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Citations sur Exercices de survie (18)

(Derniers jours de Buchenwald)

Certes, nous n'étions pas des milliers. Nous n'étions que quelques centaines de déportés en armes. (...)
Mais nous, Français, Russes, Allemands, Espagnols, tous les survivants européens- sauf les Polonais, je viens de dire pourquoi-, tous ceux qui avaient obéi aux directives du Comité militaire clandestin, en haillons, en armes, "hungry looking", comme l'ont écrit Fleck et Tenenbaum, faméliques, nous étions là, en rangs serrés, en marche vers Weimar, ville toute proche dont le nom évoquait tant de choses pour beaucoup d'entre nous.
(...)
Dans la première vague, armée de fusils et de mitraillettes, il n'y avait que des combattants chevronnés, à l'expérience militaire indiscutable. La plupart d'entre eux étaient des anciens des Brigades internationales de la guerre d'Espagne. Des Français de la XIVe, parmi lesquels mon copain Fernand Barizon. Des Allemands de la Thaelmann. Des Italiens de la Garibaldi. Et ainsi de suite. Quant aux Polonais de la Dombrowski, ils encadraient les jeunes maquisards partis volontairement sur les routes de l'évacuation.
Autour de ce noyau de brigadistes, il y avait des combattants de toute l'Europe: rescapés des Glières ou du Vercors, survivants de la guérilla dans les montagnes de la Slovaquie, les forêts des Carpates, l'immensité russe.
La deuxième vague c'étaient nous, les porteurs de bazookas.
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La vieillesse […] Aucune surprise d’y être parvenu, aucun mérite non plus. Un peu de lassitude, parfois, c’est vrai. De l’étonnement aussi, allègre à l’occasion, excitant ou bien, selon le cas, tout au contraire, agacé, mélancolique, d’avoir manqué tant d’occasions de mourir jeune. (p.21)
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A Madrid, en effet, n’ayant jamais été arrêté, malgré les efforts considérables déployés par la police de la dictature, je n’avais pas eu, comme autrefois, pendant la Résistance, à préserver la vie des autres, leur liberté, du moins par mon silence. Ce sont les autres qui avaient préservé ma liberté, par leur silence sous la torture. Jamais aucun des militants arrêtés pendant ces dix longues années de clandestinité n’aura livré à la police un rendez-vous avec moi, ni le moindre indice qui aurait pu me mettre en danger. J’ai vécu en liberté dix longues années de clandestinité – une sorte de performance ou de record si j’en crois les chroniques et les mémoires de cette période historique – grâce à tous ces silences multipliés.
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Avec sa mosaïque en pointillé, Semprun annexe l’histoire à a mémoire – ce qui le distingue de Malraux, qui fait l’inverse. Pour le Conquérant adepte des voies royales et des fastueux survols, qui le prend de haut avec les faits, l’expérience vécue sert de tremplin à l’imagination. Pour le méticuleux qui creuse et fouille son vécu, sa « vivencia », l’imagination est au service de la réalité, qu’elle reconstitue par bribes. Malraux tient son passé pour acquis, Semprun, pour une question. Le premier transfigure, le second recompose.

(Régis Debray - Préface « Semprun en spirale »)
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Nous allons survivre, disait Frager, certains d’entre nous, en tout cas, vont survivre. Nous allons devenir, les survivants vont devenir de vieux messieurs décorés, chenus, en plus ou moins mauvaise santé, respectables néanmoins. Nous allons faire partie de clubs ou d’associations diverses, présider peut-être des conseils d’administration, toucher des jetons de présence – rendez-vous compte, Gérard ! des jetons de présence, alors que désormais, à dire vrai, nous ne pourrons incarner que l’absence ! – bon, bon, passons, nous serons des notables si nous sommes des survivants : des nantis, c’est quasiment inévitable... Mais n’importe où, n’importe quand, à n’importe quelle occasion, banquet d’anciens élèves de tel grand lycée, d’anciens lauréats de tel ou tel prix ou concours, amicales de tel ou tel réseau, certains d’entre nous se retrouveront soudain autour d’une table pour un instant de vraie mémoire, de vrai partage, même si la vie, la politique, l’histoire nous auront séparés, même si elles nous opposent, et nous pourrons alors constater, avec une sorte d’allègre effroi, d’étrange jubilation, que nous possédons tous quelque chose en commun, un bien qui nous est exclusif, comme un obscur et rayonnant secret de jeunesse ou de famille, mais qui par ailleurs nous singularise, qui nous retranche sur ce point précis de la communauté des mortels, du commun des mortels : le souvenir de la torture.
L’expérience de la torture, avait-il répété sourdement.
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barbie ... il lui tendit triomphalement un feuillet où il avait inscrit son vrai nom, mais incorrectement orthographié : Moulins.
Alors, Jean Moulin, physiquement brisé, détruit, mais moralement indemne, se borna à tendre la main et à biffer ce "s" inutile.
Voilà : Moulin !
Je ne connais pas de geste plus sublime, plus significatif de la capacité de l'homme à affirmer son humanité en se surpassant. En surpassant sa propre finitude, sa misérable condition humaine.
Après ce récit, il y eut du silence entre Frager et moi. Silence peuplé pourtant d'ombres fraternelles. Nous en tombâmes d'accord, en effet, ce jour là : l'expérience de la torture n'est pas seulement, peut être même pas principalement, celle de la souffrance, de la solitude abominable de la souffrance. C'est aussi, surtout sans doute, celle de la fraternité.
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On sait, toutes sortes de témoignages et de documents l’attestent, que les déportés français ont dû s’imposer, dans les camps nazis, et à Buchenwald en particulier, auprès de leurs compagnons d’infortune – s’imposer moralement, s’entend – par leur courage et leur esprit de solidarité, afin de changer, de modifier du moins, l’exécrable réputation politique de la France parmi les citoyens des pays du centre et de l’est de l’Europe – exécrable réputation due à ce qu’ils considéraient tous comme une trahison, un abandon, un renoncement égoïste et craintif : la capitulation de Munich devant les exigences de l’Allemagne hitlérienne.
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Tout a une fin dans la vie, même les raisons de vivre. Mais pourquoi ne vivrait-on pas sans raisons ? Je veux dire, sans autre raison que celle de vivre, précisément, avec toutes ses conséquences.
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Et sans doute l'être du résistant torturé devient-il un être-pour-la-mort; mais c'est aussi un être ouvert au monde, projeté vers les autres : un être-avec, dont la mort individuelle, éventuelle, probable, nourrit la vie.
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Car tout a une fin, même l'orgueil compréhensible, sans doute démesuré, d'une double vie pleine de risques assumés, de découvertes et de rencontres. Tout a une fin dans la vie, même les raisons de vivre. Mais pourquoi ne vivrait-on pas sans raisons ? Je veux dire, sans autre raison que celle de vivre, précisément, avec toutes ses conséquences. Une vie nouvelle, voici ce qui m'attendait sans autres raisons de vivre que celles de la vie même ; sans risque particulier, autre que celui de la mort même, risque si banal, si universel dans la vacuité de son évidence ontologique, qu'il ne pouvait fonder nulle expérience de vie singulière, hors norme.
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