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Critique de lanard


lanard
14 décembre 2016
Ettore Majorana, né en 1906 était un génie de la physique des particules. Sa carrière fut trop brève pour qu'il figure au Panthéon de la physique moderne comme son compatriote Enrico Fermi. Mais si la mémoire collective a néanmoins retenu son nom, c'est en raison de sa mystérieuse disparition en 1938. Dans son livre « En cherchant Majorana » Etienne Klein était revenu sur cette affaire. En 1975, Leonardo Sciascia y avait consacré une série d'articles en feuilleton pour La Stampa qui furent rapidement republiés sous la forme d'un livre aux éditions Einaudi la même année. Ces publications furent attaquées, notamment par le physicien Edoardo Amaldi, premier biographe de Majorana (Une des réactions d'Amaldi – celle publiée dans L'Espresso, 5 octobre 1975 – figure en annexe de l'édition Allia du texte de Sciascia). Dans une défense contre les attaques dont ses articles furent l'objet, Sciascia présente sa série comme un « récit-pamphlet ».
La thèse de Sciascia sur la disparition de Majorana est la suivante ; Ettore Majorana, génie précoce aurait compris très tôt le potentiel désastreux de l'énergie nucléaire– avant même la découverte de la fission atomique par Otto Hahn en 1938 et les travaux de Lise Meitner et Otto Frisch. C'est d'ailleurs sur la base de cet important point d'histoire, que Edoardo Amaldi conteste la possibilité par Majorana d'avoir anticipé l'arme atomique.
L'attitude générale du jeune physicien dans les milieux de la recherche scientifique était caractérisée par une réticence à s'impliquer dans l'institution scientifique. Ses pairs voyaient en lui un génie aux intuitions fulgurantes mais mystérieusement rétif à la publication. Il ne briguait pas non plus les postes d'enseignement et semblait toujours travailler dans un cadre informel, comme pour sa propre gouverne. Malgré cela, la crème de la physique d'alors le reconnaissait comme un pair ; de Fermi jusqu'à Heisenberg qu'il rencontra à Leipzig en 1933 et la même année chez Bohr à Copenhague.
Dans le peu qu'il est resté de ses écrits, on trouve le sentiment intime que la recherche en physique est alors engagée sur une « mauvaise voie ». Mauvaise, non d'un point de vue épistémique semble t'il mais d'un point de vue que je vais qualifier d'éthique (je me résigne à ce terme désormais galvaudé quand il s'agit de science). Si, comme le pense Leonardo Sciascia, Majorana a bien eut l'intuition de l'énorme pouvoir destructeur de la technologie atomique, l'époque durant laquelle il a vécu ne pouvait guère l'incliner à l'optimisme ; Majorana a grandi et travaillé dans l'Italie fasciste et l'Allemagne où il rencontra Heisenberg était sous l'emprise de la fureur nazie.
Le génie précoce se serait donc effrayé de la perspective Faustienne qu'ouvrait l'énergie nucléaire à l'humanité ; une source potentielle d'énergie illimitée d'un côté ; une arme inouïe aux capacités de destruction promises au qualificatif désormais banal de massives. La recherche s'engageait donc sur une mauvaise voie.
Ce serait cette profonde inquiétude face à l'histoire qui aurait poussé Majorana à organiser sa propre disparition. Disparition et non suicide – car « Majorana était croyant. Son drame était un drame religieux, nous dirions pascalien. Et qu'il ait anticipé le désarroi religieux auquel nous verrons arriver la science, si elle n'y est pas déjà arrivée, c'est la raison pour laquelle nous écrivons ces pages sur sa vie. »
Pour Sciascia le physicien trop clairvoyant aurait terminé ses jours dans un couvent de chartreux qu'il ne localise pas clairement, sans doute à dessein car il a pu le visiter. Un indice ténu, reposant sur le souvenir lointain d'un témoin ayant visité ce couvent en 1945, a imposé cette hypothèse à l'auteur avec toute l'insistance d'une conviction.
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