Ne sois l’esclave d’aucun vêtement, ni d’âme ni de corps.
Regarde toutes choses sous l’aspect du moment.
Et, entrant dans sa chambre, avec sa lampe à la main, Ilsée fut surprise car l'autre Ilsée, une lampe à la main, s'avançait vers elle, le regard triste. Ilsée leva sa lampe au-dessus de sa tête et s'assit sur son lit. Et l'autre Ilsée leva sa lampe au-dessus de sa tête et s'assit près d'elle.
-Je comprends bien, pensa Ilsée. La dame du miroir est délivrée. Elle est venue me chercher. Je vais mourir.
Bonaparte le tueur, à dix-huit ans, rencontra sous les portes de fer du Palais-Royal une petite prostituée. Elle avait le teint pâle et elle grelottait de froid. Mais"il fallait vivre", lui dit-elle. Ni toi ni moi, nous ne savons le nom de cette petite que Bonaparte emmena, par une nuit de Novembre, à l'hôtel de Cherbourg.
La salle était vieille et haute. Partout brûlaient de petites chandelles vertes et roses dans les chandeliers d’étain minuscules. Contre les murs, les petites glaces rondes paraissaient des pièces de monnaie changées en miroirs. On ne reconnaissait les poupées d’entre les enfants que par leur immobilité. Car elles restaient assises dans leurs fauteuils, ou se coiffaient, les bras levés, devant de petites toilettes, ou elles étaient déjà couchées, le drap ramené jusqu’au menton, dans leurs petits lits de cuivre. Et le sol était jonché de la fine mousse verte qu’on met dans les bergeries de bois.
Il semblait que cette maison fût une prison ou un hôpital. Mais une prison où on enfermait des innocents pour les empêcher de souffrir, un hôpital où on guérissait du travail de la vie. Et Monelle était la geôlière et l’infirmière.
Une nuit de pleine lune, la rêveuse se leva comme une assassine, et prit un marteau. Elle brisa furieusement six cruches , et la sueur d'angoisse coulait de son front. Les vases claquèrent et s'ouvrirent : ils étaient vides.
Parce que je suis seule, tu me donneras le nom de Monelle. Mais tu songeras que j’ai tous les autres noms.
Et je suis celle-ci et celle-là, et celle qui n’a pas de nom.
Et je te conduirai parmi mes sœurs, qui sont moi-même, et semblables à des prostituées sans intelligence ;
Et tu les verras tourmentées d’égoïsme et de volupté et de cruauté et d’orgueil et de patience et de pitié, ne s’étant point encore trouvées ;
Et tu les verras aller se chercher au loin ;
Et tu me trouveras toi-même et je me trouverai moi-même ; et tu me perdras et je me perdrai.
Car je suis celle qui est perdue sitôt trouvée.
Je lisais cette nuit-là, et mon doigt suivait les lignes et les mots ; mes pensées étaient ailleurs. Et autour de moi tombait une pluie noire, oblique et acérée. Et le feu de ma lampe éclairait les cendres froides de l’âtre. Et ma bouche était pleine d’un goût de souillure et de scandale ; car le monde me semblait obscur et mes lumières étaient éteintes. Et trois fois je m’écriai :
— Je voudrais tant d’eau bourbeuse pour étancher ma soif d’infamie.
Que toute joie soit en toi le passage d’un insecte qui va s’envoler. Ne te referme pas sur l’insecte suceur. Ne deviens pas amoureux de ces cétoines dorées.
Ne joue pas avec les morts et ne caresse point leurs visages. Ne ris pas d’eux et ne pleure pas sur eux : oublie-les.
Ne te fie pas aux choses passées. Ne t’occupe point à construire de beaux cercueils pour les moments passés : songe à tuer les moments qui viendront.
Aie de la méfiance pour tous les cadavres.
N’embrasse pas les morts : car ils étouffent les vivants.
Aie pour les choses mortes le respect qu’on doit aux pierres à bâtir.