Le hasard a voulu que je tombe sur ce roman dans une boîte à livres au moment où l'Afghanistan revenait dramatiquement dans l'actualité...
Roman, pas vraiment en fait , et c'est d'autant plus intéressant . L'auteure est une journaliste reporter de guerre norvégienne qui a vécu la chute des taliban fin 2001 et qui a choisi de rester sur place , dans la famille de Sultan Khan, libraire à Kaboul, pour raconter de l'intérieur la vie d'une famille afghane de classe moyenne alors que la fuite des taliban ramène « un fragile espoir » chez les habitants.
C'est donc plus une série de portraits que nous fait Åsne
Seierstad et on plonge avec elle dans le quotidien de Sultan et de sa famille élargie : femmes, enfants, frères et soeurs , mère.
A travers l'histoire de Sultan Khan, c'est l'histoire de l'Afghanistan qui défile : « D'abord, les communistes ont brûlé mes livres, puis les moudjahidin les ont pillés, avant que les taliban ne les brûlent de nouveau , racontait-il » On a d'abord de la sympathie pour cet homme qui aime les livres, a trois librairies à Kaboul où militaires et journalistes vont chercher un peu d'air et de culture .... Et puis, au fil du récit, on s'aperçoit que le libraire a aussi un sens très prononcé des affaires et qu'il aime peut être surtout les livres pour l'argent et la considération qu'ils lui apportent... Et malheur à qui s'en prend à ses biens : il n'hésite pas à faire condamner à trois années de prison un pauvre menuisier qui a eu l'audace de lui voler des cartes postales.
Mais surtout on découvre un chef de famille très autoritaire et même tyrannique.
Il interdit à ses enfants d'aller à l'école et de choisir leur métier, obligeant ses deux fils à travailler pour lui. On prend ainsi en pitié le jeune Aimal , 12 ans, qui travaille 12 heures par jour,sept jours sur sept, dans une petite échoppe dans le sombre lobby d'un hôtel de Kaboul, boutique qu'il appelle « la chambre triste ». « Jigar khoon », « mon coeur saigne », dit-il, devant son enfance gâchée .
Enfin ce sont surtout les femmes qui font pitié dans ce livre, principales victimes de cette société patriarcale et dont la situation a souvent fait bondir l'auteure, comme elle le dit dans son avant-propos : « jamais je n'ai ressenti une telle envie de frapper quelqu'un que pendant mon séjour chez les Khan. C'est toujours la même raison qui me faisait sortir de mes gonds : le comportement des hommes envers les femmes. La supériorité des hommes est si ancrée en eux qu'elle n'est qu'exceptionnellement contestée. »
« Le désir d'amour d'une femme est tabou en Afghanistan. Il est interdit aussi bien par le strict code de l'honneur des clans que par les mollahs » Tout est dit : si les taliban et leur « ministère de la Promotion de la Vertu et de la Prévention du Vice » plus connu sous le nom de ministère des Bonnes Moeurs , ont fait « disparaître tous les visages féminins des rues de la ville » sous les burkhas bleu ciel dans les familles et la tradition, avec ou sans taliban, « tout reste inchangé : les hommes décident. »
(A noter qu'un chapitre intitulé « Ondoyantes, flottantes, serpentantes » décrit de manière assez drôle, paradoxalement, la sortie au bazar des femmes en burkhas )
« Les jeunes femmes sont avant tout un objet d'échange ou de vente ». L'auteure nous décrit en détail les tractations , la préparation du mariage, la cérémonie. Si elles ont de la chance, elles gagneront un peu d'autonomie dans le mariage, mais elles peuvent aussi passer d'un « esclavage » à l'autre . le portrait féminin le plus poignant est celui de la jeune soeur de Sultan, Leila, qui rêve d'enseigner l'anglais mais, « élevée pour servir, elle est devenue servante » et trime du matin au soir pour satisfaire les moindres désirs des 11 puis 13 personnes de la maison avant que sa mère ne la donne en mariage à un « grand dadais » inculte avec trois doigts en moins dont elle ne voulait pas... elle a essayé de trouver une porte de sortie pourtant, la pauvre Leila au coeur brisé qui piétine « dans la boue de la société et la poussière des traditions »
Ce n'est pas un roman, c'est parfois un peu décousu mais, à l'heure où les taliban reprennent le pouvoir en Afghanistan, ce quasi reportage au coeur de la société afghane est très instructif, déprimant aussi devant le sort fait aux femmes et l'impression d'une société figée dans ses archaïsmes...