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Critique de kielosa



Ceci est ma troisième critique d'un ouvrage d'Anna Seghers (1900-1983). Après "La Capitation" (28-01-2018) et "L'Excursion des jeunes filles qui ne sont plus" (10-11-2018), aujourd'hui je vous présente un billet d'une autre histoire relativement brève de cette grande écrivaine allemande : "Jans va mourir" d'à peine 61 pages, qui a été son tout premier ouvrage, écrit lorsqu'elle avait tout juste 25 ans et qu'elle venait de terminer ses études à Heidelberg.
La photo de couverture de l'édition de Biblio/Livre de Poche est celle de l'auteure l'année même de ce récit , en 1925.

C'est un peu dommage que j'ai lu ses chefs-d'oeuvres "La septième croix" (1942) et "Transit" (1944) il y a vraiment trop longtemps pour en faire une critique de mémoire, mais je promets d'en faire une relecture dans un avenir pas trop éloigné.

C'est le fils même d'Anna Seghers, Pierre Radványi, qui dans une préface nous dévoile l'histoire de cette histoire. L'arrivée au pouvoir d'Hitler avait forcé Anna et son mari, le sociologue hongrois László Radványi, qu'elle avait épousé en 1925, en juin 1933 à la fuite. Jusqu'à l'occupation de Paris par la peste brune en 1940, la famille avait habité à Bellevue-Meudon - comme la célèbre danseuse américaine Isadora Duncan (1877-1927), qui y ouvrit lors de la Première Guerre mondiale une école de danse - mais se voyait contrainte à une nouvelle fuite : de Marseille, en passant par la Martinique, au Mexique, où elle débarqua en mars 1941.

Son fils Pierre fut, en octobre 1945, le premier de la famille à retourner en Europe. Il avait 19 ans et avait gagné une bourse pour étudier à Paris. Plus tard, sa mère installée à Berlin-Est, lui demanda d'aller récupérer leurs biens restés à Bellevue-Meudon, essentiellement des livres, documents et papiers divers. Lors d'une visite à son fils, l'écrivaine avait décidé que cela resterait à Paris. Parmi les paperasses de sa mère bien-aimée, il y avait ses écrits de jeunesse, qu'il n'avait, par délicatesse envers sa mère, jamais dépouillés. À l'approche du centenaire de sa naissance, Pierre se décida et découvrit "Jans va mourir", écrit un an avant sa propre naissance. Par acquit de conscience il prit contact avec la grande biographe et spécialiste de l'oeuvre de sa mère, Christiane Zehl Romero (née à Vienne en 1937 et professeur de littérature comparée à l'université de Tübingen), et "Jans muß sterben" fut publié en Allemagne en 2000 et superbement traduit par Hélène Roussel en Français, l'an suivant.

Il aura donc fallu trois quarts de siècle avant que le manuscrit soit chez un éditeur et que nous pouvons faire (enfin) la connaissance du petit Jans Jansen, 7 à 8 ans, et l'enfant gravement malade de Marie et Martin Jansen.

Ma toute première impression : il s'agit d'un court opus, triste évidemment, mais d'une beauté littéraire absolument exceptionnelle. Il y a d'abord la personnalité remarquable de son auteure pour concevoir, à son jeune âge, une telle oeuvre délicate et ensuite la qualité non moins remarquable de la traduction d'Hélène Roussel. Lorsque je tiens compte de ce que Mme Roussel qualifie, dans sa postface intitulée "Jans n'est pas mort", à la page 90, comme un "texte (qui) renferme une telle intensité d'émotion", je ne peux que constater que mon jugement final confirme largement ma première impression.

Cette postface par l'ex-professeur de littérature à l'université de Paris 8 (Vincennes - Saint-Denis), née à Albi en 1945 et docteur en germanistique avec comme expertise l'exil allemand en France 1933-1945, est particulièrement enrichissante. Je n'ai pas honte d'avouer qu'Hélène Roussel y mentionne des aspects et qualités qui m'avaient échappé, bien que je sois un grand admirateur de l'oeuvre d'Anna Seghers.

Chères amies et chers amis sur Babelio, je vous recommande vivement ce petit livre. Ne vous laissez pas vous décourager par le mot "mourir" dans le titre, ni par cette maladie inconnue et fatale à notre petit héros, qui par un effort de courage monumental réussit en fin de compte, néanmoins, à choisir librement sa mort.

L'ancienne étudiante de Karl Jaspers - tout comme son mari d'ailleurs - montre dans cette nouvelle fabuleuse qu'elle n'a pas perdu son temps sur les bancs de l'université d'Heidelberg et qu'à part la philosophie, elle avait également maîtrisé la psychologie, tout en disposant de talents littéraires rares.

Bref, 5 étoiles : le max !
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