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Critique de Bouteyalamer


Ce livre vaut par la présentation qu'en fait Paul Veyne autant que par le texte antique.

La préface de 165 pages est une oeuvre en soi. Elle porte sur la vie de Sénèque, sur le stoïcisme, et sur la tyrannie de Néron dont Sénèque fut le précepteur, l'ami puis la victime. Comme dans son « Empire gréco-romain » de 2005, Veyne nous fait comprendre l'histoire intellectuelle de l'antiquité : pourquoi le polythéisme des élites, la soumission à l'Empereur, la tolérance à l'esclavage, aux gladiateurs et aux supplices. Veyne est aussi un philosophe du présent qui sème des coups de dents quand il compare Néron à Staline (p XV) et dans ses allusions à ses collègues contemporains ou au pape. « Malgré sa clarté, Sénèque doit être pris philosophiquement au sérieux » (p V). « Malgré sa clarté » est savoureux. « Quant à l'héroïsme inutile, au témoignage, fût-il impuissant, à la protestation de la conscience humaine, c'était une attitude qu'on attendait d'un philosophe (comme ceux qui prennent encore l'église au sérieux l'auraient attendue d'un souverain pontife), mais qui était inusitée chez les sénateurs » (p XXXIII) : ici, c'est le « souverain pontife » qui nous régale.

Les Lettres sont rédigées dans un style oratoire chargé de citations et de métaphores militaires. Elles dissertent plutôt sur la supériorité morale du philosophe et les sacrifices qu'il s'impose pour la mériter que sur un système philosophique. Elles font du stoïcisme une discipline personnelle, un art de vivre élitiste, présentés souvent sur un ton complaisant. Sénèque, philosophe officiel et l'un des hommes les plus riches de son temps, déclare tout de go à Lucilius : « Le philosophe est vénérable et saint » ; « Il s'accorde un traitement un peu rude » ; « la Nature exige bien peu, et le sage s'accommode à la Nature » ; « Il y a du mérite à ne pas se gâter dans la promiscuité des richesses ; celui-là est grand, qui, au sein des richesses, demeure pauvre » ; « Vraiment, il s'est mis au-dessus des nécessités, il a fini de servir, il est libre, celui-là qui vit, sa vie achevée » ; « L'homme de bien naît peut-être, comme le phénix, une fois tous les 500 ans » (Lettres 8, 14, 18, 20, 32, 42). Sénèque promet la gloire à son ami Lucilius, opulent gouverneur de la Sicile, s'il suit ses conseils : « J'aurai crédit chez la postérité ; j'ai de quoi faire durer les noms que j'emmène avec moi » (Lettre 21). Paternaliste, voire envahissant, il lui sert des maximes qu'il traite ensuite de « colifichets tapageurs » (Lettre 33).

On trouve un tournant vers plus de sincérité après la lettre 48, dans laquelle il reproche à Lucilius de mal traiter ses esclaves. Il devient ironique quand il parle de ses crises d'asthme, de la peur qui l'a fait se jeter en mer par gros temps (Lettre 50), de la fragilité de sa concentration (Lettre 55) : « N'oublie pas le chercheur de querelles, le filou pris sur le fait, l'homme qui trouve que dans le bain il a une jolie voix. N'oublie pas la piscine et l'énorme bruit d'eau remuée à chaque plongeon. Outre ces gens qui, à défaut d'autres choses, ont des intonations naturelles, figure-toi l'épilateur qui reprend sans cesse un glapissement en fausset, afin de signaler sa présence, et ne se taisant que pour écorcher les aisselles et faire crier un autre à sa place » (Lettre 56). À l'opposé de Rousseau, Sénèque professe que les hommes sont naturellement mauvais et que peu d'entre eux méritent la joie par l'effort : « Voici, mon cher Lucilius, une pensée qui ne doit pas t'empêcher de bien espérer de nous : le mal nous tient ; depuis longtemps il est en possession de nous. La sagesse n'est jamais venue à personne avant la déraison. Nous avons tous ce handicap. Apprendre la vertu, c'est désapprendre les vices » (Lettre 50). Il devient grave quand il affirme que la force du sage est la liberté de choisir sa mort dans le suicide : « La liberté, voilà l'enjeu, le prix qui doit payer nos peines. Qu'est-ce qu'être libre ? Tu le demandes ? C'est n'être esclave d'aucun objet, d'aucune nécessité, d'aucun accident concevable ; c'est réduire la Fortune à lutter de pair avec moi. le jour où j'aurai compris que je puis plus qu'elle, la Fortune ne pourra rien. Subirai-je ses volontés, quand j'ai la mort à mon service ? » (Lettre 51). Il faut croire à la détermination de Sénèque puisqu'il se suicide sur ordre de Néron. Cette « mort libératrice », racontée par Tacite, sera aussi digne que dans le Couronnement de Poppée, mais bien plus douloureuse et difficile (voir la fin de la préface). La plus belle Lettre est la 102, qui présente la mort comme une nouvelle naissance. La plus belle Lettre est la 102, qui présente la mort comme une nouvelle naissance en 23-30, passages si denses qu'ils découragent la citation.
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