Du génie à la folie la frontière est floue. Chez les Einstein, elle s'est figée sur le lien de filiation.
Albert Einstein est resté dans la mémoire populaire comme le savant de génie qu'il a été. Son fils cadet a perdu la raison.
Je ne m'étais pas encore intéressé à ce personnage singulier qu'a été
Albert Einstein, pourtant si célèbre. J'en étais resté à cette photo d'un sexagénaire échevelé tirant la langue et une formule (e=mc2) sans plus de signification. Je le découvre au travers de son fils devenu schizophrène, avec donc ce seul ouvrage de
Laurent Seksik comme référence. Je termine ce livre sur l'impression d'une notoriété entachée par une vie familiale qui ressemble à un champ de ruine. On ne peut pas tout avoir. La famille Einstein est une famille éclatée et chacun vit sa solitude de son côté. le fils cadet, Eduard, enfermé dans la schizophrénie. le père, exilé, enfermé dans sa faiblesse et sa lâcheté. La mère, Mileva, captive de l'amour exclusif qu'elle voue à cet oiseau blessé qu'elle tente de garder au nid. Quant au frère aîné d'Eduard, Hans-Albert, devenu adepte de l'église scientiste, il laisse mourir son propre fils sans lui apporter les soins qui l'auraient sauvé.
Cet ouvrage nous donne en sympathie ce fils, Eduard, que le célèbre physicien à délaissé pour partir aux Etats Unis, avec comme prétexte, au-delà du désamour conjugal qu'il a connu avec son épouse Mileva, celui de l'exil du Juif persécuté par le nazisme montant. le célèbre savant n'est pas présenté par
Laurent Seksik sous un jour très avantageux, faisant preuve d'une grande veulerie à l'égard de ce fils, sans doute et entre autres causes, écrasé par le poids de l'héritage.
On pourrait blâmer
Albert Einstein. Au final c'est la dimension sensible du personnage qui ressort, avec ses faiblesses. En homme seul, il sanglote lorsqu'il va voir son fils avant de l'abandonner aux bons soins de sa mère. Ce n'est certes pas l'image que l'inconscient populaire a perpétué du père de
la relativité. Cette mère, a contrario, se battra pour Eduard et lui témoignera son amour jusqu'à son dernier souffle.
Galvanisé par la gloire de ses découvertes, Einstein « nourrissait l'illusion de maîtriser les événements ». Lui qui pensait faire reculer la frontière entre le monde physique et le monde spirituel se trouve plongé dans la triste réalité avec la dérive de ce fils sur laquelle il n'a aucune prise ; au point que la fuite sera sa seule réaction. « Tu voulais me donner des leçons, tu apprends enfin la vie » lui reprochera son fils dans un monologue qu'il dédit à ce père absent.
La construction de l'ouvrage est bien faite. Eduard Einstein exprime son mal être, ses ressentiments, dans des chapitres consacrés à ses monologues, rédigés à la première personne, soulignant ainsi la solitude de cet esprit en errance. Des phrases très courtes s'y succèdent à cadence élevée. Elles tentent de traduire ce flot de réflexions désordonnées qui peuplent les deux parties de son cerveau qui selon lui communiquent si mal.
La défection du père est soulignée par l'absence de ses propos dans l'ouvrage. Il n'intervient pas dans les dialogues, mais seulement par propos rapportés, dans la bouche de son fils ou d'amis restés fidèles.
Il ne faut pas craindre de lire cet ouvrage qui aborde le thème douloureux de la démence. C'est fait sans voyeurisme. le couple mère-fils est très touchant. Cette femme anéantie par son divorce d'abord, par la maladie de son fils ensuite, fait preuve d'un amour indéfectible à l'égard de ce dernier. A la disparition de celle-ci, on s'interroge légitimement sur le devenir d'Eduard.
On perçoit bien l'innocence et le désarroi d'Eduard devant le comportement de son père qui protège sa propre existence en gardant sa distance avec lui. C'est pathétique, mais émouvant et bien administré par
Laurent Seksik.