Le terme de "notes sur l'exotisme" correspondrai mieux à cette édition posthume de Segalen. Au fils des pages on à la curieuse impression qu'il se cite lui même !
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Entropie
p. 57
18 octobre 1911
Il y a une formule terrible, venue je ne sais plus d'où: "L'entropie de l'Univers tend vers un maximum". Ceci a pesé sur ma jeunesse, mon adolescence, mon éveil. L'Entropie: c'est la somme de toutes les forces internes, non différenciées, toutes les forces statiques, toutes les forces basses de l'énergie. je ne sais pas si les actuels soubresauts de la pensée le démentent ou le confirment. Mais je représente l'Entropie comme un plus terrible monstre que le Néant. Le néant est de glace et de froid. L'Entropie est tiède. Le néant est peut-être diamantin. L'Entropie est pâteuse. Une pâte tiède.
p. 63
1913
Dégradation du Divers.
Il semble que oui, Comme l'énergie, l'Entropie de l'Univers tend vers un maximum.
Mais lentement. Est-ce une grandeur humaine? Et l'on peut s'en désoler. Si j'assiste, je puis en être affligé. Si elle est du même ordre qu'une évolution civilisée, qu'une découverte. J'ai 35 ans, juste la moitié de ma vie et déjà j'ai connu le Pôle inconnu et découvert; je verrai la coupure de Panama et Tahiti abordée par le centre...
Ou bien si c'est l'ordre des phénomènes cosmiques: la marche vers Hercule; la fièvre solaire s'abaissant... ceci n'est plus très humain et vraiment ce serait bien artificiel que de s'y apitoyer.
Eh bien, je crois que, très tristement, la dégradation de l'exotisme est de l'ordre des grandeurs humaines... Mais qu'aussi le goût à déguster le plus faible divers croît, ce qui, peut-être, compense?
pp. 67-68
6 mai 1913
"On pourrait être tenté" de confier une part de cette recherche à l'analyse et aux enquêtes déjà faites sur la nature et l'essence des choses, et, particulièrement, sur la constitution de la matière. Je suis tenté de la faire.J'y arrive. Je demande donc au support étendu de tout ce qui existe si le fond de tout est l'homogène ou le divers. Il semble que la réponse soit décisive. Si l'homogène prévaut dans la réalité profonde, rien n'empêche de croire à son triomphe à venir dans la réalité sensible, celle que nous touchons, palpons, étreignons et dévorons de toues les dents et de toutes les papilles de nos sens. Alors peut venir le Royaume du Tiède; ce moment de bouillie visqueuse sans inégalités, sans chutes, sans ressauts, figuré d'avance grossièrement par la dégradation du divers ethnographique. Si, tout heureusement, le divers se manifeste de plus en plus aiguë à mesure que nous insistons, que nous pénétrons davantage dans la chose, - alors, on peut espérer. On peut croire que les différences fondamentales n'aboutiront jamais à un tissu réel sans couture et sans rapiècements; et que la fusion croissante, la chute des barrières, les grands raccourcis d'espace, doivent d'eux-mêmes se compenser quelque part au moyen de cloisons nouvelles, de lacunes imprévues, un réseau d'un filigrane très ténu striant des champs qu'on avait cru tout d'abord d'un seul tenant. Oui, interrogeons la matière. Toutefois avec la confiance et le scepticisme mélangés en parts égales de celui qui jette un sou, parie face, le voit tomber pile et recommence. Si la matière répond non, nous la forcerons bien quand même à répondre "oui".
Voici, il se trouve que, d'elle-même, la matière répond "oui". C'est une amie complaisante, pour quelque temps. Je ne dissimule pas ce que j'appelle "matière". Est-ce la "substance" éternelle ou non, divisible ou non, pleine ou lacunaire... ou ce qu'on veut? J'appelle "matière" l'idée que m'en ont donnée les recherches de l'époque où je vis, et à laquelle je suis lié. J'appelle "matière" ce que Thomson, Extein (sic), Svante Arrhemius (sic), W. Ostwald, Jean Perrin, Pierre Weiss et les Curie m'ont livré à peu de frais. Cette matière, garantie par se nouveauté, patentée par les différents gouvernements qui appointèrent ces observateurs, me suffit et me ravit par la réponse qu'elle me donne: elle enseigne un monde discontinu. Elle enseigne une structure "infiniment" granuleue, et nie l'application rigoureuse de la continuité mathématique à la réalité.
Ne peuvent sentir la Différence que ceux qui possèdent une Individualité forte.
En vertu de la loi: tout sujet pensant suppose un objet, nous devons poser que la notion de Différence implique aussitôt un point de départ individuel.
Que ceux-là goûteront pleinement l'admirable sensation, qui sentiront ce qu'ils sont et ce qu'ils ne sont pas.
L'exotisme n'est donc pas cet état kaléidoscopique du touriste et du médiocre spectateur, mais la réaction vive et curieuse au choc d'une individualité forte contre une objectivité dont elle perçoit et déguste la distance. (Les sensations d'Exotisme et d'Individualisme sont "complémentaires").
L'Exotisme n'est donc pas une adaptation; n'est donc pas la compréhension parfaite d'un hors soi-même qu'on étreindrait en soi, mais la perception aigüe et immédiate d'une incompréhensibilité éternelle.
Partons donc de cet aveu d'impénétrabilité. Ne nous flattons pas d'assimiler les moeurs, les races, les nations, les autres; mais au contraire éjouissons-nous de ne le pouvoir jamais; nous réservant ainsi la perdurabilité du plaisir de sentir le Divers. (C'est ici que pourrait se placer ce doute: augmenter notre faculté de percevoir le DIvers, est-ce rétrécir notre personnalité ou l'enrichir? Est-ce lui voler quelque chose ou la rendre plus nombreuse? Nul doute; c'est l'enrichir abondamment, de tout l'Univers. Clouard dit très bien; " Ce naturalisme, on voit que ce n'est pas notre abaissement, ni notre dispersion, ni un avantage qu'obtiendrait la nature aux dépens de la personnalité humaine, c'est l'empire agrandi de notre esprit sur le monde."
Exotisme chez l'enfant. L'exotisme pour lui naît en même temps que le monde extérieur. Gradation: est exotique, au début, tout ce que ses bras ne peuvent pas atteindre. Cela se mêle au Mystérieux. Dès qu'il est sorti de son berceau, l'exotisme s'élargit et devient celui de ses quatre murs. Quand ils sort, violente péripétie, recul. Il intègre sa sensation de l'ailleurs dans son chez lui; il vit violemment dans le vaste monde composé d'une maison. Est exotique tout ce que l'enfant veut. Autre changement brusque: à propos d'un récit, tout à coup, il se rend compte que ces choses qu'il lit, il pourra un jour les vivre! Les jeux continuent exactement comme avant. Le jeu est le même. L'état d'esprit est différent. Émotion inconnue: le désir, émotion d'homme.Il sait que c'est un jeu. Mais il le perpétue par désir de vivre. C'est une école de vie. Cela durera jusqu'au jour où, de nouveau, tout sera remis en question, quant il lui faudra réapprendre ces choses dans les livres (histoire et géographie) dont la sécheresse stérilisera l'exotisme.
13 janvier 1909.
Déblaiement: le Colon, le Fonctionnaire colonial.
Ne sont rien moins que des Exotes! le premier surgit avec le désir du commerce indigène le plus commercial. Pour lui, le Divers n'existe qu'en tant qu'il lui servira de moyen de gruger. Quant à l'autre, la notion même d'une administration centralisée, de lois bonnes à tous et qu'il doit appliquer, lui fausse d'emblée tout jugement, le rend sourd aux disharmonies (ou harmonies du Divers). Aucun ne peut se targuer de contemplation esthétique.
Par cela même, la littérature "coloniale" n'est pas notre fait.
or, paradoxalement, ceci naît à la lecture de "colonisateurs" enthousiastes, les Leblond. (L'oued.)
(Ils prônent, je crois, ce qu'ils appellent la politique d'association.)
La citation, si elle n'est pas systématique et cynique, seulement adventice dans un livre de déroulement d'idées, je la tiens pour une insuffisance ou un manque de tact; d'un mot (emprunté, non cité, d'un corps de métier) c'est toujours du . Le plaqué est possible s'il est systématique et devient .
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Saviez qu'en chinois il n'existe pas d'équivalent au mot français « impossible » ? Et savez-vous quel grand roman raconte qu'impossible n'est pas chinois ?
« René Leys », de Victor Segalen, c'est à lire en poche chez Folio.