AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9791221700923
432 pages
Bompiani (14/09/2022)
5/5   1 notes
Résumé :
Le 3 mai 1938, dans la nouvelle gare d'Ostiense, Mussolini avec Vittorio Emanuele III et le ministre des Affaires étrangères Ciano attendent le convoi avec lequel Hitler et ses hiérarques descendent en Italie pour une visite qui touchera Rome, Naples et Florence. Il y a quelques semaines, Hitler a proclamé l'Anschluss de l'Autriche et Mussolini, après avoir décidé de sortir l'Italie de la Société des Nations, s'apprête à promulguer une législation raciale d'une dure... >Voir plus
Acheter ce livre sur
LirekaFnacAmazonRakutenCultura
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
"Je ne peux renoncer à ce que je considère comme mon devoir précis : je dois démontrer la méchanceté absurde des mesures racistes en attirant l'attention sur mon cas qui me paraît le plus typique de tous.
En me supprimant, je libère ma famille bien-aimée des vexations qui pourraient découler de ma présence : elle redevient purement aryenne et ne sera pas inquiétée.
Mes choses les plus chères, c'est-à-dire mon travail, mes créatures conceptuelles, au lieu de disparaître, pourront renaître à une nouvelle vie."
Voilà ce qu'écrit Angelo Fortunato Formìggini à sa femme, 18 novembre 1938. Angelo Fortunato Formìggini était un philosophe et éditeur italien, juif et franc-maçon. Il se jette du haut de la Torre Ghirlandina à Modène.

Il laisse, rédigé quelques jours auparavant, un épigraphe expliquant l'esprit de son geste :

Né ferro né piombo né fuoco
possono salvare
la libertà, ma la parola soltanto.
Questa il tiranno spegne per prima.
Ma il silenzio dei morti
rimbomba nel cuore dei vivi.

Ni le fer ni le plomb ni le feu
peuvent sauver
la liberté, mais la parole seulement.
C'est elle que le tyran éteint en premier.
Mais le silence des morts
résonne dans le coeur des vivants.

Voilà qui résume les années (1938-1940) qui sont abordées dans ce dernier volume de la trilogie initiée par Antonio Scurati. Ce livre est sorti en Italie le 14 septembre dernier, quelques jours avant les événements politiques italiens récents. Quand le passé rejoint le présent....

L'auteur avait prévu d'intituler ce dernier volume "Le Livre de l'infamie", et par infamie Antonio Scurati n'entend pas seulement les lois raciales, mais le fascisme en tant que mélange nauséabond de ruse, de calcul et de peur.
Il relu les mémoires du ministre des Affaires étrangères de Roumanie de l'époque, qui portent ce titre, et s'est rendu compte qu'il retranscrivait au mieux le sujet : une fin, qui n'est pas l'accomplissement, mais l'extinction, de la civilisation européenne, due au nazisme/fascisme.
L'actualité européenne récente comme la guerre russe en Ukraine, nous parle d'une nouvelle menace d'extinction : cela ne signifie pas que nous allons tous disparaître, mais que ce que nous croyions et espérions pourrait disparaître de notre horizon.

Dans ce troisième tome de "M", Antonio Scurati raconte comment le Duce entraîne l'Italie dans un gouffre moral et guerrier dans le sillage du Führer. "Il a été dévoré par la peur, la ruse et l'auto-tromperie"

Si on ose un parallèle avec un conte fantastique ou terrifiant, si un individu rencontre son double, un conflit éclate dans lequel il succombe. Les Allemands l'appellent Doppelgänger, le Russe Dostoïevski en a parlé dans le Double. Figurant dans de nombreux folklores et croyances, notamment dans la mythologie germanique et la mythologie nordique, le doppelgänger se présente toujours comme une copie, un double d'un individu ou bien sa version alternative souvent maléfique. Selon les légendes, l'apparition d'un doppelgänger est un mauvais présage, annonçant des malheurs ou la mort de l'individu croisant son double.

Dans le cas de Mussolini et Hitler, avec leurs jeux de miroir et leurs jeux de manipulation diabolique, la terreur devient l'histoire.
Ce livre raconte comment une guerre éclate.
Une guerre dévastatrice au coeur de l'Europe.
Une guerre déclenchée avec une soif délibérée de conquête contre les peuples voisins et apparentés, menée avec une brutalité dévastatrice.
Pour de nombreux lecteurs, il peut sembler peu probable que les dirigeants du régime fasciste, Mussolini en premier lieu, aient décidé, après une longue hésitation et refusant toute offre des États libéraux, de jeter le peuple italien dans le carnage d'un nouveau conflit mondial , alors qu'il était bien conscient de l'impréparation militaire totale de l'Italie, de son manque chronique de ressources matérielles, de l'aversion de nombreux Italiens à combattre aux côtés des Allemands et, même, de la volonté de puissance délirante et sanglante incarnée par Adolf Hitler...
Mais tout cela a été balayé par l'illusion de pouvoir manipuler politiquement Hitler : une pensée malheureuse, pathétique et grotesque. Et puis, une fois attaché à Hitler, il s'est illusionné qu'il dirigeait un pays guerrier, une nation en armes. Il est choquant de découvrir à quel point Mussolini était à la fois lucide et conscient de cet abîme dans lequel il allait plonger par une auto-illusion macroscopique...
Pourtant, ce roman démontre l'inverse dans ses moindres détails en faisant appel, à l'instar, du choix narratif choisi dans les 2 premiers tomes, à des faits historiques largement documentés. Il n'y a là rien de fictif, si ce n'est la manière de raconter l'histoire.
Ce n'est pas le roman qui suit l'histoire ici, mais l'histoire qui devient roman.

"M. Mussolini, qui ne cache pas son admiration pour l'auteur du Prince, devrait bien méditer ses axiomes. "Le Prince ne doit vouloir qu'accroître sa puissance et ses terres au détriment de tous les autres." M. Mussolini a en effet conquis l'Ethiopie, qui en revanche lui semble un fardeau. Mais il laissa l'Allemagne s'installer au Brenner et encercler la Pologne. Il a également signé un pacte d'alliance militaire qui fait de l'Italie, quoi qu'il arrive, un vassal en temps de paix, un champ de bataille en temps de guerre."
Pol Harduin, « Mussolini et Machiavel », Express, journal suisse, 17 juin 1939"

Sa politique semble entachée par la surestimation constante de ses capacités personnelles. "Il se sent comme un homme d'État jouant aux échecs, sur plusieurs tables, avec l'Allemagne d'un côté et avec l'Angleterre de l'autre, s'appuyant sur sa ruse, une forme d'intelligence qui s'appelle la perspicacité et qui pousse au-delà du seuil critique jusqu'à en devenir une forme de bêtise.
L'entrée en guerre, pour beaucoup, est le moment où commence la chute de Mussolini.

Au regard de l'actualité récente en Europe, on peut s'empêcher d'y voir comme un bégaiement de l'histoire :
La première est l'idéologie impérialiste du pouvoir et de la domination sur d'autres peuples considérés comme sacrifiables, destinés à un état permanent de minorité, de pays satellites, de vassaux.
La rhétorique officielle qui justifie l'usage des armes est identique : envahir pour défendre une minorité. Hitler l'a fait pour les Sudètes germanophones en Tchécoslovaquie... Il se passe la même chose pour des territoires en Ukraine où il y a une composante russophone que le dirigeant russe prétend être persécutée voire exterminée, malgré toutes les preuves contraires. Les déclarations d'Hitler, rapportées dans le roman, ont également été démenties par la réalité.
Alors frappe l'itération du schéma : Autriche, Sudètes et Gdansk pour Hitler, Tchétchénie, puis Crimée, Géorgie, Ukraine pour Poutine... Même la violence destructrice des civils et des villes : c'est du terrorisme militaire d'État.
Enfin, le seconde réside dans la passivité consternée de certaines démocraties libérales européennes.
Et pour un parallèle plus proche avec ce qu'il se passe à l'ouest de l'Europe, et à la lecture de ce livre l'essence du fascisme en un mot, quel serait-il ? la peur. le fascisme était, est, effrayant. Alors que la révolution promet le soleil du futur, l'espoir, il découvre qu'il existe une passion politique plus puissante, et c'est la peur.
Pas l'espoir de la révolution mais la peur de la révolution. Depuis le début, il a tout concentré sur les peurs des bolcheviks, de l'invasion, et a gouverné avec la peur, la violence. C'était effrayant et vivait de la peur. Mais Mussolini entre en guerre aux côtés d'Hitler aussi parce qu'il a peur d'être contre lui, la peur le dévore. La force de la peur est une autre analogie forte en Italie et en Europe, surtout à l'ouest. L'auteur de nous dire où nous prévenir : "Nous devons choisir entre résister ou céder à la séduction du dictateur, du pouvoir guerrier, du totalitarisme, résister ou céder à la peur d'aller contre quelqu'un qui vit de nos peurs"

Voici les derniers mots écrits par Scurati :
"Benito Mussolini a quitté le balcon, aspiré par la pénombre de l'immeuble, en contrebas la place se vide rapidement, sans à-coups, sans cris d'acclamations. Pas d'hosannas, pas de manifestations patriotiques, chacun chez soi avec sa pensée. Parmi ces nombreuses pensées, une seule demeure : la peur.

Comme je l'ai écrit dans les critiques précédentes : À croire que les démagogues d'hier se sont réveillés même s'ils nous font croire qu'ils se sont adoucis. Tout le contraire de la mise en garde de l'auteur...
Mise en garde qui n'a pas empêchée à l'histoire de se répéter..
Commenter  J’apprécie          54

Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Naples a toujours été favorable aux despotes, tyrans et seigneurs de toutes sortes. Elle n'a pas fait exception avec Mussolini au moment de la conquête du pouvoir et ne semble même plus aujourd'hui vouloir décevoir le maître absolu de l'Italie. Elle lui a donc offert un de ces mémorables « beaux jours » qui sont une philosophie de vie cynique plutôt qu'une simple condition climatique. [...]
C'est alors qu'Hitler, enchanté, enflammé, la lèvre secouée par un rictus, propose le pacte militaire à son ami italien. L'odeur du sang domine soudain celle des jardins d'orangers, portée par le vent de la péninsule sorrentine. Le cuirassé paré pour la fête se transforme en bateau des morts, un radeau de naufragés et de pendus à la dérive dans la baie de Naples.
Commenter  J’apprécie          60
Galeazzo Ciano, Nid d'aigle d'Adolf Hitler, 12 août 1939

Et Adolf Hitler attend dans son nid, le Nid d'aigle. Pour l'atteindre, les invités sont obligés de monter - jusqu'à deux mille mètres d'altitude - mais c'est une ascension qui nécessite une descente dans des cavités basaltiques très profondes de la terre, un enfoncement vers la lumière, un abîme qui mène au ciel , une sorte d'ascension vers les enfers.[...]

L'ascension au Nid d'Aigle est donc, du point de vue d'Hitler, une visite d'agrément gratuite mais, du point de vue des Italiens, elle pourrait être la dernière occasion d'éviter une catastrophe, d'éviter le carnage, de sauver des vies celles des autres et celles des leurs.[...]

Par contre, quel meilleur endroit que celui-ci pour commander et gérer cette "boucherie" qui s'annonce ? Autant la vue s’étend vers l’horizon sans limites, autant on ne voit, dans aucune direction, l’empreinte des êtres humains
Commenter  J’apprécie          46
Est-ce que je les tue et sauve des millions de vies ou est-ce que je ne les tue pas et ne sauve que la mienne ?
C'est le menu du siècle. Mourir, être tué, abattu, écorché, gavé pour le banquet des dieux pestilentiels, c'est évident. Mais tuer, c'est autre chose. Tuer ou ne pas tuer, le dilemme est là.
L'attente fut longue, épuisante, des semaines de rêverie et d'impuissance. Il n'est qu'un professeur - archéologue, spécialiste de l'art antique, des bas-reliefs romains et des sarcophages étrusques - que l'obstination des bureaucrates ministériels a catapulté de sa chaire à l'Université de Pise au premier plan de l'histoire.
Et pour faire quoi, alors ? Le guide touristique des bourreaux en visite d'État.
Commenter  J’apprécie          50
Se vantant de la colère mal dissimulée avec laquelle les journaux français et anglais commentaient l'épreuve de force donnée par la marine italienne dans le golfe de Naples, Mussolini proclama : « Maintenant, même sur mer, l'Angleterre est finie ! »
[...]
Cet homme ridicule à qui les accents manquent (le professeur se moque de lui dans son journal lorsque Mussolini prononce le nom de l'île légendaire « Atlantìde ») va vraiment jeter les Italiens, en accord avec cet insondable touriste allemand, dans la fournaise de la guerre contre les plus grande puissance impériale de tous les temps et sa marine inégalée ? L'intellect, la culture, les bons accents importent-ils vraiment si peu face à la volonté malheureuse du pouvoir, aux immenses malentendus de l'histoire ?
Commenter  J’apprécie          30
Mussolini avait trop longtemps défié le destin pour ne pas sentir la menace d'un possible revers. Comme l'heureux Polycrate, averti par de sombres pressentiments, il semblait soucieux d'éviter son sort. Il était préoccupé par son union avec Hitler, qui avait des forces infiniment plus grandes. Il se voyait entraîné dans une voie qu'il avait lui-même ouverte, prisonnier du système qui lui devait la vie, et des passions qu'il avait déchaînées, vers un but qui lui paraissait pour le moins incertain.
Ayant provoqué le vent, il craignait la tempête.
Extrait des mémoires de Grigore Gafencu, ministre roumain des Affaires étrangères
Commenter  J’apprécie          30

Videos de Antonio Scurati (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Antonio Scurati
De Mussolini à Berlusconi en passant par Salvini, l'Italie est l'un des foyers majeurs du populisme européen. Mais revenons un siècle en arrière...
Pour en parler, le romancier Antonio Scurati, professeur de littérature comparée et d'écriture créative revient dans son ouvrage “M, l'ennemi du siècle” aux éditions Les Arènes sur ces cinq années qui ont fait basculer l'Italie dans l'une des dictatures les plus symboliques du XXème siècle. Il est accompagné par Marc Lazar, directeur du Centre d'histoire de Sciences Po, spécialiste de l'Italie contemporaine et auteur de “Peuplecratie. La métamorphose de nos démocraties” aux éditions Gallimard
+ Lire la suite
autres livres classés : histoire de l'italieVoir plus
Acheter ce livre sur
LirekaFnacAmazonRakutenCultura




Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
2792 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre