Leonardo Sciascia (1921-1989) l'auteur du Jour de la Chouette a écrit ce petit ouvrage inclassable en 1971.
Au matin du 14 juillet 1933, le corps sans vie de l'écrivain
Raymond Roussel, 56 ans, est découvert à Palerme dans la chambre 224 du Grand Hôtel et des Palmes, où il logeait depuis plus d'un mois. L'enquête ne dure pas plus d'une journée et conclut à une mort naturelle par intoxication : “que M. Roussel de nature neurasthénique s'était suicidé par excès de barbituriques dans la nuit du 13 au 14 juillet”. En 1971,
Leonardo Sciascia décide de rouvrir le dossier. Il épluche scrupuleusement tous les rapports officiels et pointe les incohérences , les manques, les témoignages douteux du personnel et des proches, la disparitions du chauffeur (sans doute son amant). Il dresse la liste impressionnante de touts les médicaments qu'il ingurgitait.
Sciascia écarte, de manière surprenante, la thèse du suicide.« Ce soir-là, Roussel ne voulait pas mourir ; il voulait, pensons-nous, uniquement dormir. » Est-ce un accident ou l'a-t-on aidé à mourir ? A qui profite sa mort ?
Ce qui est sûr c'est que l'enquête a été bâclée. Nous sommes à l'apogée du fascisme. Ils n'ont que faire d'un dandy homosexuel excentrique, idôlatré par les surréalistes parisiens. La mort de Roussel n'en déplaise aux Rousseliens, est sordide. Il est mort seul dans une chambre d'hôtel, tandis que deux célébrations festives avaient lieu, l'une en l'honneur de Santa Rosalia à Palerme et l'autre dans toute l'Italie pour célébrer la traversée de l'Atlantique de Balbo. Sans compter évidemment l'anniversaire de la prise de la Bastille. Roussel rêvait de gloire littéraire et il est mort seul. Pendant près de quarante ans, nombre d'idolâtres ce sont penchés sur son oeuvre culte, mais l'homme a été oublié. L'écriture minutieuse et la tenacité de
Sciascia sont le plus bel hommage qu'on pouvait rendre à
Raymond Roussel. Roussel écrivait des histoires à double sens (Lire
la Doublure disponible sur Wikisource) : on lit une histoire très simple et on s'aperçoit qu'il y en a une autre sous-jacente.
Sciascia a fait la même chose avec l'enquête officielle. Il fait apparaître une autre réalité possible en filigranes. Il écarte la thèse simple du suicide, malgré des évidences, pour entrouvrir une autre possibilité, plus complexe.
En fait cette chronique judiciaire finit où commencerait un roman policier. Mais
Sciascia évite de dire ce qui aurait pu se passer si ces pistes avaient été scrupuleusement suivies par la police. C'est au lecteur de le faire.