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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Dans une jambe amputée, le cerveau continue à envoyer des sensations-fantômes.
Dans la vie de son double, un jumeau prématurément disparu déploie l'ombre de la mort à jamais.
On a beau la fuir, une histoire traumatique finit toujours par ressurgir à l'instar des réflexes douloureux qui jaillissent dans le membre amputé.
C'est ce qui nous (ré)apprennent les vagues de souvenirs enfuis de Jacques Austerlitz, « Juif errant » hanté par des sensations-fantômes et par l'ombre de la mort, dans le superbe livre de W.G. Sebald.

Lecture contrariante, aussi belle qu'exigeante, s'adressant à l'inconscient du lecteur plutôt qu'à sa raison, et l'emportant dans des tourbillons d'associations et de signes qui se font et se défont dans une dynamique liquide.

Un narrateur admiratif (exécuteur testamentaire en ordre symbolique) nous donne à lire le processus tardif (et demeurant fictif, car en grande partie impossible) de recouvrement de la mémoire chez un orphelin de guerre. La conscience de sa judaïcité, redécouverte à l'âge adulte, et les échos embrumés de la petite enfance se réveillent chez Austerlitz en lien avec l'art et l'image, à travers le sentiment d'appartenance à un patrimoine partagé, qui semble nourrir l'illusion indispensable de toute reformulation du soi.

La culture servant de béquille pour un vécu devenu inaccessible, on suit la pensée d'Austerlitz opérant à travers un regard érudit, qui caresse les surfaces et les volumes, s'attarde sur toutes les catégories du vivant, sur leurs empreintes, leurs épaves et leurs traces pour y extraire des souvenirs lointains, émiettés, voire chimériques, du passé. Discours déployés dans des espaces magnifiés ; paysages dé-réalisés ; tissus urbains révélant leur étrangeté poétique ; le regard des animaux enfermés dans leurs cages de zoo ; les récits des autres, témoins de la disparition de ses parents ; dans la lecture d'Austerlitz, le monde gagne l'allure inquiétante d'un artefact guetté par la décrépitude et le chagrin.

L'art gothique codifiait le dogme, le traduisant en géométrie architecturale ; Sebald réussit à développer fastueusement toute une topographie subjective afin de dire l'Absence : « Aussi loin que je puisse revenir en arrière, dit Austerlitz, j'ai toujours eu le sentiment de ne pas avoir de place dans la réalité, de ne pas avoir d'existence » (p. 219). « Il ne m'était visiblement pas d'un grand secours d'avoir découvert les sources de ma perturbation ni d'être capable de me voir moi-même avec la plus grande acuité, tout au long de ces années révolues, en petit garçon coupé du jour au lendemain de sa vie familière : la raison ne prenait pas l'ascendant sur le sentiment d'avoir été rejeté et effacé de la vie » (p. 271).

A travers la figure d'Austerlitz, en quête de son histoire occultée par L Histoire, Sebald nous offre une véritable phénoménologie de la mémoire traumatique et du souvenir refoulé, ennoblie d'un éclat pathologique qui confère à son personnage l'aura d'un prince Myshkin et le place dans la généalogie romantique des innocents maudits.

L'écriture qui brouille les frontières des genres littéraires (« Austerlitz » est un mélange d'essai, de témoignage, de confession et de carnet de voyage nous évoquant Balzac et Stendhal, Proust, Kafka et Perec...), sert à perfection la description de cet univers fluctuant, changeant, incompréhensible, manquant de fondation : le monde d'Austerlitz et tout autant le nôtre...

Car tout le savoir du monde ne saurait racheter la chaleur d'une famille perdue et des parents disparus :

« Plusieurs fois il est également arrivé, dit Austerlitz, que des oiseaux égarés dans la forêt de la Bibliothèque aient foncé sur les arbres se reflétant dans les vitres et soient tombés raides morts après un choc sourd. Assis à ma place dans la salle de lecture, j'ai souvent réfléchi au lien qui existe entre de tels accidents imprévisibles, comme la chute mortelle d'une créature qui s'est écartée de sa voie naturelle ou encore les symptômes récurrents de paralysie affectant le réseau informatique, d'une part, et la conception d'ensemble, cartésienne, de la Bibliothèque nationale, de l'autre ; et j'en suis arrivé à la conclusion que dans chacun des projets élaborés et développés par nous, la taille et le degré de complexité des systèmes d'information et de contrôle qu'on y adjoint sont les facteurs décisifs, et qu'en conséquence la perfection exhaustive et absolue du concept peut tout à fait aller, et même, pour finir, va nécessairement de pair avec un dysfonctionnement chronique et une fragilité inhérente. Pour ce qui me concerne, du moins, moi qui ai consacré une grande partie de ma vie à étudier dans les livres et me sens presque comme chez moi à la Bodleian, au British Museum et dans la rue de Richelieu, cette gigantesque nouvelle Bibliothèque censée être, selon une expression horrible qui maintenant fait florès, le sanctuaire de tout notre patrimoine écrit, a prouvé son inutilité dans l'enquête que j'effectuais pour retrouver les traces de mon père qui se perdent à Paris » (pp. 328-329).
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« L'une des personnes qui attendaient dans la salle des pas perdus était Austerlitz, à l'époque en 1967, encore presque jeune d'allure avec ses cheveux blonds étrangement frisés, seulement comparables à ceux du héros allemand Siegfried dans les Nibelungen de Fritz-Lang ».

Une beauté et une souffrance, voilà ce qui me vient à l'esprit pour qualifier ce récit. Une beauté tant l'écriture exigeante de Sebald est hypnotique, fascinante, des phrases longues qui défilent sous les yeux, des détails qui suintent la mélancolie, poésie qui envoûte, une lenteur qui nous oblige à nous poser, à ne rien négliger mais une lenteur qui absorbe jusqu'à notre moi intime, jusqu'à notre inconscient qui finit par s'identifier à Jacques Austerlitz pour devenir une douleur. Eprouvantes aussi, ces lignes magnétiques, ces pages qui se tournent sans chapitre, tout est écrit comme dans l'urgence, pour ne pas oublier, on suffoque entre la fascination de l'écriture et le malaise qui s'en dégage, il faut faire une pause malgré l'envie de continuer.

De cette rencontre entre notre narrateur – Sebald ? – avec Jacques Austerlitz, dans la Gare d'Anvers, va naître une intimité qui de rencontre en rencontre, de confidence en confidence, durera trente ans.

Est-ce de chez Austerlitz qu'exhale, enfoui au plus profond de lui-même, une douleur, comme un sentiment obscur d'incomplétude, une personnalité tronquée, ou bien est ce de la plume de l'auteur, de ses mots que s'exprime cette souffrance. Lui, dont le père fut sous-officier dans la Wehrmacht, lui dont les prénoms Winfried Georg Maximilian ne sont plus que des initiales, lui qui se disait un « produit du fascisme ».

En chroniqueur de la mémoire, l'auteur s'efface devant cet ami, parti de Prague en 1939 à destination d'Angleterre, à l'âge de quatre ans. Adopté par un pasteur sectaire, névrosé, dont il ne comprend pas la langue, élevé dans le silence, sous le regard d'un Dieu qui châtie, sans plus aucune marque d'affection tant de l'épouse que du pasteur, comment ne pas ressentir comme une béance affective, un vide profond traversé par des angoisses, une instabilité émotionnelle. Austerlitz ne découvrira sa véritable identité qu'à l'âge de quinze ans.

Véritable quête identitaire, Austerlitz se doit de rassembler les morceaux du puzzle pour tenter, peut-être, d'apaiser cette sensation terrible du manque, ne plus vivre la superposition du passé et du présent, cette construction qui rend votre relation au monde totalement flou. Un rien : une couleur, un lieu, un mot en relation avec le traumatisme ravive le choc, la blessure et vous envoie valser avec la détresse. Austerlitz devra parcourir un long chemin sur des lieux semés d'ombre qui se réactiveront au fur et à mesure de ses découvertes. Aidé par sa nourrice qu'il retrouvera, ses pas l'emporteront vers des lieux emblématiques comme Terezin et Gurs à la recherche de ses parents. L'émotion surprend à toutes les pages. Austerlitz en perpétuelle recherche, perpétuelle incomplétude, se questionne et questionne le monde autour de lui et nous entraîne à sa suite, épousant ses vagues émotionnelles.

Que de silence, que de douleurs, éprouvant ce sentiment de ne jamais être à la bonne place, de ne pas avoir sa propre existence, d'être à côté de la réalité « qui je suis, d'où je viens, où vais-je ».

Faisant preuve d'une grande érudition, Austerlitz est chargé de cours dans un institut d'histoire de l'art londonien, ses recherches l'ont mené à l'élaboration d'une thèse monumentale sur l'architecture, tout particulièrement sur les réseaux, tels les chemins de fer. Il ne pouvait expliquer cette fascination qui lui permettait, surtout, ne pas parler de lui, de se réfugier derrière son intellect pour ne pas affronter cette béance, un abri en quelque sorte bien dissimulé derrière la reconnaissance intellectuelle.

La rencontre entre le narrateur et Austerlitz se fait dans la gare d'Anvers, salle des pas perdus. Austerlitz observe la gare, la coupole, et couche sur le papier toutes ses réflexions, ses observations. C'est le prétexte que choisi le narrateur pour aborder Jacques Austerlitz. Ces premiers entretiens se limiteront très longtemps à l'histoire de l'architecture dont les connaissances d'Austerlitz forcent l'admiration jusqu'au jour où, la confiance aidant, une once d'estime naissante, Austerlitz s'abandonnera aux confidences.

Quatrième de couverture : « Par ce portrait saisissant d'un émigrant déraciné, fragile, érudit et digne, l'auteur élève une sorte d'anti-monument pour tous ceux qui, au cours de l'Histoire, se retrouvent pourchassés, déplacés, coupés de leurs racines – sans jamais en comprendre la raison ni le sens ».

C'est un livre sublime, sensible, à l'évocation puissante que je relirai, c'est évident ! Merci à Eduardo et à Dan pour ce conseil de lecture mais j'ai beaucoup moins souffert avec « Séfarade ».

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Il y a peu, j'ai relu Austerlitz.
Il n'est pas fréquent que je relise.
Voici ce qui m'y a amené.

Robert Desnos est mort à Terezin en juin 1945. Après avoir lu la Légende d'un dormeur éveillé, je me suis souvenu que Sebald en parlait dans Austerlitz et dans mon souvenir c'était au début du livre. Ma mémoire me jouait des tours. le camp dont parle d'abord Sebald est celui du fort de Breendonk, en Belgique. Terezin n'est décrit que bien plus loin. Alors, au lieu de feuilleter le livre afin de retomber sur cette description, je suis mis à tout relire.
Et mon chemin de redécouverte du livre, dont j'avais oublié des parties entières, est venu curieusement en contrepoint de la recherche des origines qui est son objet.
Je crois que mon plaisir de lecture fut encore plus grand que la première fois. Austerlitz est probablement le plus linéaire des livres de Sebald. Même si les réflexions d'une grande hauteur de vue sur l'histoire de l'humanité abondent, notamment à partir de l'architecture des gares ou de l'entomologie, le travail de mémoire, dans le cas si douloureux d'un événement traumatique primordial, guide toute l'oeuvre.
Le génie de Sebald est de nous emmener dans ce parcours de nature éminemment psychologique sans parler de psychologie, indirectement, par les récits que fait Austerlitz au narrateur.
Un art subtil, une empathie d'une infinie délicatesse: voilà pourquoi j'aime tant Sebald.
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Par cette lecture, je découvre l'écriture de W. G. Sebald, et je me félicite d'avoir lu cet ouvrage dans sa totalité, car il s'agit d'un livre qui se mérite. Je pense d'ailleurs que si je n'étais pas venue à bout du roman "Du côté de chez Swann" de Marcel Proust, j'aurais éprouvé de grandes difficultés à lire Austerlitz. le roman est déjà épais (environ 350 pages) les caractères assez petits. Les phrases sont souvent longues. le texte rédigé d'un seul tenant, sans paragraphes ni chapitres. Beaucoup de références littéraires ou historiques; des citations en tchèque, allemand ou anglais (non traduites)... Enfin, la lecture est encore rendue plus complexe par les digressions du principal protagoniste, Austerlitz, et l'introspection qu'il mène. le sujet est grave, voire dramatique, car l'histoire tourne autour de la shoah, la quête d'une identité, l'implosion de familles, sans compter sur des aspects sordides : spoliation des juifs, ou les machinations terribles des S.S. déportant et massacrant ces populations, hommes, femmes ou enfants. Que de vies brisées! même pour les survivants, pantins déracinés malmenés à jamais par l'existence, victimes de leur passé ou de secrets inavouables.
Un très beau livre, malgré sa noirceur. Une superbe découverte. Une lecture qui laisse des traces. Authentique roman? Biographie? J'ai des doutes, qui sont fondés puisque les photos et illustrations sont présentes en très grand nombre tout au long de l'ouvrage, dès l'illustration de couverture d'ailleurs qui est une photographie issue des archives de l'auteur.

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Austerlitz n'est pas simplement un roman sur la guerre et ses conséquences, il questionne aussi la mémoire et l'identité. Au niveau des souvenirs, l'homme est parfois aussi efficace que l'écureuil qui au printemps ne se rappelle plus les endroits où il a mis sa nourriture tant il l'a éparpillée dans tous les coins. Il y a toujours des choses qui restent enfouies, introuvables, condamnées à l'oubli. le récit a pour but la reconstruction des origines du sujet. le morcellement des origines a vraisemblablement été causé par un refoulement. L'Histoire enterre L'Histoire. C'est un roman qui montre bien à quel point nous sommes des produits du temps, mais d'un temps qui ne s'achève jamais, qui se répète, qui se fait oublier et redécouvrir quelquefois. Splendide roman!
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J'ai fait la connaissance de cet auteur avec Les Émigrants qui ne m'avait pas enthousiasmée mais cependant intriguée suffisamment pour que je revienne à cet auteur. C'est chose faite avec Austerlitz qui aborde le même thème, à savoir le déracinement que les juifs ont dû choisir pour échapper à leur assassinat orchestré par le Troisième Reich. Il s'agit ici non pas de nouvelles mais bien d'un roman qui s'attache d'ailleurs essentiellement à un seul personnage: Jacques Austerlitz. Arrivé en Grande-Bretagne au cours de l'été 1939 à l'âge de 4 ans, en provenance de Tchécoslovaquie, et adopté par un vieux prédicateur non-conformiste gallois et sa femme, il se voit contraint de s'adapter à une nouvelle vie une, nouvelle langue, une nouvelle culture et même un nouveau nom. le roman retrace, à travers le récit qu'il en fait à l'auteur, son parcours pour renouer avec sa véritable identité. C'est proche du récit d'une psychanalyse et c'est ce qui m'a fait penser que ce récit était autobiographique mais il n'en est rien : Austerlitz est d'origine tchèque, Sebald est allemand. Austerlitz est juif, Sebald ne l'est pas (son père était dans la Wehrmacht)…. Comme dans Les Émigrants, le récit est émaillé de descriptions précises de lieux et agrémenté de photographies qui lui donnent un aspect documentaire et contribue à la fascination qu'il a exercé sur moi. L'écriture est un peu surannée, rappelant les grands auteurs du XIXe siècle et la double indirestion du style contribue à nous distancier du vécu d'Austerlitz.
Bien que relativement peu connu dans le monde francophone, je me suis rendu compte que Sebald avait été pressenti pour le prix Nobel. Il est malheureusement mort prématurément à l'âge de 57 ans. Comme Austerlitz, Sebald est retourné dans le néant de l'oubli…
Ce roman m'a permis de mieux apprivoiser le style original de Sebald. Je l'ai trouvé beaucoup plus abouti que les nouvelles des Émigrants et je me promets de poursuivre l'exploration de cet auteur. À ceux qui ne le connaissent pas, je recommande d'en faire la découverte.
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« Des animaux hébergés dans le Nocturama, il me reste sinon en mémoire les yeux étonnamment grands de certains, et leur regard fixe et pénétrant, propre aussi à ces peintres et philosophes qui tentent par la pure vision et la pure pensée de percer l'obscurité qui nous entoure ». WG Sebald.
J'ai repensé à la phrase d'Adorno que G Didi-Huberman avait cité au début de son essai Remontages du Temps Subi, l'oeil de l'histoire (2) : «  Quand il pense, son oeil s'étonne, presque désemparé, puis s'illumine tout à coup. C'est avec un tel regard que les opprimés peuvent devenir maître de leur souffrance ».
Faire la lumière, du moins tenter de la faire vivre, du moins, de lui permettre de survivre.
Il y a entre W.G. Sebald, plus exactement entre Jacques Austerlitz, le personnage central de ce roman, Aby Warburg, historien de l'art , et Walter Benjamin ,l e philosophe, une réelle correspondance. Ils se font signe et nous font signe.
L'image est au centre de leur travail. La mémoire, la genèse de l'histoire , la problématique de l'image. Sa rémanence. Quelque chose est là, inscrit, qui fait signe, qui nous parle, qui communique. L'image non officielle, « l'image de ce tous à chacun ». Cela peur être une photographie, ou la vue directe d'un objet, la lumière de la verrière d une gare, l'escalier d'une bibliothèque, un sac à dos, un livre, un accent, une comète gravée sur un compteur électrique, le quai d'une gare ….
Jacques Austerlitz, retrouve sa mémoire comme on recouvre la vue.
La persistance rétinienne de l'âme.
Il est possible de tout perdre sans véritablement rien oublier.
L'image, l'articulation, le remontage des temps cataclysmiques, traumatiques.
Comment formuler une phrase ? . Comment affronter la déchirure, la béance du temps ? .
Notre passé, notre devenir est ce ...là ? Sous nos yeux ? Était- ce déjà entre nos mains ?
La survivance des lucioles n'est pas absente de ce roman. le travail de G. Didi-Huberman fait écho. Ces images de, et, en mémoire... leur résonnance.
Travailler sur l'image, y plonger, en remonter des mots, des parfums, des couleurs, faire passage à la musique des ombres, Comme des fragments de poterie, laisser venir l'émotion, formuler, traduire, procéder à la lecture, tout cela me parle, fait écho dans les méandres de mon esprit.
«  J'ai d'emblée été étonné de la façon dont Austerlitz élaborait ses pensées en parlant, de voir comment à partir d'éléments épars il parvenait à développer les phrases les plus équilibrées, comment, en transmettant oralement ses savoirs, il développait pas à pas une sorte de métaphysique de l'histoire et redonnait vie à la matière du souvenir ».

Nous avons tous cela en nous. Cette capacité à capter, à recevoir ce que les objets d'image nous adressent, et ce qui nous est adressé c'est un geste. L'homme qui a dessiné une forteresse, l'enfant qui regarde l'objectif, celle qui choisi l'instant de la photographie,ce livre déposé , ce visage sculpté, tout cela ce sont des gestes. Geste de vie, geste d'amour, geste de peur, de colère geste de fuite. Preuve de vie. Preuve d'absence. J'ai toujours été fascinée par l'image manquante, l'idée d'une image lacunaire, l'idée d'une clé.
De la clé au passage il n'y a peut être que les portes de notre esprit. «  là où la vie emmure, l'intelligence perce une issue » écrivait Marcel Proust.
Penser un savoir. C'est parfois l'oeuvre de toute une vie, parfois même le devoir de l'humanité.
Pour penser juste il faut penser vrai. Et ce respect du savoir que WG Sebald a su faire entrer dans cette fiction. Cela aurait pu être totalement impossible. Mais il a réussi. Comme Laszlo Nemes a réussi , dans son film le Fils de Saul, à nous faire entrer dans une des Nuits les plus terrible de l'Histoire. Ne n'en sortons pas intacts mais plus forts parce que nous devenons plus vrais, plus justes.

J'ai découvert Austerlitz de W. G Sebald à travers le chef d'oeuvre cinématographique de Stan Neumann , et je l'ai lu sur les lèvres de Denis Lavant.
Lorsque je j'ai ouvert le livre et que j'ai commencé sa lecture, je suis entrée plus précisément dans l'articulation du langage de Sebald , d'une construction étonnante.
Ce roman est construit en écho. Une fiction en écho. Les choses ne peuvent pas parfois revenir, ressurgir directement,. Les hommes les mots brûleraient, ils seraient foudroyés par l'horreur, le chagrin , la douleur.
G Sebald a choisi la forme du témoignage, sous forme d'enquête, pour mener son récit.
Jacques Austerlitz raconte au narrateur. le narrateur retranscrit. Il y a donc un effet de profondeur qui a été introduit. Effet photographique, mnémonique. Perceptive du temps qui donne lecture à l'avenir.
Les images témoignent de leur temps. Elles nous rapprochent de la vérité.De leur sauvegarde dépend notre survie.
Jacques Austerlitz part en quête de ce qu'il pressentait et cela depuis toujours. Il est en quête de sa vérité. Photographie amateur, passionné d'architecture, il perçoit, recherche le lieu, il a cet instinct de survie, Anvers...Londres, Bruxelles, Paris, Marienbad, Prague, le Ghetto de Terezin, Paris... ce lieu c'est sa mémoire.
J'ai un profond attachement pour ce personnage auquel W.G Sebald a donné vie.
Une oeuvre étonnante, magistrale. L'histoire de Jacques Austerlitz est présente.
Un jour les Amériques, un jour ...Prague, un jour Drancy , un jour l'Anatolie, la Namibie, ou la St Bathélémy, demain Srebrenica ou Sabra ou Chatila, le Cambodge , l'Ukraine, le Rwanda, encore un autre jour ...l'unité 731, et puis un autre jour …. Alep.
Ce lieu devient la mémoire ,
la mémoire, de tous à chacun d'entre nous.


À écouter, la très belle émission que France culture consacrait à l'oeuvre de W.G Sebald en septembre 2012 :
https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/wg-sebald-1944-2001

à voir :
« Austerlitz » film de Stan Neumann 2015
http://www.lesfilmsdici.fr/fr/catalogue/5040-austerlitz.html


Astrid Shriqui Garain

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L'histoire de cet homme, Austerlitz, qui après des années de recherches, apprend qu'il a été, enfant, évacué avec des centaines d'autres, vers l'Angleterre pour fuir guerre et persécutions.
Juxtaposant un style romanesque avec des documents photographiques, l'auteur livre ici la vie romancée d'un émigrant déraciné, Jacques Austerlitz, qui n'a connu son vrai nom que lorsqu'il fut adolescent.
Cela avec le récit de déambulations à travers l'Europe, des réflexions sur l'architecture, une belle écriture, lecture un peu ambitieuse.
Lien : https://collectifpolar.blog/
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Comment chroniquer ce beau roman sans divulgâcher?

Et pourtant ce n'est ni un policier, ni un thriller. Au contraire, c'est un livre qui flâne entre gares et bibliothèques, aux promenades rêveuses dans des manoirs abandonnés et parfois fantastiques entre coupoles byzantines, escaliers et lianes, portes ouvertes vers le passé qui ressurgit par surprise. Ecriture vagabonde qui emmène le lecteur à Londres, Anvers, Prague et Paris, qui traverse cinq décennies. Vous le suivrez aussi à  Marienbad  et à Theresienstadt, de bien triste mémoire...  Ecriture circulaire - l'expression est de d'Mendelsohn qui m'a fait connaître Sebald. 

Ce n'est qu'au mitant du livre que j'ai compris ce titre d'Austerlitz, pour moi une gare ou une victoire napoléonienne, mais pour un enfant Gallois?

A vous de vous perdre dans les méandres des déambulations, de découvrir les belles photographies, cela en vaut la peine.
Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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Difficile de pas être attiré par la photographie de couverture qui représente un garçonnet blond déguisé en page. Qui est cet enfant fixant l'objectif avec confiance ? D'autres photographies en noir et blanc ponctuent ce récit étrange qui mélange astucieusement réalité et fiction, souvenirs et rêves, à la recherche d'un passé enterré, occulté, extirpé par fragments à travers des correspondances parfois déconcertantes pour le lecteur. Ce jeu de piste à travers la mémoire a quelque chose de fascinant.
le narrateur rencontre Austerlitz dans la salle des pas perdus de la gare d'Anvers en 1967. Celui-ci, professeur d'histoire et spécialiste d'architecture, engage la conversation et la discussion se poursuit au buffet sur la genèse de la gare d'Anvers. D'autres rencontres ont lieu, disséminées dans le temps, jusqu'à celle décisive au bar du Great Eastern Hotel en 1996. Jacques Austerlitz raconte à son ami la quête douloureuse de ses origines, lui l'orphelin, recueilli en 1942 à l'âge de quatre ans par un couple de gallois sans enfant et qui ne prit connaissance de son vrai nom que dans sa quinzième année. Commence alors l'étonnant récit de Jacques Austerlitz, au nom si peu commun.
Ce roman d'une densité inouïe, ultime roman de W.G. Sebald, résonne avec une acuité particulière en ces temps de migrations forcées et de déracinements. Avec Austerlitz, la douleur de l'exil et la perte de ses racines prennent une dimension universelle.
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