Dans la prison du sage un or se multiplie
qui ressemble aux reflets du soleil sur une eau
fuyant au long du temps. Un or qui se disperse
en rayons, en regards et en complicité
silencieuse. Les bruits lointains qui retentissent
n'arrivent plus ici. Dans la tour du Savoir
un feu fera du Rien le déambulatoire
qui va de porche en porche et reconduit au Rien.
Mais qu'importe. Un feu éclaire la durée,
Il illumine le passage, il fait une vie de plain-chant
dans le pays des pas-perdus. Et une lampe
suffit à la rançon, mais nul n'est détenu.
PORTRAIT
LÉGÈREMENT DÉHANCHÉ
La vie me fut un merveilleux voyage
Gouffre intérieur de pleurs emplis, palais vendus
pour rien, pour s’en aller plus vite, sans bagages
Léger, des vieux portiers inentendu.
Me fut ? Non pas. Elle m’est un parfum
où le jais à jamais se mêle à la cannelle
Où je goûte la vie si belle d’être belle
et pour moi, sans commencement ni fin.
J’y passe insoucieux dans les déserts
On y boit la rosée du temps. Le temps protège
ceux qui l’aiment autant qu’eux-mêmes. Sur des airs
de forçats, moi j’ai dansé ! Mais que n’ai-je
forcé, choisi, voulu ? Ce n’était rien
que la poussière du soleil, une pépite
de nombres, d’inflexions, de mouvements ou bien
ma respiration même. Et j’allais vite…
Pour Frédéric
Dis moi, ma vie, dans des éternités fuyardes
Nous ne nous retrouverons pas. Dans les yeux des chats
cependant
brille l'éclat d'un temps lointain. L'ombre de l'ombre
s'efface et se dilue. Un jour si tu t'en vas
ne m'oublie pas. Dans les secrets des pierres
des racines, de nos dialogues, des prisons
Nos mots furent couverts pour qu'un Dieu nous
demeure
fidèle mais ombré. Les flamboyants bourdonnent
dans l'instant arrêté. On dit que l'éternel
miroite dans ses sables où le soleil regarde
le temps sur ses cadrans. Oublie, oublie ma vie
Laisse les ronces et les cris, et du silence fais ton feu.
Que tes mains soient ta vérité, que l'amour soit la cha-
leur mère
où tu t'éveilles, où tu t'endors. Nous n'étions rien qu'un
grain jeté
Seghers et toi, ein Augenblick, rien qu'une graine…
COMMENT ?
Comment va le monde ?
Il va comme il va
La machine est lourde
On la traînera.
Comment va la vie ?
Va comme on la pousse
Le sang se fait vieux
Le cœur s’est fait mousse.
Comment va l’amour ?
Il avait tant plu
Que la terre est morte
On n’en parle plus.
Avec Pascal Ory, Albert Dichy, Antoine Caro & Virginie Seghers
Lecture par Frédéric Almaviva, Emmanuel Dechartre & Paule d'Héria
Éditeur des poètes, Pierre Seghers (1906-1987) est le fondateur de la Maison de la Poésie, dont il fut le premier directeur, de 1983 à sa mort en 1987. Il créa en 1944 la célèbre collection « Poètes d'aujourd'hui » qui rendit la poésie accessible au plus grand nombre. Résistant de la première heure, il eut un rôle actif dans le combat que menèrent poètes et gens de plumes contre l'occupant, avec sa célèbre revue Poètes casqués (P.C.) puis Poésie (40, 41, 42, 43). A l'occasion de la réédition de la Résistance et ses poètes par les éditions Seghers, une soirée-lecture est organisée en présence de Pascal Ory, historien, membre de l'Académie Française et auteur de la préface et nous accueillerons également Albert Dichy, directeur littéraire de L'IMEC qui détient un riche fonds d'archives sur les poètes de la Résistance, Antoine Caro, Directeur des éditions Seghers et Virginie Seghers, fille de l'éditeur.
Une adaptation pour la scène de la Résistance et ses poètes sera proposée par Frédéric Almaviva, en lecture.
« Contre l'occupant, l'avilissement, la mort, la poésie n'est ni refuge, ni résignations, ni sauvegarde : elle crie. »
Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes.
À lire – Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes, éd. Seghers, 2022.
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