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sur 133 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Il y quatre siècles à peine, un tiers seulement de la population mondiale vivait dans des Etats.

Homo Domesticus est un essai très intéressant qui s'intéresse à deux énigmes de l'histoire de l'humanité. La première, la révolution "néolithique", est celle de l'origine de l'agriculture qui a transformé de petits groupes de chasseurs-cueilleurs nomades en villageois sédentaires à la démographie galopante. La seconde, succédant à la première plusieurs millénaires après, est la révolution urbaine qui a permis l'apparition des premiers Etats centralisés.

L'émergence de l'agriculture s'est étalée sur des siècles, voire des millénaires. Elle a connu des retours en arrière et l'on peut s'interroger sur les raisons qui ont vu des groupes de chasseurs-cueilleurs s'asservir au travail lent et pénible de la terre, gourmand en main d'oeuvre, exigeant des soins quotidiens, quand, au préalable, la recherche de leur pitance ne les occupait que quelques heures par jour .

L'Etat s'est quant à lui développé à partir des foyers de monoculture céréalières dont la concentration de la production les rendait propices au prélèvement fiscal, à l'appropriation, au stockage, au rationnement et aux registres cadastraux raison première de l'invention de l'écriture.

L'Etat, c'est le contrôle des populations que la culture céréalière permet. Avec son émergence, vient également l'esclavage. Et les premières guerres, sont moins motivées par des désirs de conquête territoriale que par le besoin de main d'oeuvre essentielle à la survie des premiers Etats.

Rien ne pouvait cependant laisser supposer que l'Etat allait finir par dominer le mode d'organisation social et politique que l'humanité connait aujourd'hui. Et de fait, jusqu'au début du XVIIième siècle, ce n'est qu'une fraction minoritaire de l'humanité qui vit sous sa férule. L'Etat, à sa naissance est fragile, sujet à bien des péripéties : prédation des tribus pastorale nomades alentour, épidémies, catastrophes écologique. Là également, son émergence s'est étalée sur plusieurs millénaires et a connu bien des expérimentations malheureuses.

Il semble toutefois que les périodes d'effondrement des premiers Etats, n'étaient finalement pas pour les hommes, un retour aux âges sombres de l'humanité, tel qu'on peut le percevoir au prisme de notre fascination pour les grandes réalisations architecturales qui ont contribué à glorifier leur grandeur, mais plutôt une libération.

Et c'est enfin une réflexion plus profonde sur les relations entre périphérie nomade, les barbares, et centres étatiques, les deux étant finalement en compétition pour conserver leur capacité de prédation des économies villageoises à même de composer au mieux avec l'environnement. C'est de la nature même de ces relations interdépendantes que les barbares ont fini par creuser leur propre tombe en reconstituant pour les Etats les reserves de main d'oeuvre qu'ils leurs livraient ou en leur fournissant les mercenaires dont il avait besoin pour garantir sa survie.

James C.Scott s'intéresse essentiellement au Croissant Fertile qui a vu émerger les premieres villes du monde, puis les cités-Etats, d'abord indépendantes et par la suite regroupées en royaumes et en empires. Mais il note des parallèles intéressants en Chine, en Inde, en Europe et sur le continent américain.

Parfois répétitif, par moment très érudit, ce livre se lit néanmoins facilement et offre finalement quelques clés de lectures intéressantes pour comprendre les logiques géopolitiques qui traversent notre monde actuel.
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Partant sur les pistes de la formation des premiers véritables Etats de l'humanité, dans la Mésopotamie antique, James C. Scott nous livre un pavé dont il a le secret. Une approche stimulante, originale, qui a le mérite de contester toute nos idées reçus. Plusieurs de ses affirmations restent cependant à confirmer par de nouvelles recherches et découvertes archéologiques.

L'histoire se passe en Basse Mésopotamie dans la deuxième moitié du IVe millénaire avant notre ère. Pour qui, comme moi, ne s'était intéressé que de loin à cet espace-temps, ce livre peut réintérroger bien des représentations. J'en étais resté à une vision classique : les hommes se sont sédentarisés, ont inventés l'agriculture pour pouvoir répondre aux besoins d'une population croissante, et l'Etat a germé de la nécessaire organisation d'une société de plus en plus nombreuse et complexe.

Sauf que cette vision, ce « grand récit civilisationnel », comme on peut l'appeler, a grosso modo tout faux. Et a du être abandonné devant l'accumulation des preuves archéologiques.

— D'abord, la sédentarité a très largement précédé l'agriculture. Dans les zones humides de Basse Mésopotamie, celles-là mêmes qui verront naitre les premiers Etats, la gamme de ressources alimentaires était si vaste et si varié que les chasseurs cueilleurs pouvaient s'installer en villages, sans avoir besoin d'être mobiles.

— de deux, l'agriculture n'a pas été un acquis « une bonne fois pour toutes ». Sur plusieurs millénaires, des traces d'agriculture apparaissent puis disparaissent, cohabitent avec d'autres modes de subsistance. En fait Scott note que tout donne à croire que les humains aient fait le maximum pour éviter d'avoir à trop dépendre de l'agriculture – activité fatiguante et peu productive au regard des multiples modes de chasse, pêche et cueillettes qui existaient dans cette région. C'est encore plus marqué pour la domestication : impossible de tracer un « avant » et un « après », ça semble s'être fait petit à petit, avec des allers retours, selon les besoins du moment.

— de trois, même quand il y a eu sédentarité, agriculture et société nombreuse, cela n'a pas automatiquement donné une société avec Etat. En fait, de façon générale, Scott – sources à l'appui – avance qu'il a fallu 4000 ans pour qu'apparaissent les sociétés agropastorales que nous associons au début de la civilisation.

Ensuite, une autre partie du livre est consacrée à expliquer le fonctionnement de ces premiers Etats (plutôt des Cités-Etats), leurs relations entre eux principalement faite de concurrence, et de guerres avec captures de prisonniers (pas des guerres de conquête de territoire), mais aussi leurs effondrements. Car c'est une donnée amplement documenté en Mésopotamie mais aussi en Chine, pourtour méditerranéen et Amérique centrale : partout où les premiers Etats se formaient, ils s'écroulaient au bout de quelques siècles, voire quelques années. N'en découlait pas forcément le chaos, mais plutôt des populations plus dispersés, en petits villages, voire un retour vers de la mobilité de chasseurs-cueilleurs.

La vie n'était pas forcément meilleure sous le joug d'un Etat – au contraire. Scott s'emploie à montrer comment une des premières contraintes d'un Etat devait être de fixer sa population autour d'un point central, notamment par la force. Etat = appropriation d'un excédent alimentaire, grâce à la culture des céréale, au profit d'une minorité non productive (dirigeants, prêtres, soldats...). Avant l'apparition des Etats, on ne trouve guère trace d'inégalités marquées – même dans les sociétés complexes et nombreuses.

De ce livre stimulant, je n'ai sans doute pas tout résumé, ni abordé l'intégralité des sujets. Je pointerais pour finir la faiblesse, la seule selon moi de cet ouvrage qui est par ailleurs amplement documenté, sourcé et dont on peut vérifier les dires par d'autres lectures complémentaires : la faiblesse, c'est le risque de raisonnement cyclique. Comme nous parlons d'époques dont les traces archéologiques sont lacunaires, on est obligé de travailler à partir d'hypothèses. Et Scott fait des hypothèses à partir de ses hypothèses ; si la 1ere s'écroule, toute la suite s'en trouverait invalidée.

Il n'empêche que la préface de Jean Paul Demoule, archéologue, préhistorien français et professeur émérite de protohistoire européenne à l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, est pour moi un immense gage de sérieux. J'apprécie énormément Demoule. La caution de l'ancien président de l'INRA n'est pas rien.
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Je ne vais pas résumer le bouquin ici, d'autres s'en sont chargés depuis la parution du livre avec plus de talent et d'esprit de synthèse que je n'en ai. Je tiens à rassurer les parents susceptibles de me lire: certes on enseigne le Paléolithique, le Néolithique, la naissance de l'agriculture et de l'écriture et l'apparition des premières cités-Etats en Sixième, mais si le professeur est un peu sérieux il ne fait pas les amalgames que l'auteur énonce en début d'ouvrage. Cependant, cela n'empêche pas les élèves de les faire par la suite... si tant est qu'ils se souviennent de ces quelques heures de préhistoire qui ne pèsent pas lourd dans leur cursus.
Ceci étant dit, il s'agit d'un ouvrage d'une grande érudition, sérieux, documenté, mais aussi plein d'humour et surtout très agréable à lire pour le vulgum pecus dont je fais partie. Il m'a permis de faire des liens entre mes quelques bribes de connaissances et de m'apporter d'autres éclairages. L'auteur cite toujours ses sources et énonce ses positions très clairement à chaque fois qu'il spécule.
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Un ouvrage représentatif de l'anthropologie anarchiste américaine qui démonte l'histoire classique des premiers états. Construits sur l'exploitation de ce que James C. Scott appelle le module "céréales /main d'oeuvre", ces états ont certes été à l'origine des brillantes civilisations, mais à un coût humain et naturel exorbitant. En comparaison les peuples sans État, appelés barbares, ont su utiliser de façon plus durable les ressources qu'ils cueillaient et chassaient, tout en conservant un grande part de liberté dans leurs déplacements, échappant à l'entreprise de domestication dont ont été victimes les agriculteurs et éleveurs sédentaires.
Une lecture enrichissante et stimulante.
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« Homo Domesticus » de James C.Scott . Un livre sur « L'histoire profonde des premiers Etats » (c'est le sous-titre) et qui parle de notre temps ! Non , ce n'est pas un paradoxe car l'auteur appartient à la catégorie de ceux qui pensent en dehors du troupeau, ces anarchistes de la connaissance qui remettent en cause dogmes et certitudes. Ainsi la belle histoire de l'ascension de l'homme hors de la barbarie vers les délices de l'Etat serait une « fake-new » ! On ne pourrait y voir que la progressive domestication de l'homme par l'homme … Savez-vous que ce processus a entraîné chez les animaux une baisse drastique de l'intelligence et une réduction du potentiel d'adaptation…Comment ne pas penser aux constatations actuelles sur la baisse du QI des humains ( processus d'Hanounisation) …. Un essai stimulant .
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L'une des choses de que je recherche en lisant un livre, en particulier un essai, c'est d'être dérangée, chatouillée, dans mes habitudes de penser. J'aime les livres qui nous font remettre en question ce que l'on a jamais pensé à secouer par nous mêmes. Et Homo Domesticus de James C. Scott en est un bon exemple. Je connaissais son livre précédent Zomia mais il est toujours sur la liste de lecture.
J'ai donc commencé par celui-ci, (peut-être parce qu'il me semblait le plus dérangeant ?). Je m'attendais à apprendre beaucoup et je n'ai pas été déçue. Mes connaissances en matière de Préhistoire se limitaient à quelques souvenirs d'école, cela pourtant ne gêne en rien la compréhension du livre tant le propos est clair et accessible. En plus, de développer mes connaissances sur l'époque il a permis également de la mettre à jour avec les dernières découvertes archéologiques. En effet, l'auteur présente lui-même son ouvrage comme une somme des dernières recherches sur la Mésopotamie en particulier. Ce que l'on apprend ne donne qu'envie de creuser. Loin des clichés et du roman de la "naissance de la civilisation", nous découvrons que les premiers États n'avaient de stables ou de pérennes, que la sédentarité ne s'oppose pas au nomadisme, ni n'était définitive une bonne fois pour toute. La sédentarité a ses débuts n'avait rien d'un long fleuve tranquille, mais au contraire, était soumise aux maladies, à plus de travail, aux impôts et autres corvées. Bref, l'histoire humaine du monde tel que nous le vivons ne s'est pas faite comme une ligne droite irréversible comme nous l'avons trop souvent entendu. La thèse de l'auteur étant que la domestication des animaux et des végétaux a entrainé aussi une domestication des hommes.
Ce livre m'a donné envie de lire Zomia, que je pense placé en plus haut dans ma liste de lecture.

PS: il s'agit ici de ma 1ère critique, alors soyez indulgents, pardonnez mes maladresses.
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