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Todo Modo” est un livre extraordinaire, d'une ironie et d'une subtilité rare sur le monde pourrie de la Politique en amalgame avec celui de la Religion, ici en l'occurrence celle de l'Eglise catholique italienne, se référant particulièrement à une des périodes les plus pourries de l'Histoire du pays , les années 70. Dominé par la crise du parti Démocrate chrétien au pouvoir, le pays est sous l'hégémonie du catholicisme . le grand Sciascia passe au vitriol toute la faune politique et religieuse de l'époque . Leur faisant endosser les lunettes du Diable ( référence au tableau de Rutilio Manetti, "Saint Antoine d'Abate tenté par le démon " accroché à l'Ermitage Zafer où se passe l'histoire ), il donne l'image terrible de leur vision de la pourriture où elles se sont immergées , apaisant leur conscience ( si elles en ont une déjà ...) à travers le dicton , “ Ce qui ne se sait pas, n'existe pas “.
L'histoire à première vue est simple. Un peintre à succès très connu et riche, ne sachant que trop faire de sa vie, au hasard d'une ballade en voiture se retrouve devant un ermitage, l'Ermitage Zafer. Sa curiosité l'y pousse à s'informer sur ce lieu d'isolement et de spiritualité à l'apparence d'un hôtel. Y étant arrivé à un moment propice il va se retrouver avec un groupe assez particulier venu y faire un séjour de retrait spirituel. du prêtre de la réception lisant « Linus* » , au directeur, le prêtre Don Gaetano, l'ambassadeur du Diable sur place, des cinq jeunes et jolies femmes qui prennent des bains de soleil en bikinis et présentes pour aider à la méditation du groupe en visite, aux illustres visiteurs ( Ministres, hommes d'affaires, religieux éminents ) du groupe en retraite, on va se retrouver dans l'Inferno de Dante. Et comme nous sommes chez Sciascia, une histoire sans meurtres n'existant pas, ceux-ci vont défiler en commençant par celui d'un éminent notable durant une cérémonie religieuse.....
Un faux polar, où le grand Sciascia, à travers des citations de Pascal, Voltaire, La Rochefoucauld....et de nombreuses allégories comme celle du titre « Todo Modo » se référant aux paroles du jésuite Ignazio Moyola, “ par tous les moyens “, afin de trouver la volonté divine, ici employées avec une ironie extrême, dénonce la dégradation des coutumes et valeurs politiques et morales de son pays.
Un livre à portée universelle, foisonnant de références à la peinture, à la littérature et la philosophie , aux détails subtilement liées à l'histoire. La fin d'une extrême finesse est une surprise ..... la vérité est tellement évidente...quand la pourriture est partout personne n'y échappe, alors trouver un coupable n'a plus grand sens.....(N'ayez aucune crainte, je ne vous dévoile rien 😊).
Un véritable bijou littéraire, et si vous n'avez encore rien lu de Sciascia plus que jamais l'occasion d'aborder l'univers de ce très grand écrivain qui n'a jamais eu froid aux yeux pour critiquer les nombreux maux qui ont ravagé et continue à ravager la politique et la société de son pays depuis des décennies.

« La vraie nature étant perdue tout devient sa nature. Comme, le véritable bien étant perdu tout devient son véritable bien » Pascal ( Pensées )

*Linus est une BD tout âge.
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J'ai véritablement pris beaucoup de plaisir à ce Todo Modo de Leonardo Sciascia, un auteur que je découvrais, sur les conseils d'une très ancienne amie italienne, et vers lequel je retournerai très volontiers un de ces jours.

Un style, une légèreté, beaucoup de finesse et d'ironie en font un grand esthète, quant à la forme ; seulement quand j'utilise le terme esthète, il ne faut pas s'imaginer une quelconque tendance lyrique mais plutôt une élégance dans les dialogues et dans la façon de dévoiler les pensées et la psychologie de ses personnages, qui confine à de l'art sculptural, dans l'acception la plus haute et cristalline. Il faut dire que le personnage de Don Gaetano, qui est le pilier sur lequel repose l'édifice de la narration, se prête admirablement bien à cette élévation tant stylistique que mystique.

Peut-être, avant toute chose, est-il bon de soulever un peu le voile qui drape cet étrange titre, Todo Modo, que le traducteur n'a pas pris le risque de traduire, et pour cause, puisque ce n'est pas de l'italien, et que déjà en italien, il est intrigant.

D'après les recherches que j'ai pu effectuer, car le roman, dans la version dont je dispose ne donne pas les clefs de l'énigme, ces deux mots seraient en fait de l'espagnol et représenterait le début d'une maxime d'Ignace de Loyola, fondateur de l'ordre des Jésuites et formulée ainsi : « Todo modo para buscar la voluntad divina. », ce qui signifie à peu près mot à mot et dans mon espagnol approximatif : « Tous les moyens pour trouver la volonté divine. »

Je suis un peu plus en peine pour vous évoquer le fond de l'ouvrage, notamment par cette fin surprenante, qui m'empêche d'affirmer avec certitude le sens qu'a souhaité lui donner l'auteur. D'aucuns diront que c'est plutôt bon signe quand un livre n'a pas une signification univoque et qu'il s'avère résistant tout en étant intéressant — et d'une certaine façon c'est mon cas.

Certes, mais c'est terriblement déroutant de demeurer dans cette incertitude, au risque même d'être passée à côté du morceau de choix, à côté du message qui a véritablement guidé l'auteur dans la composition de son roman. Je vais donc vous livrer, sous toutes réserves, ce que j'en ai compris ainsi qu'un petit synopsis.

Pour moi, Todo Modo traite de la causalité, du pourquoi les choses adviennent telles qu'elles sont et de la futilité de toute recherche de la compréhension de ces causes. Les choses adviennent, point. Il faut en prendre acte, ni plus ni moins. Certains y voient des points communs avec le destin et le parcours de l'éminent personnage de la politique italienne Aldo Moro. (Je ne suis pas assez calée sur l'histoire récente de l'Italie pour me prononcer là-dessus.)

Car la vie, si j'ai bien compris le message de Leonardo Sciascia, toute la vie est dénuée de signification, absurde, au sens qu'elle n'a pas de direction, elle est seulement douée d'un début et d'une fin. Espace limité au sein duquel elle est le théâtre d'un certain nombre d'événements sur lesquels elle a plus ou moins de prise, mais dans tous les cas, c'est sans importance car la vie en elle-même ne signifie rien, sauf à la définir par la négative, qu'elle est le contraire de la mort, laquelle mort ne signifie rien non plus, sauf à borner la vie. Bref, que la vie est une suite de causalités dont le sens nous échappe.

Je suis bien d'accord avec vous que mon explication semble très confuse, mais c'est la seule qui me soit venue pour exprimer ce que je ressens de l'oeuvre. Peut-être est-il grand temps que je ne vous parle plus que du synopsis.

Un peintre célèbre (dont il n'est jamais fait mention du nom) est notre narrateur et nous guide en un étrange endroit, dans l'Italie contemporaine (le roman fut publié en 1974). Errant à l'aventure, ce peintre arrive dans un ermitage isolé (oui, c'est un peu pléonastique) qui est également, et c'est plus surprenant, un gros hôtel très moderne muni d'un parking d'une taille considérable qui atteste que le lieu et parfois pris d'assaut par d'importants groupes.

Que fait-on dans ce lieu ? Des stages de spiritualité. À qui sont-ils destinés ? À de très grosses légumes, du genre ministres, directeurs de banque, etc. Pourquoi cet isolement périodique ? Parce que justement, à l'abri des regards indiscrets, se trament des conspirations machiavéliques, des arnaques majeures, des complots inavouables, mais aussi et surtout, que ces messieurs haut perchés viennent trouver ici-bas quelques pulpeuses jouvencelles dont il ne serait pas trop bon de faire la publicité.

Le grand ordonnateur de l'établissement, celui par qui tous les réseaux d'informations passent mais duquel aucun de ressort car il est muet comme une tombe, le sombre et mystique Don Gaetano. Personnage d'une intelligence et d'une culture fulgurante, doublées d'une sagacité et d'une vivacité à percer à jour ses interlocuteurs qui en font un redoutable orateur, qui sait magnifiquement diriger son monde vers ses volontés.
L'homme en sait toujours beaucoup plus qu'il n'en dit et nimbe de mystère tant ses dires que ses attitudes.

Notre peintre s'amuse de cette mascarade où les gros ministres font mumuse à faire les bons samaritains tout en rejoignant, dans la foulée des exercices spirituels, leurs maîtresses dans les alcôves situés aux étages de l'hôtel. Tout va pour le mieux jusqu'à ce que l'un de ses personnages soit froidement abattu lors d'une de ses cérémonies nocturnes. Stupeur dans l'établissement, tout le monde est potentiellement coupable et l'histoire prend un tour de huis clos à la Agatha Christie.

Quand tout à coup, BING ! un autre meurtre, puis BANG ! un autre encore. Tout cela a un parfum de Brigades Rouges à plein nez, mais je crois vous en avoir beaucoup dit, à vous maintenant de dénouer tout cela...

Somme toute, un très bon petit roman, bien écrit, avec une fin surprenante et indécise, cependant, comme de coutume, il me reste à vous rappeler que tout ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Quel bonheur de retrouver Sciascia et sa petite voix. Là, son narrateur est un peintre connu, intelligent, cultivé, ce qui lui autorise une vacherie toutes les demi-pages. du coup, c'est plus de la lecture, c'est la poilade permanente.

Bon, pas tout à fait à ce point là en fait. Au milieu de ce polar dévoyé, il y a un temps pour assassiner les élites italiennes de l'époque (les années 70, apogée de la Démocratie Chrétienne, une main sur le bréviaire et l'autre sur les picaillons reçus de la mafia devenue affairiste) et un temps pour des débats théologiques.

Parce qu'une bonne part de l'ouvrage est constituée des échanges entre le peintre, laïc militant, et un drôle de prélat fort charismatique. Avec probablement une profession de foi de Sciascia via ses protagonistes : la religion a au moins l'avantage d'avoir inspiré des oeuvres d'art fabuleuses, que ce soit en peinture ou en littérature.

Et donc, pas tant une pochade qu'il en a l'air. Même si ça reste sa principale facette et le grand plaisir de sa lecture.

(Et attention, encore une quatrième de couv' qui raconte l'intrigue jusqu'à… citer la dernière phrase ! Triste record.)
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Erudit, élégant, sagace, spirituel que souhaiter de plus d'un écrivain ? Qu'il remue mon cerveau reptilien, lâche mon vieux cortex et me raconte une histoire. Sciasia plaque ses formules brillantes dans la bouche de tous ses protagonistes. Il les fait dialoguer sur des questions hautement morales, philosophiques et sociales avec un goût du paradoxe qui garantit à ses vues, vieilles de quarante ans, de rester jeunes et fraîches. Mais comme il me prend pour ce que je suis, sagace comme il est, il se dit « je sens qu'il décroche, vite (tout est relatif, après 80 pages) faut que je lui narre quelque chose à mon lecteur adoré ». Comme quoi par exemple ? Allez un machin surnaturel genre démoniaque ou euh un truc qui marche à tous les coups, par exemple une enquête sur un meurtre ! Génial ! Il m'inflige une version Z d'Agatha Christie, - "Si on avait continué à rester tous ici, dit le procureur chargé de l'enquête, ça aurait fini comme dans le roman d'Agatha Christie: tous tués l'un après l'autre (p.180)" -, un whodunnit où se croisent des personnages aux contours flousailleux , alors même qu'aucun des caractères ne m'importe - à lui non plus d'ailleurs, sauf le narrateur, évidemment - et que lui-même se fout complètement de cette enquête qu'il raconte avec un sens du suspense digne de Rudolf Carnap* . Des meurtres en carton, un corniaud d'enquêteur, des indices et des déductions de Cluedo, tout ça pour avoir droit à la prochaine saillie subtile de Sciascia. le livre, malgré sa pagination faible, devient interminable.

*Rudolf Carnap est l'auteur de "Logique inductive et probabilité", "Testabilité et signification" ou encore de "Signification et nécessité".
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Lire Sciascia est un plaisir rare. A la veille de notre départ pour Palerme, encore plus précieux!

Je me délecte de l'ironie et de l'érudition de l'auteur. Surtout ne pas s'arrêter à la longue citation de DENYS L'AEROPAGITE qui laisserait penser qu'il s'agit d'un livre savant ou ennuyeux, au contraire, c'est un livre léger (159p) qui se lit avec le sourire.

Le narrateur, un peintre connu, arrive par hasard à l'ermitage de Zafer, ermitage ou hôtel? Un peu des deux : le gratin, ministres, ecclésiastiques, avocats ou hommes d'affaires s'y rencontrent chaque année pour des exercices spirituels sous la direction de Don Gaetano, un prêtre de caractère et de grande culture qui peut citer aussi bien Boccace que Mallarmé ou La Rochefoucault que les pères de l'Eglise.

guttuso
Guttuso : crucifixion

Ces citations ne sont jamais fortuites, elles lancent de pistes que je me suis fait un plaisir de suivre (merci Wikipedia sur le smartphone!). Lecture lente donc, que j'ai savourée avec des interruptions pour retrouver un auteur, ou un peintre. le narrateur étant peintre, il est question de peinture. J'ai eu la surprise de retrouver Guttuso (que j'avais rencontré à Ravenne) - j'ai bien l'intention de visiter son musée à Bagheria!


Rencontré un dessinateur Steinberg que je ne connaissais pas... Je pourrais aussi citer les Christ de Rouault ou de Redon.

Les rencontres littéraires sont encore plus nombreuses : Pirandello, bien sûr... mais aussi Pascal...Voltaire qui recommande aux artistes de peindre les "pieds chauds". Un ministre très imbus de sa personne confond un aphorisme de la Rochefoucault avec les écritures à l'envers des emballages des crottes de chocolat. Confusion qui me fait rire aux éclats....

Au mitan du livre, au cours de la récitation du Rosaire, une célébrité est tuée d'un coup de revolver. le livre prend une autre tournure et nous voici en pleine énigme policière. L'enquête occupe la seconde moitié du livre, toujours ironique mais très pessimiste. L'auteur dénonce la corruption au sein de la Démocratie Chrétienne qui aboutira vingt ans plus tard à l'opération Mani pulite.



Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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Alors qu'il roule tranquillement sur les routes de campagne, le narrateur, un peintre célèbre, voit sa curiosité éveillée par un panneau annonçant la proximité d'un ermitage.
La bâtisse n'est pas avenante mais la rencontre étonnante avec le supérieur du lieu, Don Gaetano, convainc notre narrateur de rester sur place. Mi-monastère, mi-hôtel, l'ermitage
Zafer est en réalité un lieu de réunion régulier des grands de la société italienne : politiciens, magistrats, financiers … L'élite italienne s'y retrouve donc pour des « exercices spirituels » qui se révèlent être en réalité autant d'occasions de nouer des liens, faire des affaires et décider des grandes lignes de la politique à venir.
Derrière cette apparente respectabilité, ce sont toutes les coulisses du pouvoir que Leonardo Sciascia dénonce. D'ailleurs, une série d'assassinats vient troubler le bon déroulement du séminaire.

A l'époque où Sciascia écrit ce texte, l'Italie voit sa scène politique partagée entre deux partis : la Démocratie Chrétienne ( DC) et le Parti Communiste. La DC conserve le pouvoir depuis le lendemain de la guerre jusque dans les années 1990 où l'opération « Mains propres » lui portera un coup fatal. En effet, cette opération consistera en une série d'enquêtes visant à mettre au jour tout un système de corruption des partis politiques.
Dans ce roman politico-policier Todo Modo, c'est ce système qui est pointé du doigt par l'auteur ( le roman est paru en 1974, il aura fallu plus de 20 ans pour que le « nettoyage » soit effectué). Ainsi, les exercices spirituels de l'ermitage consistent plus en une forme de tentative d'expiation des péchés commis bien qu'ils soient aussi le prétexte à la fomentation d'autres complots et magouilles en tout genre ainsi qu'en la possibilité pour ces messieurs de sortir des convenances du mariage et de la scène publique. Leurs maîtresses les attendent donc afin d'ajouter aux exercices de « libération de l'esprit » des exercices de « libération du corps ».
Et tout cela sous le regard de Don Gaetano, prêtre hors du commun, à la lucidité, l'intelligence et la culture impressionnantes. Il semble pourtant dénué de tout sens de la moralité telle qu'on serait en droit de l'attendre d'un membre du Clergé. Pourquoi Don Gaetano, homme si éclairé et pourtant pieux, tolère ce genre de dépravation sous son toit ?
A l'entendre ( ou à le lire), c'est un homme parfaitement conscient de la nature humaine et de ses vices au point que même les membres du Clergé n'y peuvent échapper malgré tous leurs efforts.

« Je crois que le laïcisme, celui par rapport auquel vous vous dites laïques, n'est que l'envers d'un excès de respect pour l'Eglise, pour nous autres prêtres. Vous appliquez à l'Eglise, à nous-mêmes, une espèce d'aspiration perfectionniste mais tout en restant commodément au-dehors. Nous ne pouvons vous répondre qu'en vous invitant à entrer et à essayer, avec nous, d'être imparfait… »

« Mais songez, si l'homme avait accordé à l'eau, à la soif, à la boisson ( par l'effet d'un ordre différent de la création et de l'évolution), tout le sentiment, la pensée, les rites, les légitimations et les interdits qu'il a accordé à l'amour : il n'y aurait rien de plus extraordinaire, de plus prodigieux que de boire quand on a soif … »

A travers la complaisance de Don Gaetano envers ses hôtes, Sciascia dénonce aussi les rapports étroits entre le monde politique et l'Eglise accusant ainsi celle-ci de complicité directe avec les milieux corrompus.

Surviennent alors les meurtres. La police intervient guidée par le narrateur dans une sorte de jeu de pistes qui n'est pas sans rappeler ceux des romans d'Agatha Christie. Mais l'enquête ne mène nulle part. La fin apporte un élément de réponse qui, pourtant, ne solutionne pas tout et laisse le lecteur totalement perplexe. Mais pour savoir qui est l'auteur de ses crimes, il faut connaître le mobile. Or, de mobile, on n'en trouve pas. Les indices et les témoignages se contredisent, s'entremêlent comme autant de fils formant un noeud inextricable. Tous sont suspects, tous peuvent avoir un mobile, inutile donc d'essayer de remonter une éventuelle chaîne de causalité. Bien loin des traditionnels romans policiers à la trame logiquement organisée et ficelée par l'auteur, Todo Modo reste, lui, à part et bien plus ancré dans la réalité puisqu'il en reflète complètement la complexité. Tous les crimes ne sont pas élucidables et finalement, peu importent les causes, les effets sont là. le titre est d'ailleurs tiré d'une citation d'Ignace de Loyola ( fondateur des jésuites) : « Tous les moyens sont bons pour atteindre la miséricorde divine ». Tous les moyens sont bons pour parvenir ou maintenir son pouvoir, il n'y a pas d'hésitation, encore moins de scrupules.

Roman engagé, Todo Modo ne se lit pas comme un simple roman noir, il est bien plus que cela. C'est un roman surprenant par son message, sa peinture du monde politique et clérical italien et par son personnage central exceptionnel Don Gaetano. Parsemé de références philosophiques et littéraires ( Pirandello principalement mais aussi Edgar Allan Poe …), de citations, c'est un roman exigeant et étonnant qui rappelle le nom de la rose d'Umberto Eco par l'ambiance et le lieu, Agatha Christie pour l'enquête ou encore Dostoïevski et son inspecteur Petrovitch pour les dialogues entre le narrateur et Don Gaetano.

En suivant donc les pas de ce narrateur, dont on ignore l'identité jusqu'à la fin, et grâce à sa position de témoin et à une narration à la première personne, le lecteur se retrouve au coeur d'un complot politique, d'une toile dans laquelle il finit par se retrouver lui-même piégé et étourdi. Leonardo Sciascia mène son texte de façon érudite et je ne suis pas certaine d'en avoir saisi toutes les subtilités. Les citations qui ouvrent et closent le roman me sont restées quelque peu hermétiques. Quel est donc le fin mot de l'histoire ? A chaque lecteur de se faire son idée …



Lien : http://0z.fr/IGLqa
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Paru en 1974
Leonardo Sciascia prend pour prétexte une rencontre de notables venant vivre une semaine dans un hôtel à la campagne pour pratiquer des "exercices spirituels " afin de chercher et trouver la volonté divine, sous la tutelle de don Gaetano, curé et propriétaire de l'établissement, pour dénoncer le comportement de ces hommes.
"Des ministres, des députés, des présidents et des directeurs de banques, des industriels...Et trois directeurs de journaux, également". travaillés par des luttes intestines et la soif de pouvoir.

Ces hommes qui agissent dans le magma visqueux du pouvoir que la politique italienne a eu, durant les longues années de la Démocratie chrétienne, le funeste privilège de produire.
L'auteur cherche à faire la lumière sur les complots occultes du Pouvoir en dénonçant la collusion entre l'Etat et le mafia,
sur les délits impunis, sur la corruption des politiques travaillés par des luttes intestines, par la soif de pouvoir.
L'Eglise catholique n'est pas épargnée, arriviste et incroyablement aveugle face à l'absence de rigueur morale de ses pratiquants.
Reste, tout du long, le personnage don Gaetano, ecclésiastique très cultivé, insondable, ambigu, au charisme puissant.
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En voilà un livre difficile à critiquer !
Et pourtant il faut bien donner envie de le lire, car c'est un petit bijou !
Le style est élégant, l'intrigue aussi. C'est une pièce orfèvrerie énigmatique jusqu'au bout, et même après la fin !
Il donne à réfléchir surtout une fois refermé, sur sa dernière sentence qui ne clôt en rien l'enquête...
On a beau retourner en tous sens les éléments dont on dispose, rien ne vient offrir une prise sûre au raisonnement logique, aucune thèse ne satisfait pleinement l'esprit:
Qui a tué, et pourquoi ?

Telle pourrait être la leçon de Todo Modo. Et elle est dure, et difficile à amener pour un auteur ! Nombreux sont ceux qui se sont essayés à des fins énigmatiques et les ont raté !
Rien de cela ici, c'est un livre réussi en tous points: concis, précis, beau, intelligent, tout est bien choisi et organisé.
Un bijou je vous dit !
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l'art de Sciascia c'est de nous trouver un emmerdeur (du style Pignon mais en moins angoissé et plus caustique) qui en emmerde un autre du style Alinardo de Grottaferrata retors gardien du secret de « au nom de la rose ») pour notre plus grande joie avec quand même à la clé une (très) méchante critique de l'hypocrisie de la société, surtout celle d'en haut.
Là c'est exactement le cas : un peintre et non pas écrivain c'est à dire un littérateur qui aurait eu le verbe facile, et un curé. le premier, athée et laïcard qui interdirait au bon dieu d'exister s'ennuie en errant comme une âme en peine. Il tombe sur un ermitage/hôtel, sur lequel règne un curé. Ce dernier, directeur de conscience vaporeux un tantinet pape noir, y gère un séminaire de « hautes personnalités sociétales »
Les deux ayant la répartie haute étaient fait pour se rencontrer et la casuistique retorse du curé bien jésuite va entrer en résonance avec les répliques raisonnables du peintre.

Dialogue, écoute et bienveillance ne sont pas vraiment de mise dans ce séminaire il y a même une certaine distorsion entre l'intention et le geste.
Les exercices spirituels façon Ignace de Loyola en sont gênés voire perturbés par les maîtresses qui cohabitent avec ces braves messieurs.
On n'y parle pas « en tous chemins, en tous lieux que du Bon Dieu » comme Dominique et de pénitences salvatrices et le séminariste n'est pas un contemplatif comme saint Benoît de Nursie lorsqu'il y a distribution, non pas de grâces mais de petits chèques en fin de mois

Sciascia nous concocte une fantastique scène de danse de foules, le soir sur l'esplanade de l'hôtel. Les personnalités forment un carré et évoluent en récitant le rosaire Une sorte de groove en harmonie avec l'air du «notre père» ou l'«Ave Maria» Autrement dit: une sorte de danse de groupe «mélange de Cupidon» (J'essaye d'imaginer la scène avec des grossiums en pantalons knickers et des chaussettes blanches ou chandails Jacquard Prince de Galles à losange ou chevron)
« À droite, à droite":
« À gauche à gauche":
« Donner un coup… "
« Maintenant, marche par toi-même:"
..
Pas vraiment funky mais plutôt scary et à forte raison prémonitoire puisque Pan ! Pan !
«  et un cadavre… »

Oui Sciascia nous place un cadavre en pleine célébration christique suivit très rapidement par d'autres, mise en scène, direz vous, « perinde ac cadaver » (comme un cadavre) répondent les jésuites.
Bref cela va ennuyer tout le monde du ministre au cuisinier qui sustente avec efficacité ces invités, du commissaire qui travaille les mains dans les poches car à deux mois de la retraite au procureur qui lui, va devoir boucler tout ça sans faire de vagues et poser ainsi quelques problèmes moraux mais si peu
Surtout que tout le monde se comporte comme les trois singes de la sagesse « pas vu (il m'a semblé) pas dit (ou alors pas fort comme dirait Coluche) pas entendu  (comment ? ) »
Un roman un peu intellectuel et cultivé comme d'habitude mais non là un peu plus. Savoureux
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Un peintre célèbre se trouvé au hasard d'un deplacement, à l'ermitage Zafer. Un ancien lieu recueillement transformé en hôtel. Sympathisant avec le maître des lieux Don Gaëtano, un écclésiastique érudit il décide de rester pour participer à une semaine d'exercice spirituel avec un groupe de notable (ministre, notaire, ....). Tout ceci va donner lieu à des échanges cultivés sur l'art, la vie, la religion... tous les personnages sont ambigus, peu sympathiques et j'ai eu du mal à m'attacher à ces hommes riches et compromis. Maîtresses, argents, politiques.... dans ce huit clos étouffant 3 morts sans explications viendront parachever un tableau qui sans contexte est de couleur noire.
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