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Ce petit livre de W. G. Sebald est d'une force bouleversante. Sans tabou mais avec puissance,il aborde le massacre, des six cents mille civils tués par des Alliés dont l'objectif consistait à raser les villes allemandes, et combien les intellectuels de ce pays,à la fin des hostilités, ont été frappé d'une sorte d'amnésie semblant vouloir effacer cette effroyable période de la guerre, oublieux de la souffrance d'un pays, et des conséquences engendrées sur les générations issues de cette période.
Illustré de photos et de documents" de la destruction comme élément de l'histoire naturelle" fait découvrir une autre face de la seconde guerre mondiale et témoigne d'une culpabilité allemande longtemps gommée des écrits et des mots.
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Le titre originel de l'ouvrage est "Guerre aérienne et littérature", et il est fort peu question d'histoire naturelle, comme le titre français le laisse supposer. Les trois conférences données à Zurich par l'auteur, abordent un problème littéraire, et non pas historique, qui se résume en ces termes : ... "un peuple de 90 millions d'habitants naguère loué pour être celui des poètes et des penseurs et qui a subi la pire des catastrophes de son histoire récente en voyant ses villes effacées de la carte et sa population expulsée par millions. Il est difficile de croire que ces événements n'aient pas trouvé un puissant écho littéraire. Ils l'ont trouvé, certes. Mais rares sont les textes qui ont été publiés - ils sont restés à l'état de littérature de tiroir. Qui d'autre que les médias a érigé ce mur de tabou (...) et continue à cimenter et colmater ?" (p. 89, citation de Gerhard Keppner). Donc W. G. Sebald examine ce problème littéraire intéressant, et retrace le travail de refoulement du souvenir des grands bombardements sur l'Allemagne pendant les années de guerre. Outre les nécessités politiques du temps et l'ouvrage des médias, Sebald évoque aussi la difficulté que rencontrent les victimes à faire face à leurs traumatismes et à les formuler. Les écrivains allemands, dont c'est un peu la vocation (exprimer sous forme littéraire ce que vivent les gens, sans kitsch ni mensonge) ont failli, de l'avis de l'auteur. La tâche n'est pas facilitée par l'énorme culpabilité qui a pesé sur les Allemands, qui savent bien, dit Sebald, qu'ils sont en grande partie responsables de ce qui leur est arrivé. Malheureusement, les Anglo-Américains, très sûrs de leur bon droit, n'ont pas eu de remords avec leur propres atrocités : ils ont vite changé leur victoire militaire en victoire morale, en oubliant qu'ils avaient totalement abandonné les Juifs d'Europe à leur sort.

Une étude sur le cas d'Alfred Andersch conclut cet essai littéraire. le cas Andersch résume bien à lui seul tout l'inconfort de la situation. L'intellectuel allemand doit se justifier (d'abord à ses propres yeux) de ses actes (ou de sa passivité) sous le nazisme, il lui faut ensuite, comme il peut, se dénazifier, et se construire une personnalité esthétique. Cela requiert honnêteté et droiture : art et morale ne sont pas séparables. Andersch a échoué sur tous ces plans, et l'étude de son cas est instructive.

La lecture de ces conférences m'a rappelé deux livres brillants écrits sur un problème analogue, par David G. Roskies : "Against the Apocalypse, responses to catastrophe in modern Jewish culture" (1984), et par Alan Mintz : "Hurban, Responses to catastrophe in Hebrew Literature" (1996). Ils seront sans doute traduits en français quand le Messie viendra.
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Ce livre rend compte d'une série de conférences, intitulées "Guerre aérienne et littérature", et prononcées par W.G. Sebald en 1997 à Zurich, et des vives polémiques qu'elles ont ensuite suscitées.

Sebald y rend compte des séquelles psychologiques des bombardements des villes allemandes à partir de 1942, et de l'apathie de la population (si bien décrite par Stig Dagerman dans Automne Allemand) et des écrivains, incapables de rendre compte de ce désastre au-delà du supportable et de l'inscrire dans la mémoire, ses conséquences étant refoulées avec le rejet de la défaite du Troisième Reich.

Un exemple frappant de cet aveuglement affectif est Irma Schrader, gérante d'un cinéma bombardé le 8 avril 1945 à Halberstadt, et qui, sans réfléchir, se lance à corps perdu dans une tentative absurde de déblaiement du cinéma, afin que la séance de 14h puisse tout de même avoir lieu. Jean-Yves Jouannais consacre à Mme Schrader un chapitre superbe, dans son essai "L'usage des ruines".

«Alfred Döblin, qui était alors dans le sud-ouest de l'Allemagne, consigne dans une note datée de la fin de 1945 : … Les hommes circulaient dans les rues, parmi les ruines effrayantes, comme s'il ne s'était rien passé de spécial, comme si la ville avait toujours été dans cet état.»

«Les récits des rescapés se caractérisent en règle générale par leur discontinuité, leur caractère singulièrement erratique, en telle rupture avec les souvenirs nés d'une confrontation normale avec les faits qu'ils donnent facilement l'impression de n'être qu'invention pure ou affabulation sortie d'un mauvais roman. Mais si ces relations de témoins oculaires paraissent mensongères, c'est aussi à cause de leurs nombreuses formules stéréotypées. La réalité de la destruction totale, qui échappe à la compréhension tant elle parait hors norme, s'estompe derrière des formules toutes faites comme «la proie des flammes», «la nuit fatidique», «le feu embrasait le ciel», «les puissances infernales s'étaient déchainées», «c'était une vision d'enfer», «le terrible destin réservé aux villes allemandes», etc. Leur fonction est de masquer et de neutraliser les souvenirs vécus qui dépassent le concevable.»

Sebald dénonce d'un côté la stratégie britannique, la soumission à une logique de production d'armes et la fascination pour la destruction de masse, mais aussi et surtout, dans un réquisitoire contre les écrivains allemands au sortir de la guerre, le refoulement de ces événements et de leurs conséquences psychiques en Allemagne. Cet oubli du passé fut un mécanisme efficace pour la reconstruction, mais ne permit pas de comprendre ou de tirer tous les enseignements des valeurs (telles que cette éthique du travail sans aucun état d'âme) sur lesquelles le nazisme a pu se développer. Selon les mots de Hans Magnus Enzensberger, «l'inconscience était la condition de leur succès».
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Né en 1944 dans un village des Alpes de l'Algäu, je suis au nombre de ceux que la catastrophe s'accomplissant alors dans le Reich allemand a presque complètement épargnés...Cette humiliation nationale sans précédent, n'a jamais réellement été mise en mots et ceux qui étaient directement concernés ne l'ont ni partagée ni transmise aux générations suivantes." Telles sont les premières lignes de ce petit livre de 150 pages confiées par ce grand écrivain et qui nous invitent à nous arrêter un instant sur ce dont on n'a peu parlé et quasiment jamais écrit : les bombardements massifs qu'ont connus l'Allemagne, restés tabou par un peuple entier. Sébald nous donne les fruits de sa réflexion sur les raisons de ce mutisme et les stratégies des Alliés. Jamais il ne discrédite son peuple, ni accable les Alliés. La finesse de son analyse rend troublant le récit d'une guerre, dont il faut connaître tous les visages.


La Royal Air Force, à elle seule, a largué 1 million de tonnes de bombes au cours de 400 000 vols. Pays détruit, villes rasées et pourtant jamais cet anéantissement n'est devenu objet de consensus pour ce peuple, ni n'a fait partie des débats au sujet de la réorganisation du pays. Une inconscience comme si cette destruction totale devenait la première étape d'une reconstruction collective, en témoignent ces cartes postales montrant Francfort détruit en 1947 à gauche, et Francfort reconstruit à droite. Etonnant, comme s'ils voulaient "créer une nouvelle réalité sans visage, barrant d'emblée la voie à tout souvenir"." la destruction a contraint la population à tourner son regard vers l'avenir et à se taire sur tout ce qu'elle avait vécu". Sébald essaie de comprendre l'étonnante insensibilité dont les allemands ont été capables : "L'inconscience était la condition de leur succès", avec aussi l'éthique du travail dont ils venaient d'hériter, le miracle économique a eu lieu, s'accompagnant aussi d'une liquidation par étapes de l'histoire allemande qui avait précédé.

L'establishment militaire alliée était divisée quant à la stratégie de riposte. Cette volonté de détruire la population civile, morte non sur le chemin d'un objectif à atteindre, mais comme étant un objectif en soi, s'illustre entre autre dans le fait que les noeuds de communication, les raffineries de carburant ou les usines de roulement à billes n'étaient clairement pas visées, alors qu'elles auraient suffi à paralyser un pays. Sébald évoque la position marginale de l'Angleterre qui cherchait "à détruire le moral de la population civile ennemie, en particulier des travailleurs dans l'industrie". Ce projet de bombardement systématique, s'il n'était stratégiquement et moralement justifié, ne pouvait non plus devenir une raison aux allemands de demander aux puissances victorieuses qu'elles rendent des comptes. On sait qu'Hitler, si Goering en avait eu les moyens aurait volontiers brulé la ville de Londres, en lâchant multitude de bombes incendiaires.

La complexité de l'objet amène Sébald à apporter par sa plume un éclairage différent qui tente de faire oublier pourquoi aucun écrivain allemand n'a voulu décrire cette guerre. le souci de la précision des renseignements, dont l'auteur fait preuve dans ce petit livre, éloigne naturellement toute odeur de revanche, de haine, de regret, ou de rancoeur. J'irai même jusqu'à dire qu'il est d'une parfaite objectivité, chaque mot ayant sa place, chaque exemple son rôle de témoin de souffrance. C'est brillant. Pour avoir vécu et aimé vivre en Allemagne, il m'a aussi aidé à encore mieux comprendre d'où ils ont puisé une telle énergie pour reconstruire leur pays.



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Un livre éprouvant mais magistral, important, sur la destruction et la reconstruction de l'Allemagne à la fin la guerre : villes entières bombardées, rasées, vies anéanties, misère, lambeaux de rues et d'hommes…

Sebald se questionne sur l'absence totale de cette destruction dans la littérature allemande : il y a le tabou du « monstre allemand » qui ne peut se constituer comme victime, parce que le sommet de l'Histoire à ce moment-là était la Shoah, et aussi bien sûr la difficulté de prendre la parole pour décrire le traumatisme absolu. Mais surtout l'Allemagne a dû se reconstruire : pour se reconstruire il a fallu refouler cette destruction, de la même manière qu'il a « fallu » « oublier » la Shoah.

Ainsi les écrivains allemands n'ont pas su s'emparer de leur « propre » destruction, ou alors dans une langue convenue, qui ne faisait que masquer l'anéantissement. C'est donc à une réflexion sur la langue, sur la littérature, et sur l'Histoire et ses processus de déconstruction et de reconstruction que nous convie Sebald dans ce grand livre.
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L'histoire est toujours écrite par les vainqueurs, dit-on. Ce petit livre qui se questionne sur les bombardements en Allemagne pendant la Deuxième Guerre mondiale le prouve une fois de plus. Ce qui étonne Sebald, c'est le silence de la génération d'après-guerre sur ces bombardements. Il fouille dans la littérature mais il n'y trouve pas grand chose, ou alors une esthétisation des faits qui ne dit rien sur ce qu'ont vraiment vécu les Allemands pris au piège dans les décombres de leurs villes détruites. Pourquoi ce silence, ce trou de mémoire, ce tabou? S'agit-il de culpabilité? Pourtant, pour une fois, le peuple allemand est victime. Quoique... Ce qui provoque les bombardements, c'est d'abord la fuite en avant des nazis, soutenus ou du moins tolérés par le peuple qu'ils ont pris en otage. Peut-on être à la fois complices et victimes? Les bombardements sur les villes allemandes montrent que plutôt que de répondre à cette redoutable question, il est plus simple de faire comme si rien n'avait eu lieu et d'enfouir une époque gênante dans l'oubli. le passé pourtant refait toujours surface et le colosse allemand ne marche pas tout à fait droit dans les bottes qui cachent ses pieds d'argile.
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Excellent livre sur la 'brutalisation' du monde à partir notamment de l'exemple des bombardements de Dresde par l'aviation alliée à la fin de la guerre, dont il n'est pas tout à fait exclu que le motif était aussi la liquidation des immenses stocks de matériel produits par le complexe militaro-industriel allié.
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"De la destruction" est un livre profond qui traite de l'incapacité des Allemands à aborder de manière réaliste - documentaire - l'écrasement des villes allemandes lors des bombardements de 1942-1945. C'est surtout l'absence de ce sujet dans les lettres allemandes de l'immédiat après-guerre qui retient l'attention de Sebald.
Les raisons de cette absence? L'oubli comme moyen de pouvoir se projeter dans l'avenir, la quasi-impossibilité de décrire de manière réaliste et 'froide" la situation vécue, mais aussi la puissance d'une culpabilité chez ceux qui ont exterminés tant d'humains...Tous ces arguments sont connus et n'apportent pas de regard original sur le sujet.
En revanche, Sebald traque les vieux réflexes allemands dans une psyché marquée par l'héroisme et par la rhétorique fasciste consistant à faire du sacrifice - même effroyable - le fondement nécessaire de toute renaissance. Tout est dit sur cette psyché allemande et sur ce qui en a résulté après-guerre : une volonté inébranlable de survivre et de reconstruire. le temps d'un retour objectif sur les souffrances allemandes n'est pas encore venu.
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Petit livre dans lequel Sebald met en lumière différents exemples de comportements humains particulièrement édifiants. J'en retiens trois.
Le premier est l'acharnement des Britanniques à bombarder les villes allemandes et à provoquer des catastrophes épouvantables dont on a peu conscience en France alors que les bénéfices militaires en ont été très limités voire nuls. A la lecture du livre de Sebald, on en retire l'impression que la motivation principale des Britanniques était qu'il fallait bien faire voler des avions construits en grande quantité.
Le deuxième est le constat de pauvreté et de faible fiabilité des témoignages portant sur les horreurs vécues par les Allemands durant ces périodes de bombardement.
Enfin les éléments biographiques fournis à charge par Sebald sur son collègue écrivain Alfred Andersch sont une belle illustration de la faiblesse humaine. Sebald accuse Andersch d'avoir surtout été préoccupé au sortir de la guerre de soigner son image de résistant de l'intérieur et de gommer tout soupçon de compromission avec le régime nazi.
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DE LA DESTRUCTION comme élément de l'histoire naturelle de W G SEBALD
J'avais noté le nom de cet auteur suite à un retour qui m'avait intrigué et j'ai choisi cet essai car le sujet est très peu abordé, voire évité sciemment et on comprend vite pourquoi. Vers la fin de la seconde guerre mondiale les alliés vont faire des raids en Allemagne détruisant plus d'une centaine de villes et tuant plusieurs centaines de milliers de civils. Sebald s'interroge et récuse le sentiment de culpabilité des intellectuels allemands pour lesquels le sujet est absolument tabou.
Dans cet essai, il y a la reproduction d'une conférence que Sebald a donné en 1997 ainsi qu'un texte assassin sur Andersch, père fondateur de la nouvelle littérature allemande après guerre et que Sebald accuse de lâcheté.
Depuis cet épisode il y a eu l'Irak et la Yougoslavie entre autres qui ont subi le même sort sur leur population civile et les questions que pose Sebald me semblent aujourd'hui encore très pertinentes.
Bien que je sois très loin de mes lectures habituelles, ce court essai m'a passionné.
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