AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de elisecorbani


Fidèle lectrice d'Andrea Camilleri, j'étais intriguée par la mention biographique de son amitié avec Leonardo Sciascia, grand auteur sicilien apparemment peu connu en France. le hasard a mis sur ma route ces Oncles de Sicile et me voilà plongée dans l'histoire avec un grand H et les témoignages et petites histoires des personnages pris dans les convulsions de la grande...

Les Oncles de Sicile : ce titre désigne un recueil de 4 nouvelles publiées en 1958, construites autour de personnages du petit peuple sicilien et de leur parcours de vie tourmenté par l'histoire. Il s'agit uniquement de personnages masculins - les femmes sont totalement caricaturées - personnages au regard enfantin ou adolescent : un seul apparaît comme d'âge mûr.

Nous découvrons en suivant leurs péripéties les secousses de l'unification italienne, la guerre d'Espagne vue par les jeunes "fascistes" envoyés en renfort à Franco en 1936, et enfin à la fin de la seconde guerre mondiale les relations ambivalentes avec les libérateurs et cousins américains. le dernier récit met en scène les illusions des militants communistes de l'après guerre dans une configuration qui n'est pas sans rappeler Don Camillo et Peppone.

Le point commun entre ces 4 récits est incontestablement l'éveil de la conscience de chacun des narrateurs, se démêlant entre ce qu'il observe et comprend, les contradictions des réactions et informations de son entourage, et ses illusions, ses croyances, le poids de son milieu, son sens moral.
Un autre aspect transversal de l'oeuvre est la satire féroce des comportements des protagonistes qui nous plonge dans l'ambiance politique et sociale de l'époque.

Par la construction narrative de ces personnages qui deviennent presque des philosophes en se heurtant aux absurdités et drames de l'histoire, Sciascia inscrit délibérément son travail dans la littérature. Son objectif, me semble t'il, est de penser une résilience de l'être humain, de l'individu, face à la violence des événements et la bêtise triomphante du groupe.
Ainsi les chutes de chacun de ces courts récits s'ouvrent sur une perspective d'espérance, une aspiration, qu'elle soit courageuse, ou cynique à la liberté.
Face à la lâcheté et aux petits arrangements de leurs proches, à la mesquinerie et au mépris, ces personnages construisent leur dignité par leur esprit critique et leur sens de la justice.

Cette ambition littéraire se manifeste pleinement dans la seconde nouvelle du recueil, l'Antimoine, titre qui fait référence au grisou présent dans les mines de soufre siciliennes. Mines dans lesquelles trimaient le père de Sciascia et les hommes de son village enrôlés dans les troupes envoyées en Espagne qui lui ont livré, comme il le rapporte, leur témoignage.

Texte d'une grande puissance et fulgurance, l'Antimoine vaut à lui seul la lecture du recueil. C'est un texte que l'on n'oublie pas, qui m'a rappelé l'esprit des Cercueil des zinc de Svetlana Alexievich: l'ambition de donner la parole aux soldats instrumentalisés par des enjeux de pouvoir qui les broient, et se retrouvent face à l'absurdité du mal, projetés aux marges de la société qui les a envoyés au front et de l'humanité qu'ils ont trahie malgré eux.

J'ai lu cette oeuvre dans l'édition Denoël & d'ailleurs, j'ai regretté l'absence totale de notes pour situer le contexte historique, notamment de 1848, que personnellement je ne maîtrisais pas. Heureusement il y a Wikipedia ! Mais cela aurait été bienvenu.
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}