Voici donc une petite Rostopchine qui est bien installée dans une noblesse française solide, disposée sinon à approuver du moins à vivre confortablement tous les régimes. Pour devenir écrivain, que lui manque-t-il? Une vie retirée, des loisirs. Peu à peu, elle les obtiendra. Elle avait passé les meilleurs moments de son enfance au château de Voronovo, dans la campagne moscovite, elle passe les meilleurs moments de sa vie d'adulte dans le château des Nouettes en Normandie, près d'une petite ville, dans une campagne feuillue, parsemée de fermes. Au contraire de son mari, qui est parisien dans l'âme et infidèle de nature, elle se plaît aux Nouettes et y passe le plus clair de son temps en élevant ses enfants. Elle en aura huit dont sept vivront. A près de cinquante ans, elle deviendra enfin grand-mère ; tous ses enfants sont grands ; elle est délivrée des contraintes familiales, elle est mûre pour écrire et elle écrit. Peut-être que si elle s'était sentie mieux à l'aise dans le grand monde parisien, peut-être que si elle avait formé avec Eugène de Ségur un couple plus uni, elle n'aurait pas été par le démon de l'écriture.
Ces trois jours passèrent comme avaient passés les huit jours à Paris, comme avaient passé les quatre années de la vie de Sophie, les six années de celle de Paul: ils passèrent pour ne plus revenir.
La petite Sophie elle-même n'aurait pu imaginer qu'elle deviendrait française, et que, par ses romans, elle charmerait et éduquerait des générations de petits Français.
Ils entrèrent dans le navire qui devait les emporter si loin, au milieu des orages et des dangers de la mer.
Les malheurs de Sophie : le poulet noir (1/3) | Des histoires merveilleuses