AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782702180761
280 pages
Calmann-Lévy (23/08/2023)
3.14/5   446 notes
Résumé :
Alex, Margot et Jacques sont inséparables. Pourtant, Alex, compositrice de musique de films, a décidé de quitter Paris. À quarante-cinq ans, installée au milieu de nulle part, elle va devoir se réinventer. Qu’importe, elle réalise enfin son rêve de vivre ailleurs et seule.
Après La Grâce et les Ténèbres, Ann Scott livre un roman très intime. Son écriture précise et ses personnages d’une étonnante acuité nous entraînent dans une subtile réflexion sur nos rêv... >Voir plus
Que lire après Les InsolentsVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (95) Voir plus Ajouter une critique
3,14

sur 446 notes
C'est l'histoire de trois amis Alex, Margot et Jacques, Alex est compositrice de musique, reconnue, mais du jour au lendemain elle décide de quitter Paris, pour s'installer au fin fond du Finistère. Une maison qu'elle a loué sans l'avoir vu. Elle se retrouve dans une demeure glaciale, loin de tout, loin des commerces, difficile de parcourir plus de 10 km sans permis, mais ce problème va vite être résolue. La mer, la nature l'entourent, loin du bruit , seul le silence règne. Pour Alex une nouvelle vie, se retrouver, se reconstruire, loin des lumières parisiennes. Margot et Jaques restent sur Paris, etant septiques du départ de leur amie D'autres personnages viennent se greffer autour de ce trio, certains vivent avec des maux ensevelis au plus profond d 'eux.
A travers ce roman Ann Scott met en évidence d'une façon subtile, une remise en question des personnages, une remise en question de leur passé ,leur avenir, un au revoir à la quarantaine pour laisser place à la cinquantaine. Elle nous met en garde également sur les nouveaux réseaux sociaux, qui bouffent la vie des gens, Des personnes qui sont obnubilés pour avoir le plus nombre de like sur leurs commentaires, une sorte de maladie psychique, ce système de compétitions qui se créent, un milieu malsain, tout cela sous la période du Covid, où tout à changer. Elle nous parle également de homosexualité, qui permet de mieux comprendre également la psyché de certains personnages
Un roman fort réaliste sur la vie., qui nous laisse dans le questionnement du début jusqu'au final, Les déboires de la vie, des personnes mais où l'amitié reste intact. Ce roman est une ode à la vie, à l'espoir Ce roman est sensible, subtile, nous ouvrant les yeux sur la vie de notre société actuelle.
Un roman qui m'a transporté, je me suis reconnue sur certains passages de cette hiistoire, Une réalité qui prend la place de la partie fiction Ann Scott signe un livre remarquable, Une belle découverte.
Commenter  J’apprécie          1168
Un temps colocataire de Virginie Despentes et longtemps figure des nuits techno-queer parisiennes, l'ex-mannequin et batteuse punk Ann Scott que son roman culte Superstars avait propulsée en 2000 porte-étendard de la Génération X et de la pop culture française, a tout quitté il y a une poignée d'années pour la solitude au plus secret d'un bout de côte bretonne. Dans ce dernier roman couronné du prix Renaudot 2023, elle met en scène son double littéraire, en quête de réinvention.


A quarante ans passés, Alex ne supporte plus sa vie parisienne : son logement étroit en plein coeur du Marais ; le tapage de son milieu branché où, compositrice de musique de film et ex-guitariste fan de Velvet Underground, elle ne s'entend plus créer ; ses amours compliquées, masculines et féminines, désespérément condamnées à l'impasse. Sans même prendre le temps de la visiter, la voilà qui loue une maison en Bretagne, prend le train en attendant que ses cartons la suivent, et entame une nouvelle et spartiate existence, seule à proximité d'un maigre hameau désert, à plusieurs kilomètres du moindre commerce alors qu'elle n'est pas motorisée, sans chauffage ou presque, mais au calme avec son jardin et le voisinage vivifiant de la mer.


Elle abandonne ses rares amis proches, tout aussi minés par le mal-être et pourtant à mille lieues de s'imaginer quitter le bitume parisien, mais, à l'heure où, jeunesse enfuie, s'impose le premier bilan d'une vie qu'elle aura voulu brûler par les deux bouts, à grands coups de déglingues, de passions et de défonces en tout genre, la solitude restant son bien le plus évident, autant qu'elle lui serve à renouer avec ses voix intérieures, pour son propre équilibre et pour sa création musicale. Si le ton est mélancolique, Alex fait preuve d'une résilience obstinée, contrairement à son amie Margot et à son nouveau voisin Léo à jamais la proie d'insurmontables démons intérieurs. « Les illusions sont faites pour être perdues », admet-elle. Alors, elle fait face à ses mille nouvelles servitudes quotidiennes, apprend à se contenter des petites choses : « La beauté est faite pour les gens qui ont le temps de l'absorber » et à se recentrer sur l'essentiel : « Il n'y a rien ici, rien d'autre que ce qui se passe en dedans ». Dans sa solitude bretonne, elle finit par se sentir moins seule que dans la foule parisienne. « Elle est entourée de tous les génies imaginables à chaque seconde. Il lui suffit de mettre n'importe quel disque, de plonger dans n'importe quel film, d'ouvrir n'importe quel livre. Elle parle à ses fantômes en permanence. »


L'autodérision se mêle à la mélancolie dans cette évocation très autobiographique des désillusions qui ont fait place aux rêves des « insolents », cette jeunesse festive éprise de liberté maximale qui, de punk attitude en révolution sonique, a fait la vitalité de l'underground culturel parisien des années 1980 et 1990. L'avant-garde a pris de l'âge et ne se reconnaît plus dans le Paris d'aujourd'hui. Non seulement les artistes d'alors, en tête desquels Ann Scott aime citer Lou Reed et Bowie, ont disparu, mais personne ne les remplace. « YouTube est rempli de centaines de milliers de guitaristes et de bassistes et de batteurs qui font des reprises et qui sont super doués, mais sans le truc avant-garde qui sidère ou l'émotion qui va scotcher toute une génération. Ils ont la technique mais rien de plus, et quand bien même ce serait le cas, pendant combien de jours ou d'heures une découverte nourrit avant qu'on passe à la suivante ? » « Il n'y a plus que la frustration d'essayer de faire de l'art dans une époque qui s'en fout », le pire restant sans doute à venir avec l'intelligence artificielle pour, sans génie, refondre l'existant à l'infini.


Roman intime des désillusions de l'auteur âgée de cinquante-sept ans, ce récit d'un exil volontaire loin de la scène parisienne est l'ultime révolte d'une artiste éprise de liberté, désespérée de voir les techniques numériques et les réseaux sociaux ronger peu à peu la création. Beaux objets techniques créés à la chaîne et sans âme par des machines – photographies, musiques et bientôt livres –, produits sitôt consommés, sitôt jetés et oubliés, qu'auront-ils encore d'artistique ? Alors, mieux vaut claquer la porte avant qu'elle ne se claque toute seule. « Elle ne reviendra que si l'art sauve de nouveau. Peut-être un jour, peut-être jamais. »

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          899
Avec ce prix Renaudot, je découvre une auteure que je n'avais encore jamais lue.
L'histoire, assez courte et sans grandes péripéties, c'est celle d'Alex, une musicienne qui, un matin, décide de quitter Paris et son tumulte pour aller s'exiler dans un coin perdu du Finistère. La maison qu'elle loue, elle l'a dénichée sur le net, c'est une maison sans charme et glaciale l'hiver, loin des zones habitées. Mais la mer est là, tout près.

« Et brusquement, elle le voit. L'océan est là, au bout de la petite route à une centaine de mètres. Elle voit le blanc du sable, et la ligne qui sépare le bleu du ciel de l'eau. Elle commence à sentir l'air marin au fur et à mesure qu'elle se rapproche »

Cet isolement que la musicienne quadragénaire a voulu, loin de ses amis, doit lui permettre, enfin elle l'espère, de se recentrer sur sa musique et de composer un nouvel album solo. Dans sa solitude, elle se recentre sur elle et revient sur sa vie qu'elle fait dérouler comme les séquences d'un film. Elle explore ses relations amoureuses, Lou, Margot ou encore Jean qu'elle vient de quitter et à qui elle ne parle plus. Dans cette maison inconfortable et isolée, elle organise une nouvelle existence.

« Elle ne se sent pas seule, ici, et elle ne l'est pas. Elle est entourée de tous les génies imaginables à chaque seconde. Il lui suffit de mettre n'importe quel disque, de plonger dans n'importe quel film, d'ouvrir n'importe quel livre. Elle parle à ses fantômes en permanence. »

Puis c'est le confinement dû au Covid. Ses amis parisiens le vivent avec difficulté tandis qu'elle, sur son bord de mer, poursuit ses promenades sans rien changer à ses habitudes.
Le long de ce récit intimiste, passent les vies de ses amis. Il y a Margot dont le petit frère s'est suicidé, et Jacques qui ne sait comment quitter son jeune amant. Et surtout Jean, l'ami devenu son amant et qu'elle a quitté. Il lui renvoie son amertume et son mépris en disant d'elle qu'elle n'est qu'une « petite conne habituée à être courtisée et à qui tout est dû. Une égoïste qui s'est servie de lui à un moment où elle se sentait trop seule. »
On croise aussi Léo, jeune homme fracassé, qui ne fera que couper la trajectoire d'Alex.
Ces personnages qui gravitent autour d'Alex comme des papillons attirés par la lumière, nous en disent davantage sur la personnalité complexe de l'héroïne.
Tous ont perdu leurs illusions, et l'épidémie de Covid ne fait qu'accélérer les choses. Peut-être qu'Alex est précurseur en voulant d'une autre vie déconnectée des réseaux sociaux et loin de Paris afin de se retrouver.
Ce sont tous ces personnages qui sont les insolents du titre, mais j'avoue ne pas avoir très bien compris ce choix des insolents pour des personnages dont l'auteure nous montre les fêlures.

Avec une écriture sans fioriture et tout en nuance, Ann Scott nous offre un récit intimiste et mélancolique et un portrait de femme tout en finesse.

.
Commenter  J’apprécie          732
Alex est musicienne, parisienne, bisexuelle. Elle compose des musiques de films, gagne bien sa vie, a deux meilleurs amis, Margot et Jacques. Inséparables, ils se perdent pourtant un peu dans les nuits parisiennes, la drogue, l'alcool, la fête. Alex se met en danger, Margot s'abîme et Jacques est l'équilibre entre les deux.

Alex va quitter brusquement Paris et ses amis, louer une maison jamais visitée au bord de la mer, loin de tout, au bout de tout. Elle a besoin d'autre chose, d'exil, de silence, surtout de silence. Mais pour vivre comme ça, sans véhicule, les difficultés sont nombreuses et Alex va devoir apprendre. On va la suivre sur quatre saisons, ainsi que Margot et Jacques restés à Paris et Léo qui n'habite pas très loin de chez Alex et qui a eu un coup de foudre pour elle.

Le point commun entre ces personnages sont les traumatismes et la solitude, la solitude parmi les autres. Si certains s'enlisent et n'arrivent pas à se construire, d'autres se servent de leurs failles pour se retrouver et en faire une force.

Quelques soient les raisons pour lesquelles Alex a quitté Paris, elle va trouver son équilibre, seule, au bord de cet océan, malgré les contraintes logistiques de sa vie, et va se rendre compte qu'elle n'a plus besoin de travailler, elle n'en a pas envie. Regarder un lever de soleil, écouter le bruit du ressac, hypnotique, le silence de la maison, vont lui permettre de trouver la paix, une certaine sérénité.

Le covid va faire son apparition, ne changeant en rien les habitudes d'Alex et Léo. Margot et Jacques, en revanche, vont souffrir du premier confinement. Léo va décrire son ancien emploi chez un géant des réseaux sociaux, avec le constat de la violence angoissante et habituelle.

C'est un roman actuel, d'une écriture simple mais combien percutante, avec de multiples sujets. J'aime partir loin de tout et me retrouver loin de toute cette violence sociétale, je me suis retrouvée dans la nouvelle vie d'Alex avec toutes les difficultés rencontrées, dans le constat de Léo, dans cet équilibre précaire qui peut nous faire vaciller à tout moment. Une belle découverte, une pépite.


Lien : http://pyrouette.canalblog.c..
Commenter  J’apprécie          703
Trois personnages se partagent les chapitres de ce roman. C'est autour d'Alex, qu'ils gravitent, unis par une vieille amitié. Alex, la quarantaine, compose des musiques de films mais décide brutalement de quitter Paris et découvre que la vie en province nécessite de changer d'organisation au quotidien. le rêve peut virer au cauchemar, sauf si suffisamment de sagesse vient nuancer le raisonnement et conduit à mettre à profit la solitude pour revoir sa façon de penser.
Léo vit à proximité et fantasme sur cette femme solitaire. Lui aussi a vécu un drame qui a bouleversé son destin.

Réflexion sur ce que notre monde offre comme perspectives, et comment l'aléatoire peut brutalement infléchir une trajectoire, qui finalement n'est pas le résultat de choix déterminés.

Chaque personnage porte des blessures qu'ils tentent d'occulter mais qui influent jour après jour sur leurs décisions, et restreignent le champ de possibles avec le temps qui passe.

Roman intimiste, un peu lent, que j'oublierai sans doute rapidement

196 pages Calmann-lévy 23 août 2023

Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          732


critiques presse (6)
Culturebox
09 janvier 2024
C’est un roman qui oscille entre la vie quotidienne de la narratrice et ses pensées, ou celles de son entourage. Ann Scott y a mis beaucoup d’elle, c’est très intime, très sensible !
Lire la critique sur le site : Culturebox
LaPresse
18 décembre 2023
En fin de compte, que fait-on de nos désillusions, de nos regrets [...] une fois qu’on se rend compte qu’on a franchi la moitié de sa vie ? On se dépouille de tout pour se retrouver : c’est le constat qu’impose Ann Scott dans ce roman magistral.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Bibliobs
27 novembre 2023
Au début des années 2000, on a aimé l’autrice de « Superstar » pour sa chronique d’une certaine vie parisienne. On retrouve avec plaisir son regard et sa langue dans le roman primé « les Insolents », sur son départ de la capitale.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Actualitte
15 novembre 2023
Avec ces histoires vivantes, Ann Scott nous offre une certaine hâte-de-quelque-chose minutieusement décrite et décortiquée, [...] une dystopie sentimentale à la coloration réaliste, au ton sobre, aux mots sans fastes, qui suggère un cri silencieux et commun sur le plaisir simple et spontané de se (re)trouver.
Lire la critique sur le site : Actualitte
SudOuestPresse
09 novembre 2023
Alex, Jacques, Margot, Jean et les autres… Ann Scott signe un portrait de groupe centré sur une femme qui veut se réinventer. Roman délicat et mélancolique.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
LeMonde
30 octobre 2023
Si "Les Insolents" pose une question générationnelle – comment vieillir quand on a incarné la plus brûlante des jeunesses ? –, il dépasse pourtant l’air du temps.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (92) Voir plus Ajouter une citation
S'il lui restait quelques heures à vivre, elle viendrait sûrement s'asseoir sur un des bancs du chemin côtier face à la mer. Le bruit du ressac à quelque chose d'hypnotique, d'apaisant. Il y aurait quelque chose de rassurant à s'éteindre là, face à cette immensité immuable, cette permanence.
Commenter  J’apprécie          20
Elle retourne dans l'entrée chercher ses sacs qu'elle emporte dans le salon et s'accroupit pour les ouvrir. Les déménageurs n'arriveront que dans cinq jours mais ce qu'elle a apporté suffira d'ici là. Du plus gros sac elle extirpe la couette, qu'elle est parvenue à compresser, en prenant soin de ne pas faire tomber l'ordinateur glissé dedans. Du deuxième elle sort l'oreiller avec la taie, le drap, la serviette, le rouleau de PQ, la cartouche de cigarettes, la trousse de toilette, les quelques tee-shirts, culottes et chaussettes de rechange. Pour le reste, elle fera avec le jean, le pull et les baskets qu'elle a sur elle. Elle emporte le dernier sac dans la cuisine pour étaler son contenu sur le plan de travail. L'assiette, la casserole, la passoire, la fourchette, le couteau, le mug, la boule à thé, le paquet de thé, les pâtes, l'huile d'olive, et le morceau de parmesan qu'elle a failli oublier ce matin dans le réfrigérateur de Margot. Elle va ensuite mettre le rouleau de papier dans les toilettes, la serviette et la trousse dans la salle de bains, puis elle revient chercher ce qui est pour le lit et emporte le tout dans la chambre du fond. Elle a beau avoir dormi tout du long dans le train, elle a besoin d'une sieste.
(p.23)
Commenter  J’apprécie          1710
(Les premières pages du livre)
NYC, hiver 92
La plupart des gens sont seuls, ou se sentent seuls, ou ont peur de l’être. Peut-être est-ce pour ça que certains se comportent de manière vraiment merdique. Mais je ne me demande plus jamais pourquoi les gens font ce qu’ils font. Quand on relie entre elles les choses qu’ils choisissent de nous montrer d’eux-mêmes, on trouve facilement l’origine du problème, mais l’impuissance face à ça est toujours un crève-cœur. Et puis il y a ceux qu’on ne fait que croiser, qu’on ne côtoie pas assez longuement pour les comprendre, comme cette fois-là, au début des années quatre-vingt-dix, alors que je venais d’avoir dix-huit ans et que je m’étais retrouvée dans la foule d’un trottoir bondé, à New York, avec pour tout bagage, avant que les choses tournent mal, un flight case de guitare qui pesait un âne mort et un petit sac en bandoulière. Ma mère m’avait offert ce voyage pour mon anniversaire et, pour me récompenser de ne pas avoir abandonné le piano malgré mon obsession pour la guitare, elle m’avait aussi donné de quoi m’offrir une Gibson vintage que je m’étais empressée d’aller acheter dès la descente de l’avion. Je devais avoir l’air un peu idiote, sur le trottoir, sans manteau en plein mois de janvier, avec des badges du Velvet sur le revers de ma veste en jean et ce flight case trop lourd que je n’en finissais pas de changer de main. J’étais frigorifiée, crevée par les huit heures de vol, sonnée par le flux incessant de passants autour de moi, la cacophonie des embouteillages, la multitude de pubs gigantesques placardées partout. J’étais sur le point de retourner dans le métro quand un type m’avait abordée pour me demander du feu. Si je m’étais contentée de l’ignorer, ce séjour aurait probablement été tout autre. Mais il était d’une beauté saisissante, un genre de tête d’oiseau à la Beckett, émacié avec des cheveux en brosse décolorés et un regard bleu pâle à la fois fiévreux et complètement absent. En remarquant le flight case, il avait dit qu’il était aussi guitariste, qu’il connaissait tout le monde, qu’il pouvait me présenter qui je voulais, et une demi-heure plus tard, j’étais attablée en face de lui dans un café de Chinatown à me brûler la langue avec du thé bouillant. Il s’appelait Ritchie et, tandis qu’il dévorait un beignet qu’il trempait dans sa tasse en léchant la graisse luisante sur ses doigts, j’avais bien vu que ses ongles étaient trop longs pour jouer de la guitare. J’avais aussi remarqué que le vieux Chinois, derrière le comptoir, me jetait des regards appuyés par-dessus son journal comme s’il essayait de me faire comprendre quelque chose. Mais quand on était ressortis de là, à la nuit tombée, je l’avais quand même suivi au lieu de chercher un hôtel. Chez lui, dans un appartement qui consistait en une seule pièce avec un matelas à même le sol et quelques affaires éparpillées, j’avais hésité en le regardant faire chauffer une cuiller et, quand il avait commencé à se déshabiller, j’avais aussi halluciné que ce soit finalement une fille. Mais ces deux choses que j’essayais pour la première fois étaient assez cool pour que je ne trouve rien à redire. Le lendemain, quand j’avais émergé, Ritchie avait disparu, ma guitare aussi, et mon sac avec mon argent, mon passeport et mes quelques vêtements aussi. Ma veste en jean était toujours là mais Ritchie en avait fait les poches et embarqué mes cigarettes et mes chewing-gums. Je n’avais plus que mon billet d’avion, resté plié dans la poche arrière de mon jean que j’avais remis dans la nuit quand j’avais eu froid, et j’avais alors compris que l’appart était un squat et que Ritchie avait dû partir dans un autre sans intention de revenir dans celui-ci. Si j’avais été plus courageuse, j’aurais peut-être erré comme Joe Buck dans Macadam Cowboy ou, qui sait, croisé d’autres junkies ici ou là, et le matelas entre ces quatre murs serait devenu mon point d’ancrage, pour un temps, jusqu’à ce qu’on me retrouve toute bleue avec pour seule identité mes badges du Velvet sur ma veste en jean. Au lieu de ça, j’avais bloqué le bas de la porte pour l’empêcher de se refermer et j’étais partie à la recherche d’un commissariat où faire une déclaration de perte de passeport. J’étais restée calme pendant que le flic m’avait aidée à changer mon vol de retour, puis qu’il m’avait apporté un sandwich et donné de quoi prendre le métro pour me rendre à l’aéroport le lendemain. Mais plus tard, cette nuit-là, recroquevillée sur le matelas dans la pénombre, avec pour seule lumière le reflet orangé d’un lampadaire de la rue qui faisait ressortir les auréoles de la moquette crasseuse, transie de froid sous la couette que Ritchie avait dû laisser sur moi au lieu de l’embarquer aussi pour éviter que je me réveille, j’avais fini par fondre en larmes. Pas seulement parce que je n’avais plus la guitare et que je n’avais même pas eu le temps d’en jouer à part en l’essayant dans le magasin. Pas non plus parce que je ne verrais pas les endroits sur lesquels je fantasmais, sans savoir qu’ils n’existaient plus depuis longtemps, qu’ils avaient été rasés et remplacés par des parkings ou des chaînes de fast-food. Je pleurais parce que j’avais espéré qu’en une semaine, j’aurais le temps de rencontrer d’autres musiciens. Des gens dans le même trip que moi, qui me donneraient envie de revenir souvent ou même de déménager. Tout plutôt que de rester coincée à Paris où je ne croisais jamais personne qui me transporte, qui ait la même énergie, le même enthousiasme, la même incandescence. Personne avec qui monter un groupe ou ne serait-ce que partager ce qui était vital pour moi – la musique, les films, les livres dont je me nourrissais. Paris où ce décalage entre ce que j’étais et ce qui m’entourait me donnait le sentiment de ne pas avoir ma place dans le même monde que les autres sur les trottoirs.

PREMIÈRE PARTIE
L’EXTÉRIEUR
Trois décennies plus tard, c’est d’un train qu’elle vient de descendre, et Paris et tout ce qui allait avec est enfin terminé.
Elle est assise sur la terrasse de la maison, sur la marche d’une des portes-fenêtres, adossée à un volet fermé du salon, du moins de ce qu’elle suppose être le salon si elle a bien compris le plan qu’on lui a envoyé. Elle n’est même pas encore entrée dans cette maison qu’elle vient de louer sans la visiter. En arrivant, elle a seulement fait le tour du jardin qui continue derrière avant de revenir s’asseoir de ce côté et, depuis deux heures, elle contemple ce qu’elle a sous les yeux. L’herbe de la pelouse un peu haute remplie de pâquerettes. Le magnolia à une extrémité de la terrasse avec quelques fleurs blanches qui tiennent encore, tandis que la plupart qui ont déjà fané jonchent l’herbe en dessous. L’érable couleur prune qui se dresse dans le fond avant la haie qui sépare du voisin. Les autres arbres au-delà de la haie, dans les jardins plus loin, certains immenses, encore verts, d’autres déjà flamboyants des couleurs de l’automne. Et les quelques nuages d’un blanc immaculé qui dérivent dans le ciel bleu de cette matinée radieuse de septembre.

À Paris, il faisait encore nuit et il pleuvait quand elle est montée dans le taxi à six heures du matin. À un moment, sur l’île de la Cité, ils se sont fait doubler par quelqu’un à vélo qui fonçait sous la pluie battante avec un poncho noir. Gonflés par le vent, les pans du poncho flottaient sur les côtés et s’étalaient presque à l’horizontale, on aurait dit Batman surgi de nulle part, et elle s’était demandé si les apparitions incongrues de la vie urbaine allaient lui manquer. À l’arrivée aussi il pleuvait, mais pas de la même façon. Quand elle est descendue sur le quai en plein air, hagarde d’avoir dormi pendant tout le trajet, les gouttes qui tombaient étaient éparses, grosses, tièdes, et en même temps le soleil brillait entre les nuages. À la sortie de la petite gare, en sentant la moiteur dans l’air et en voyant les palmiers sur le terre-plein du parking, elle a eu l’impression de débarquer dans un autre coin que le Finistère, différent de ce qu’elle avait imaginé, pas tropical mais presque avec cette averse malgré le soleil, quelque chose d’étrangement chaud, humide, enveloppant, et elle a su qu’elle allait être bien ici.
La clé que le propriétaire lui a laissée dans la boîte aux lettres est posée à côté d’elle sur la marche mais, pour l’instant, elle n’a toujours pas besoin d’entrer. Elle a un abri de jardin sur le côté de la maison, deux poubelles dont une jaune pour elle seule et, derrière, une cuve de fioul qu’elle a fait remplir en appelant de Paris, et un branchement pour le gaz dont elle a fait livrer deux bouteilles. Derrière se trouvent aussi un autre portail – la maison fait l’angle avec deux rues – et un garage qui abrite l’escalier qui mène à l’étage qu’elle ne loue pas. Le propriétaire y entrepose des meubles que ses deux fils ou lui viennent prendre ou déposer de temps en temps. Apparemment ils entrent par le portail à l’arrière sans venir dire bonjour pour ne pas déranger, et ça lui va, elle n’aurait pas su quoi faire de l’étage. Elle n’a pas eu de mal à les convaincre de lui louer la maison sans qu’elle fasse l’aller-retour pour la visiter. Le fils qui a mis l’annonce a compris qu’elle cherchait depuis longtemps et il a simplement demandé qu’elle appelle sur Skype pour voir à qui il avait affaire. Le lendemain, elle a reçu un mail avec des photos et un plan de l’intérieur de la maison, le surlendemain le bail est arrivé par courrier ; un an qu’elle cherchait, et en quarante-huit heures c’était réglé.
Elle ne s’attendait juste pas à ce que ça ressemble à ce point à la campagne, en plus du bord de la mer. En se mettant en Street View sur Google Maps, elle avait surtout regardé l’emplacement de la maison, pas vraiment ce qu’il y avait autour. En dehors des deux rues sur lesquelles elle donne, ou plutôt des deux chemins de terre avec des bas-côtés remplis de touffes d’herbe, il n’y a rien d’autre que des petites départementales bordées de champs, de p
Commenter  J’apprécie          10
Il marchait le long de l’écume et il en arrivait à la conclusion que tout manque de spiritualité, de dimension, d’humanité plus profonde, et sans doute que tout le monde le ressent, ce manque, quand on n’est pas distrait par les écrans. C’est pour ça qu’il relit Victor Hugo en ce moment, par besoin de héros qui inspirent, des héros symboliques avec des valeurs. Enfant, il entendait dire que la société progressait, mais c’est faux. C’est toujours la même soif de violence avec le même besoin de trouver quelqu’un à blâmer. Le quotidien devient plus luxueux ou plus confortable et on n’a plus les pieds dans la boue mais on est toujours des bêtes qui exploitent la faiblesse. Peut-être que finalement il n’y a ni bien ni mal ni paradis ni enfer ni karma, et que les raisons de ne pas faire de mal aux autres sont minces. La recherche d’harmonie, de noblesse d’âme, d’esthétique, tout ça est parti à la poubelle. Quiconque ne trouve pas le monde ou l’existence atroces vit dans une grotte. Il sait que s’il disparaît, faute d’avoir une femme et des enfants, l’argent qu’il a de côté ira forcément à sa mère. L’ironie. Elle qui a cessé de se comporter comme une mère le jour où elle a compris qu’il allait grave bien gagner sa vie. Mais peut-être que les petites communautés vont s’en sortir. Dans une communauté, chacun a un rôle, chaque chose a un sens et on a envie de faire des efforts pour que les gens qu’on connaît vivent le mieux possible. Mais quand on n’a pas le sentiment d’appartenir à quelque chose, il y a peu de chance qu’on se batte pour une cause. Si on ne se sent pas considéré par l’humanité en général, si on est tous insignifiants et interchangeables, pourquoi on s’emmerderait à avoir de la considération pour son prochain et son bien-être. La globalité est bien trop vaste. Notre prochain, tant qu’on ne le voit pas, il peut crever à boire de l’eau polluée, rien à foutre. C’est comme la viande. Tant qu’on ne voit pas l’animal mort, pas de problème. On achète des steaks hachés sous vide pour que l’inconscient ne fasse pas de lien. Comme à Auschwitz, pas de lien, toutes les choses qui conduisaient à la mort étaient séparées. Pas la même personne qui faisait descendre les gens des trains, qui les menait aux fours, qui appuyait sur les boutons, qui récupérait les chaussures et les lunettes. Successions de mini tâches d’une énorme machination qui conduit à l’annihilation, et tout le monde planqué derrière la responsabilité collective alors qu’elle était aussi individuelle. Quand tout est compartimenté, on ne fait que tondre des cheveux ou sortir sa carte bleue pour payer le steak.
Commenter  J’apprécie          40
Qu’est-ce qu’on est censé se poser comme questions à cinquante-huit ans. C’est quoi être adulte. Prendre ses responsabilités, accepter les défauts des autres, assumer les siens, renoncer à certaines choses, reconnaître qu’on ne peut jamais avoir de certitudes ? Qu’est-ce qu’on est, de quoi on a besoin et pourquoi. Si on répond vraiment à ces questions, on se fait peur.
Commenter  J’apprécie          300

Videos de Ann Scott (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Ann Scott
Extrait du livre audio « Les Insolents » d'Ann Scott lu par Constance Dollé. Parution numérique le 2 février 2024.
https://www.audiolib.fr/livre/les-insolents-9791035416065/
autres livres classés : bretagneVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus



Lecteurs (1058) Voir plus



Quiz Voir plus

Arts et littérature ...

Quelle romancière publie "Les Hauts de Hurle-vent" en 1847 ?

Charlotte Brontë
Anne Brontë
Emily Brontë

16 questions
1084 lecteurs ont répondu
Thèmes : culture générale , littérature , art , musique , peinture , cinemaCréer un quiz sur ce livre

{* *}