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Critique de Soukiang


5 mai 1809, cinq mille soldats de l'armée napoléonienne sont faits prisonnés et débarqués sur l'île déserte et perdu de Cabréra, en pleine Méditerranée.
Sans rien, presque pas d'eau, de très maigres rations alimentaires. Un camp de concentration avant l'heure ...
Au nombre de la foule des militaires, vingt et une femmes s'y trouvent presque par hasard, malgré elles, débute alors un long calvaire pour toutes ces personnes livrées à une terre inconnue, isolées de tout, oubliées.
La même question se lit alors sur tous les visages, les a-t-on vaiment abandonnées sur ce rocher ?
Parmi l'une de ces femmes, l'histoire d'une jeune cantinière de dix-huit ans, Angélique Delage, mariée très jeune et déjà veuve, son mari n'ayant pas supporté le voyage en bateau.
Le commencement d'une nouvelle vie ...

L'auteure introduit d'abord un rappel des faits historiques, manière de situer le contexte géopolitique, cela peut paraître de prime abord un peu fastidieux mais indispensable.
Il permet d'appréhender, de comprendre, de s'immerger dans les tourments de l'histoire avec un grand H, celles qui va façonner et bouleverser l'Europe dans les troubles et les méandres de son évolution telle qu'on la connaît aujourd'hui.

Dès les premières lignes, à travers un récit à la première personne, je me suis fondu dans le personnage principal d'Angélique.
Ce qui frappe d'emblée, c'est l'écriture limpide, un style littéraire juste et équilibré, alternant descriptions intérieurs et extérieurs avec des dialogues aérés, tout est magiquement imagé, un sentiment de pénétration avec tous les états d'âme d'une femme prise comme dans un étau, pas seulement en prise avec cette île déserte, une terre hostile, âpre.

Mais au milieu de tous ces hommes, sans tomber dans le piège de considérer tous les hommes comme des masochistes, dans un petit espace à forte tendance masculine, il faut déjà se rappeler l'époque du livre, ces militaires viennent d'être battus, humiliés lors d'une guerre en Espagne (Bataille de Bailén), la plupart sont des conscrits en pleine fleur de l'âge, ils sont là parce qu'ils ont été appelés, selon la loi française.
Angélique n'aurait jamais dû se trouver en cet endroit pour des raisons que vous pourrez découvrir dans ce livre qui peut se lire comme une forme de journal intime, jour après jour (ou presque).
En sus du prologue historique, l'auteure sait de quoi elle parle, elle a fait des recherches poussées, en épluchant des mémoires et des archives historiques (dont vous trouverez les sources en fin d'ouvrage), j'apprécie le style de ne pas trop abonder dans le sens du roman historique.
Avant tout, c'est le récit d'une femme, miroir de toutes ses acolytes qui ont dû survivre, prendre sur elle, vivre et composer avec tous les éléments naturels et humains.

Angélique est vivandière ou cantinière, elle l'est devenue pour suivre son mari, Armand, conscrit. Un métier qui consiste à rendre des services (cuisine, infirmière etc ...) au sein des régiments militaires.
Quand elle doit faire le deuil de son mari qui n'a pas survécu à la traversée jusqu'à l'accostage sur ce rocher, le récit débute. Je n'ai pas mis longtemps à faire battre mon coeur à l'unisson de celle qui va tout donner, un symbole, un exemple ... jusqu'à la dernière ligne.
Fort d'une écriture fluide et sans temps mort, c'est un livre qui se lit d'une traite, la succession des chapitres appelle à toujours savoir, à avancer, un concept original pour mieux happer le lecteur, donner un cachet d'urgence, cette zone de survie et quelque peu en vase clos, même si l'île fait une dizaine de kilomètres carrés, il n'en reste pas moins plus de 5 000 personnes présentes.

Basé sur des faits historiques rigoureux, l'auteure a choisi la liberté de conter l'histoire de cette vivandière, en insufflant une inspiration romanesque, un souffle prégnant, les caprices du destin, la solitude d'une jeune femme même si l'amour n'est jamais loin, à l'instar de ses compagnons d'infortune, homme ou femme, Angélique oscille souvent entre espoir et désespoir, illusion et désillusion, la faim et la soif d'une part, les affres du temps (froid, chaleur) ne seront pas en reste, tous les moyens sont bons pour arriver à survivre un jour de plus et encore un autre, la culpabilité et le remord ne sont pas ici des notions abstraites, elles s'imposeront de force ou pas, les aléas de la vie, en lutte et en butte devant les préjugés, j'ai été impressionné par la capacité de l'auteure à donner cette consistance et cette épaisseur à plusieurs d'entre eux, pas seulement à la protagoniste.
L'aspect psychologique est palpable car souvent, c'est un long processus qui découle de tel ou tel, latent, irrévocable, irréversible.
Aux situations les plus précaires et les chaotiques succèdent ceux qui rivalisent d'émotions les plus inattendues et les plus belles, comme un signe divin, une larme ici, des sentiments contrariés là. Ses forces et ses opposées, ses faiblesses et ses contraires.

"... mes angoisses, mes peurs, mes doutes, ma culpabilité ..."

Une réussite pour reconstituer un microcosme à l'échelle d'un petit bout de rocher, c'est criant de vérité dans l'attitude de chacun, dans l'attente espérée non seulement d'une vie meilleure ou d'un avenir s'il existe mais surtout cette lueur, ce petit bout d'étincelle qui suffirait à leur bonheur, de croire à son prochain, de se considérer encore comme faisant parti de l'humanité.
Au milieu de l'horreur de cet abandon et de cette déperdition quasi totale, l'amour peut-il redonner force et vitalité, courage et espérance ?

L'autre point fort de ce roman est l'espace géographique décrite, le titre éponyme est le rocher, les lieux si désertiques sont époustouflants d'authenticité, c'est bien simple, en suivant les traces et les pas d'Angélique, on s'y croirait, après avoir baigné le lecteur du contexte historique au départ, puis de présenter les personnages au fur et à mesure de la progression de l'histoire d'Angélique, cet environnement erratique et d'une nature sauvage va petit à petit dévoiler ses secrets, les ruines d'un château par ci, le petit puit qui va permettre se sauver bien des personnes, d'autres sources naturelles viendront compléter donnant une ampleur inattendue.

J'avais appréhendé que l'auteure n'en fasse trop dans la partie "historique" de l'époque du livre, bien au contraire, j'ai découvert un vrai roman littéraire en ce sens qu'elle est arrivée à me captiver de bout en bout, à me faire éprouver de l'empathie exponentielle à l'égard d'Angélique mais pas seulement, une forme de compassion jamais gratuite ni complaisante pour bon nombre des personnages jusqu'à un pic culminant du livre, vous le découvrirez assez tôt, en un mot, déchirant.

L'intrigue se conjugue à plusieurs niveaux de lecture.
Un mariage réussi de la grande histoire réelle et de la petite histoire (celle d'Angélique) qui m'a ému, littéralement parlant et ... humain. La vie et c'est tout.

Un roman littéraire auto-édité qui mérite d'être lu par le plus grand nombre, un magnifique hommage à toutes ces femmes oubliées de l'histoire, c'est mon premier coup de coeur littéraire de l'année 2018, le rocher de Elisa Sebbel. ❤️

Je remercie l'auteure de m'avoir contacté, un soir de décembre😉, pour me faire découvrir son premier roman.

N'hésitez pas à vous rendre également sur le superbe site de l'auteure https://elisasebbel.weebly.com/unique.html qui est vraiment agréable à l'oeil, complet et d'une inspiration divine, vous y découvrirez notamment les premiers chapitres de son roman pour vous donner une idée et bien d'autres choses qui valent la peine de les lire ... à travers ses mots et sa pensée.

Je termine en vous laissant avec cette citation extraite des mémoires du soldat, Sébastien Boulerot qui était présent lors de cette période, il m'a accompagné pendant toute la lecture, la voici :

"Il y avait parmi nous des femmes ; ce furent des anges ! Quel dévouement ! Quelle activité ! Eh bien, quoiqu'en butte aux outrages et aux vexations de nos bourreaux, elles se portaient mieux. Elles étaient dans un perpétuel mouvement pour donner des soins aux uns et aux autres et le mouvement était le remède qu'il nous fallait.".
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