, et ne semblaient pas affligés. Ils gardent les yeux dirigés constamment au loin. J'ai remarqué l'un d'eux qui était aveugle et qu'une petite fille tenait par la main. Beaucoup ont des cheveux roux et des yeux verts. Ce sont des Francs qui appartiennent à l'empereur de Rome. Ils adorent faussement le prophète Jésus. L'erreur de ces Francs est manifeste. D'abord, il est prouvé par les livres et les miracles qu'il n'y a point d'autre parole que celle de Mohammed.
Allys, une enfant rappelle sa détermination à aller jusqu'au bout :
Le Seigneur Jésus est blanc. La petite Allys est très lasse, mais elle tient Eustace par la main, afin qu'il ne tombe pas, et elle n'a pas le temps de songer à sa fatigue. Nous nous reposerons ce soir, et Allys dormira, comme de coutume, près d'Eustace, et si les voix ne nous ont point abandonnés, elle essaiera de les entendre dans la nuit claire. Et elle tiendra Eustace par la main jusqu'à la fin blanche du grand voyage, car il faut qu'elle lui montre le Seigneur."
Le pape Grégoire IX (1145-1241 ; pape de 1227 à 1241), ce cousin d'Innocent III relate la fin de la croisade :
"D'Allemagne et de Flandres, et de France et de Savoie et de Lombardie, ils vinrent vers tes flots perfides, mer sainte, bourdonnant d'indistinctes paroles d'adoration. Ils allèrent jusqu'à la cité de Marseille ; ils allèrent jusqu'à la cité de Gênes. Et tu les portas dans des nefs sur ton large dos crêtelé d'écume ; et tu te retournas, et tu allongeas vers eux tes bras glauques, et tu les as gardés. Et les autres, tu les as trahis, en les menant vers les infidèles ; et maintenant ils soupirent dans les palais d'Orient, captifs des adorateurs de Mahomet."
Dans le récit de Schwob, les enfants apparaissent comme les marqueurs d'une société en déliquescence, qui conduisent les symboles qui la représente à se remettre en cause ou à remettre en cause des dogmes.
C'est l'intérêt de ce court récit sur une légende de l'histoire des croisades.
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