Il y a des livres que l'on aborde avec un certain respect, et que l'on referme la gorge nouée, le coeur lourd, avec une étrange sensation de malaise. Les livres autobiographiques de
Jorge Semprun en font partie, notamment celui-ci, le tout premier qu'il ait écrit sur son "expérience concentrationnaire", comme on disent les bien-pensants. Ici, la chronologie est volontairement bouleversée, comme pour mieux suivre l'évolution de la pensée et des souvenirs, évoquant tour à tour la Résistance, l'arrestation, le voyage, bien-sûr, mais aussi "l'après", la libération, le retour en France... du camp lui-même,
Semprun ne dit que le minimum, mais ces détails sont aussi rares que terribles, lorsqu'il raconte pudiquement comment les prisonniers, à l'appel du matin, se rangeaient autour de leurs camarades morts pendant
la nuit, faisant tenir debout leurs cadavres, afin d'obtenir quelques rations supplémentaires de pain, celles-ci étant calculées chaque jour en fonction du nombre de détenus... Mais l'on sent que dans ces lignes,
Semprun n'arrive pas encore à parler du camp lui-même, il est peut-être encore trop tôt pour cela, même vingt ans plus tard ; on dirait que l'auteur cherche avant tout à réellement s'attarder sur le voyage, sur cet aller simple vers l'Enfer, qu'il a partagé avec un camarade attachant, qu'il appelle le gars de Semur, mort dans ses bras peu avant l'arrivée à Buchenwald, comme tant d'autres avant lui au cours du voyage. Toute l'horreur est déjà là : la mort rôde avant même l'arrivée au camp, arrivée marquée, dans l'esprit de l'auteur, par le massacre ignoble d'enfants juifs par les soldats SS. Mais l'écriture de
Semprun est peut-être encore plus troublante par sa retenue et sa sobriété, que l'on retrouve chez d'autres "rescapés" comme
Primo Levi ou
Elie Wiesel.
Semprun dit l'indicible, dit ce que tant d'autres n'ont pas voulu entendre ; pire encore, à sa sortie du camp, il se rend dans un village voisin, d'où il constate amèrement que les villageois ont nécessairement vu et compris ce qui se passait à quelques mètres à peine de leur petite vie tranquille, eux qui ont sans rien dire respiré pendant des années la fumée des fours crématoires... (la suite en cliquant sur le lien ci-dessous !)
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