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Critique de Pasoa


Le hasard et les circonstances m'ont fait voir en ouverture du tout dernier festival d'Avignon, la remarquable représentation de Thyeste, tragédie de Sénèque, mise en scène par Thomas Jolly.
Hors du jeu des acteurs, des décors, des effets scéniques, de la musique tous fascinants, j'ai voulu revenir au texte, à une tragédie dont je n'imaginais pas l'invraisemblante violence qu'elle recelait.

Si les seules tragédies latines dont il est conservé aujourd'hui les textes complets sont celles de Sénèque, il apparaît bien difficile de déterminer précisément la date et l'ordre dans lequel elles ont été écrites. Deux familles de manuscrits sont parvenus jusqu'à nous mais beaucoup d'éléments les différencient : le nombre de pièces qu'ils contiennent, certains de leur titre, leur ordre et même l'incipit.
Cependant, de l'avis des éditeurs, concernant la seule tragédie de Thyeste, elle aurait été écrite en 55 après J.C soit sous le règne de Néron dont Sénèque fut l'un des très proches conseillers.

L'argument : petits-fils de Tantale et fils de Pélops, Thyeste, roi de Mycènes séduit l'épouse de son frère jumeau Atrée, le roi d'Argos. En plus de l'adultère, Thyeste usurpe le pouvoir de son frère en recevant de son amante un agneau doré, signe de règne sur Argos, qu'avait découvert Atrée lui-même. Ce dernier découvre le complot ourdit par son frère et parvient cependant à maintenir son autorité sur le royaume. Sous la crainte de représailles, Thyeste prend la fuite et se réfugie avec ses trois jeunes fils dans les montagnes de l'Épire.
Son frère enfuit, Atrée apprend alors la relation adultère de Thyeste et de son épouse Érope. En proie à la fureur, il jure de se venger. L'improbable va venir :

ATRÉE
Je ne sais quoi gonfle en mon coeur, plus grand, plus vaste,
Un acte non banal et plus qu'humain, qui presse
Mes paresseuses mains, non, je ne sais lequel,
Mais énorme. Qu'il soit ! Empare-t'en, mon âme.

Atrée entre dans une colère démesurée. Tout son être abhorre Thyeste. Tout est décidé : il fait parvenir un message à son frère en exil. Dans celui-ci, il l'invite à venir le retrouver pour mettre fin à la discorde dans l'échange d'un pardon mutuel et fraternel. Thyeste, pressent dans cette invitation une menace mais ses trois jeunes fils qui l'accompagnent le persuadent jusqu'au bout de se rendre au palais royal d'Argos. Accueillis chaleureusement par Atrée, les invités ne savent pas que le piège vient de se refermer sur eux.
Beaucoup plus tard, les deux frères se retrouvent seul à seul autour d'un fastueux banquet. Thyeste se gorge des mets qui lui sont servis et s'enivre de bons vins, quand tout à coup :

THYESTE
Pourquoi, douleur, surgis-tu sans motif,
Me rappelant à toi, me défendant
De festoyer, m'ordonnant de pleurer,
(...) Sans le vouloir des pleurs baignent ma face,
Et malgré moi je gémis quand je parle.
(...) Un brouillard naît, la nuit s'est cachée dans la nuit,
Tous les astres ont fui ! Que ce prodige épargne
Mon frère et mes enfants, que tout l'ouragan frappe
Ma vile tête ! Ah, rends-moi vite mes enfants !

ATRÉE
Tu les auras, nul jour ne te les ôtera.

THYESTE
Quel est ce puissant trouble agitant mes entrailles ?
Qui tremble en moi ? Je sens en moi un trouble insupportable,
Mon coeur gémit, mais ce n'est pas moi qui gémis !
Venez à votre père, hélas, il vous appelle,
Mes fils, à votre vue ma douleur s'enfuira !
Mais d'où m'injurient-ils ?

ATRÉE
Père, Ouvre-leur tes bras,
Ils sont là, les voici. Reconnais-tu tes fils ?

C'est ici qu'apparaît alors toute la fureur et l'horreur de la vengeance d'Atrée sur son frère Thyeste...

Destin infernal réservé aux descendants de Tantale (personnage honnis des dieux qui apparaît au tout début de la pièce, exhorté par une furie à répandre le malheur et la désolation sur Atrée et Thyeste), le seul contenu de cette tragédie serait à lui seul insupportable à lire s'il ne fallait pas le resituer dans un contexte théâtral, celui de la tragédie antique, et dans l'oeuvre propre de Sénèque qui, après l'inceste (Oedipe), la colère face aux dieux (Médée, Hercule et Phèdre), aborde dans Thyeste le thème du sacrifice humain, de la vengeance mais aussi tous ceux du destin, du pouvoir, de l'adultère, de la descendance,...

Même si l'issue terrible de cette tragédie se fait connaître au mitan de la pièce, la confrontation entre Atrée et Thyeste entretient jusqu'aux derniers mots la stupeur et l'effroi du lecteur (j'allais dire du lecteur-spectateur). Oeuvre peu connue et peu interprétée, Thyeste est une pièce qui, de très nombreux siècles après sa création, ne cesse de surprendre par sa prégnance.
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