Quand parleras-tu de nouveau ?
Nos paroles sont les enfants de plusieurs personnes.
On les sème et elles naissent comme des enfants
elles s'enracinent et se nourrissent de sang.
Comme les pins
gardent la forme du vent
même lorsque le vent est parti, n'est plus là
de même les paroles
conservent la forme de l'homme
même quand l'homme est parti, n'est plus là.
Peut-être les étoiles, qui ont piétiné
ta nudité une nuit, cherchent-elles à parler,
peut-être celles-là
Mais où seras-tu à l'instant que la lumière
apparaîtra ici dans ce théâtre ?
HAI-KAI
Femme nue
La grenade qui s'est brisée était
Pleine d'étoiles.
Encore un peu et le soleil s'arrêtera.
Les lutins de l'aube
ont soufflé dans les coquillages secs ;
l'oiseau a chanté trois fois, trois fois seulement ;
le lézard sur la pierre blanche
reste immobile
regardant l'herbe grillée
là où la couleuvre a glissé.
Une aile noire trace une entaille profonde
haut dans la coupole de l'azur,
regarde elle va s'ouvrir.
Douleur de résurrection.
Solstice d'été
Le papier blanc, miroir implacable
restitue seulement ce que tu étais.
Le papier blanc parle avec ta voix
ta propre voix
non pas celle qui te plaît ;
ta musique est la vie
celle que tu as gaspillée.
Tu peux la regagner si tu le veux
si tu te fixes cette chose indifférente
qui te jette en arrière
à ton point de départ.
Tu as voyagé, tu as vu
beaucoup de lunes, beaucoup de soleils.
Tu as touché morts et vivants
tu as ressenti la douleur de l'adolescent
et le gémissement de la femme,
l'amertume de la verte enfance -
tout ce que tu as ressenti s'écroule
si tu ne fais pas confiance à l'espace blanc.
Peut-être y trouveras-tu ce que tu croyais perdu,
l'éclosion de la jeunesse
le juste naufrage des ans.
Ta vie est ce que tu as donné
ce vide est ce que tu as donné
le papier blanc.
EPITAPHE
En effeuillant des ombres de cyprès
Tu es partie, ce dernier été.
A l'heure où les songes deviennent vrais
à l'aube tendre du jour
j'ai vu les lèvres qui s'ouvraient
feuille par feuille.
Une faucille grêle brillait dans le ciel.
J'ai craint qu'elle ne les moissonnât.
"les vivants ne me suffisent pas,
d'abord parce qu'ils ne parlent pas, ensuite
j'ai besoin de questionner les morts
pour pouvoir avancer plus loin."
"Nous avions beau nous accrocher à d’autres tailles,
Enlacer d’autres nuques, éperdument
Mêler notre haleine,
A l’haleine de l’autre,
Nous avions beau fermer les yeux, c’était cela notre amour…
Rien que le profond désir
De faire halte dans notre fuite."
JE SUIS PARTI
Je n'ai pas voulu m'attacher. J'ai tout donné de moi, puis je suis parti.
Vers des jouissances qui se sont révélées à demi réelles,
en même temps que les folles chimères de mon cerveau,
je suis parti dans la nuit illuminée.
Et j'ai bu des vins âpres, comme savent
en boire les hommes de plaisir.
LES FEUX DE LA SAINT-JEAN
Notre destin, plomb fondu, ne saurait changer,
Il n'y a rien à faire,
On a versé le plomb dans l'eau sous les étoiles malgré les feux qui brûlent.
Si tu restes nue devant le miroir à minuit tu verras...
Tu verras au fond du miroir passer l'homme qui, dans ton destin,
Dominera ton corps,
Dans la solitude et le silence, l'homme
De la solitude et du silence
Malgré les feux qui brûlent
A l'heure où le jour finit sans que le nouveau commence,
A l'heure où le temps s'interrompt,
Celui qui dès lors, et depuis l'origine, dominait ton corps
Il faut que tu le trouves,
Que tu le cherches pour qu'au moins quelqu'un d'autre le trouve lorsque tu seras morte
Ce sont les enfants qui allument des feux et crient devant les flammes dans la nuit chaude
(Y eut-il jamais de feu qu'un enfant n'ait allumé, Erostrate !)
Et ils jettent du sel dans les flammes pour qu'elles crépitent
(Qu'il est étrange, le regard que soudain vous jettent les maisons, entonnoirs d'hommes, quand un reflet les parcourt)
Mais toi qui as connu le charme de la pierre sur le rocher battu des vagues
Le soir où le calme descendit,
Tu entendis, au fond de ta chair, la voix humaine de la solitude et du silence,
Quand s'éteignirent tous les feux,
Cette nuit de la Saint-Jean
Et que tu déchiffras la cendre sous les étoiles.