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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
« le Livre de Monelle », publié en 1894 est l'exemple même du petit livre dont ont ressort épanoui et groggy en même temps… pensez donc : à peine cent-trente pages hallucinées qui se lisent d'une traite… Cent-trente pages d'une prose aérienne, suggestive, poétique…

Trois parties composent l'ouvrage :
« Paroles de Monelle », une suite d'aphorismes qui peuvent faire penser au « Prophète » de Khalil Gibran, philosophiques, existentiels…
Une deuxième partie, « Les soeurs de Monelle », qui compte onze « nouvelles-contes » qu'on peut sans peine rattacher au symbolisme. Une série de contes ou le réel le dispute au merveilleux :
« L'égoïste » : le mousse, la fillette … et les crabes …
« La voluptueuse » : on joue à Barbe Bleue ?
« La perverse » : le meunier, le moulin, le mendiant… et Madge…
« La déçue » : le rêve, la réalité… et la fuite.
« La sauvage » : Buchette et son double en vert…
« La fidèle » : la bouteille à la mer…
« La prédestinée » : le double du miroir…
« La rêveuse » : potier faiseur de rêve…
« L'exaucée » : la princesse et le chat…
« La sensible » : le voyage initiatique de Morgane la rouge.
« La sacrifiée » : en quête de la reine mandosiane…

Enfin, « Monelle » : on retrouve Monelle sous la pluie, vendant des petites lampes de poupée allumées à des enfants qui profitent de leur lumière pour voir leur reflet dans un miroir sensé leur montrer le moment où ils commenceront à grandir…et que la moindre goutte éteint. Monelle professe une bien étrange théorie qui prône le jeu aux dépends du travail, à des enfants tout de blanc vêtus, rassemblés autour d'un feu de branchages…

« le livre de Monelle », un chef-d'oeuvre de la prose symboliste, publié en 1894, alors que Zola vient, avec « le Docteur Pascal » de mettre un terme aux « Rougon-Macquart »… Quelle époque !
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Un recueil de contes hallucinés? Un évangile de l'oubli et de l'instant ? Un très long poème? Un très court roman?

Une Monade de Monelle ou un cortège de Ménades?

Le livre de Monelle est un OVNI: Objet Volage Niant l'Identité.

Très peu de traces de son appartenance au symbolisme: quelques miroirs, quelques pierres rares, quelques mortes pâles et exténuées, mais jamais ce "vocabulaire" ne s'organise en message appuyé comme chez Maeterlinck, Tailhade ou Rodenbach.

Les signes de Marcel Schwob, littéralement, déroutent: ils nous emmènent sur des chemins de traverse.

On pense, d'abord , à un Évangile: mais celle qui le professe est une petite prostituée, presque une enfant. Et ses aphorismes prônent une vie dans le jeu, dans l'instant, dans l'oubli immédiat de toute chose, de tout lien, de toute loi, et dans le refus obstiné de toute œuvre, de tout travail.

Une fuite pour la fuite, un appel vers le vide, la blancheur. La blancheur, pas la candeur, car l'innocence ne semble pas être le fait de ses disciples- ces "sœurs de Monelle" que l'on croise dans la seconde partie.

Les sœurs de Monelle pourraient être les Douze filles de la Reine Mab qui ne seraient que Onze...Drôles de sœurs, toutes un peu sorcières, un peu folles, un peu méchantes, un peu fugueuses, un peu écorchées par la vie qui tente vainement d'imprimer sa marque sur leurs rêves- des rétives, des obstinées, des rebelles..Le livre devient un recueil de contes, poétiques, macabres, fantastiques et tristement allègres.

Inimitable Marcel Schwob qui invente le conte perfide pour grands enfants malades...comme il vient d'inventer l'évangile immoral du désir et du rêve.

La dernière et troisième partie est encore plus étrange: Monelle vend des lampes fragiles aux petits enfants qui acceptent de la suivre dans la grande nuit humide. Elle va mourir, elle est morte, elle apparaît, elle disparaît.
Un enfant - ou est-ce le narrateur? le récit est d'abord à la troisième personne puis, il passe à la première - fidèlement , la suit. D'ailleurs est-ce Monelle ou est-ce Louvette, une de ses créatures, qu'il suit ainsi pour apprendre l'ignorance et l'illusion? Comme dans un cauchemar, les personnages s'effacent et se passent le relais sans que le lecteur y prenne garde..

Vaste quête: "Pour nous, tout désir est nouveau et nous ne désirons que le moment menteur; tout souvenir est vrai, et nous avons renoncé à connaître la vérité. et nous regardons le travail comme funeste, puisqu'il arrête notre vie et la rend semblable à elle-même."

Mais cette quête étourdissante de Monelle est vouée à l'échec, comme Monelle elle-même l'est à la solitude : tout oubli est impossible, toute vie appelle une trace à laisser, un ouvrage à faire et toute âme a besoin de savoir la vérité.

Le Narrateur et Louvette préfèrent aimer et souffrir. Brusquement, sans la moindre explication, ils renoncent.

Fuyant le rêve immaculé, où s'engouffre Monelle suivie de quelques rares enfants blancs, avalés par le vide.

Un livre unique, saisissant, magique...et vaguement vénéneux.
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Et si Marcel Schwob était une femme, qui serait-il ? Sans doute bien cette Monelle sortie de l'ombre, prostituée qu'on imagine bien bavarder dans une chambre sinistre avec Emil Cioran par exemple, lorsqu'elle ne prêche pas son étrange parole à Marcel Schwob. Monelle, prophétesse modeste et obscure pour les temps à venir, s'exprime en aphorismes qui n'ont rien de naturel, et qui séduisent pour cette raison même. Monelle s'exprime pour la maïeutique de l'homme nouveau. Monelle n'a pas peur de la contradiction et enseigne que ce qui ressemble à un oxymore pour l'homme ordinaire est la logique de l'homme de demain. Pour seul exemple, citons ce célèbre passage :


« Pense dans le moment. Toute pensée qui dure est contradiction.
Aime le moment. Tout amour qui dure est haine.
Sois sincère avec le moment. Toute sincérité qui dure est mensonge.
Sois juste envers le moment. Toute justice qui dure est injustice.
Agis envers le moment. Toute action qui dure est un règne défunt. »


Monelle n'a pas peur non plus d'associer les grands inconciliables : l'ombre et la lumière, l'enfance et la maturité, la vie et la mort : les pôles contraires s'abolissent non pas dans la fusion, mais dans l'indifférence, eût égard à cet absolu de l'univers qui se fout strictement de notre existence. Et Monelle, que le narrateur aura rencontré pendant quelques éclatantes minutes, retourne aussitôt dans son univers sordide. A sa place apparaissent une lignée de petites soeurs dont chacune décline, sous la forme du conte, un état d'inachèvement de Monelle. L'égoïste, la voluptueuse, la perverse, la déçue, la sauvage, la fidèle, la prédestinée, la rêveuse, l'exaucée, l'insensible et la sacrifiée sont autant de modalités d'un même personnage. Elles traduisent la rencontre d'un instantané du personnage avec un instantané du monde. Ces soeurs sont tout ce que Monelle a été, ou aurait pu devenir si elle avait bénéficié du nombre de vies suffisant. Et Monelle réapparaît, plus lointaine que jamais, capturée seulement par le regard du narrateur que cette rencontre fait vriller d'une douce folie. Ici, Monelle se dévoile à la tête d'une communauté qui érige le syndrome de Peter Pan en vertu : immaturité et folie sont de moindres illusions face à l'illusion sérieuse de la réalité :


« Parmi nous, personne ne souffre et personne ne meurt : nous disons que ceux-là s'efforcent de connaître la triste vérité, qui n'existe nullement. Ceux qui veulent connaître la vérité s'écartent et nous abandonnent.

Au contraire, nous n'avons aucune foi dans les vérités du monde ; car elles conduisent à la tristesse.

Et nous voulons mener nos enfants vers la joie.

Maintenant les grandes personnes pourront venir vers nous, et nous leur enseignerons l'ignorance et l'illusion. »


Monelle apparaît, disparaît, se métamorphose et revient sous d'autres formes. Ce qu'elle dit et fait dire au narrateur ne veut rien dire : on peut ouvrir ce livre un jour et y lire ce qu'on a envie d'entendre mais le lendemain, on trouvera un contenu un peu différent, travaillé de l'intérieur par l'action du temps, cette étonnante porosité étant permise par la prose poétique et imagée de Marcel Schwob, entièrement dévolu à son projet de rendre gloire comme il le convient à sa divine Monelle.

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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Poèmes en prose consacrés aux filles perdues. Dans la littérature, ce personnage pourtant durement condamné par l'opinion publique, apparaît souvent comme salvateur : muse, érotisme divin mis à portée de l'homme (versant complémentaire du feu de Prométhée), élan maternel sans limite, femme se sacrifiant pour le bien des autres. Processus romantique par excellence, trouver l'essence de la beauté et de l'humanité dans la boue la plus crasse, Monelle et ses soeurs sont les petites soeurs fin de siècle des Fleurs du mal. La prose symboliste de Schwob prend certains aspects du flux de pensée dans lequel se mélangent les souvenirs littéraires, les réflexions intellectuelles et des morceaux de réalité vécue, des projections fantasmatiques. Les petites biographies des "Soeurs de Monelle" annoncent déjà les Vies imaginaires : morceaux de vies réalistes, tissés par la soie du conte, se prolongeant dans une certaine divagation poétique. Vies authentiques et mythifiés de prostituées ou bien s'agit-il de vie de toute femme, toujours exposée au risque de se perdre ?

La figure de Monelle s'incarne et se réincarne (est-elle la femme qui accueille les enfants perdus ou achève de les perdre ? est-elle fille de joie, ou vierge éternelle ?), toujours cette figure d'une beauté naïve éternellement juvénile, une femme qui a échangé son âme dans un pacte de Faust - ainsi s'explique son visage ambigu, pacte qui rappelle celui du Portrait de Dorian Gray - pour une beauté à la fois maternelle et virginale, afin de sauver l'enfant en l'homme. Consciente qu'il s'agit d'un jeu de rôles carnavalesque (où les règles habituelles n'ont plus court), elle organise et se déguise, joue à l'enfant avec l'homme-enfant, pure joie du jeu, inconscience, inconséquence de la cruauté, l'espace d'un moment suspendu et profondément humain. Figure qui bouscule pour un instant, par le sacrifice d'elle-même, l'ordre, laisse entrevoir un instant le renversement rêvé de la réalité.
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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