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EAN : 9782070149957
624 pages
Verticales (20/08/2015)
3.82/5   11 notes
Résumé :
Le lecteur trouvera ici la suite véridique des aventures d’Achab, soi-disant capitaine, rescapé de son dernier combat contre un poisson immense.
On verra comment ce retraité à la jambe de bois a tenté de vendre au plus offrant son histoire de baleine – sous forme de comédie musicale à Broadway, puis de scénario à Hollywood. En chemin, on croisera Cole Porter et ses chorus girls, mais aussi Cary Grant, Orson Welles, Joseph von Sternberg ou Scott Fitzgerald... >Voir plus
Que lire après Achab (séquelles)Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
« Achab (séquelles) » de Pierre Senges (2015, Editions Verticale, 624 p.). On ne présente plus Pierre Senges, d'ailleurs il a une chronique dans « le Matricule des Anges » # 92, avril 2008, ce qui n'est pas peu dire.
On ne présente pas non plus Achab, le capitaine du « Pequod », navire baleinier sur lequel embarque le jeune Ismael, non plus qu'on ne présente Moby Dick, la baleine blanche que chasse Achab. Tout cela, le pilon en os de baleine, le doublon d'or cloué au mat, les filins des harpons, la plongée de Achab à saute-baleine, tout cela c'est dans le livre comme disait Herman Melville. Y compris les personnages, Ismael et Achab
Là il s'agit de Séquelles (ou de Préquelles) après la baleine. Que devient Achab après que le baleineau lui ait bouffé sa jambe ? Que devient la baleine une fois démêlée de ses filins ? Ces questions hantent tous les lecteurs de Melville. A tel point que László Krasznahorkai, qui a gagné le Booker Price (Guerre et Guerre, Satantango….) est en train de rédiger une suite « Melville After the Death of Moby Dick ». On se souvient de l'effroi de Mme Pflaum dans « La mélancolie de la résistance » (2006, Gallimard, 394 p.) qui croit apercevoir des ombres qui la suivent, qui se battent et qui l'effrayent. Elle croise aussi un tracteur pétaradant qui traine une remorque annonçant (sic) « LA PLUS GRANDE / BALLAINE JEANTE / DU MONDE ». L'arrivée de ce cirque va déclencher le trouble dans le village.« On se demandait si la fin du monde n'était pas imminente ».
En fait, ce billet en reprend un plus ancien (2009), sur « Achab » et depuis « The Manhattan Project » a été édité (2017 Sylph Ed., London, 96 p). Mais c'est un livre avec moins de texte, et avec 40 photos en demi tons de Ornan Rotem, dans lequel l'auteur part (toujours) à la recherche de Herman Melville. Sa quête part de Manhattan, où il découvre l'architecte Lebbeus Woods lors d'une visite à l'exposition du Moma PS1 à laquelle il est convié par hasard. Puis Nantucket, l'ancien port baleinier où il se met dans les pas de Melville. Mais Ismael n'est plus là. Il ne reste que le phare, Eddystone Lighthouse, et « des bouts de bois de Nantucket qui sont considérés comme des morceaux de la vraie croix à Rome ». Il suit Melville à nouveau à New York, à la New York Public Library (NYPL), avant de le retrouver sur l'East River puis à Londres et Berlin.
Entre temps il croise les pas de Malcolm Lowry dans le New York's Bellevue Hospital, là où Lowry a été hospitalisé pour désintoxication, faits qu'il décrit dans « Lunar Caustic » traduit par Clarisse Francillon (1977, Maurice Nadeau, 216 p). Dans ce livre, il y a une scène de rêve assez fantastique dans laquelle un bateau qui transporte toute une ménagerie est pris dans une tempête. A Berlin, au bar du Zwiebelfisch, son ami lui raconte l'anecdote de l'arrivée de Malcolm Lowry à New York, sur la jetée de l'East River, portant une énorme valise avec grande facilité. le douanier l'interroge sur le contenu, lequel consiste en une seule chaussure de rugby et d'une édition de poche en lambeaux de Moby-Dick. Et László Krasznahorkai de conclure « Eh bien, je réfléchis, j'ai maintenant trois ivrognes de génie, chacun ayant sa propre route à Manhattan : Woods, Melville, Lowry. / Mon Dieu, je suis sur la bonne voie ». Puis il aura « Chasing Homer » (A la Poursuite d'Homère) le nouveau livre de Lászlo Krasznahorkai, traduit en anglais de « Mindig Homérosznak » par John Batki, son traducteur habituel (2021, New Directions, 96 p.).

Dans le cas de Pierre Senges, les fils s'emmêlent et on assiste, émerveillés, à une suite de listes, habituelle à l'auteur. Par exemple, il y a les deux pages à propos de l'aujourd'hui (mais il est vrai que ce n'est plus demain et pas encore hier) ou les multiples variations sur l'absence. Bref du Pierre Senges de la plus belle eau. Que ceux qui n'ont pas lu « Fragments de Lichtenberg » (2008, Editions Verticales, 634 p.) ….
Donc tout commence sur les quais de Nantucket, l'ancien port baleinier sur la côte Est. « Appelez-moi Ismaël ». Ce dernier vous met tout de suite dans le bain. Chez Senges c'est plutôt : « Moby Dick vous connaissez ?». Et c'est partie pour une série de poursuites pour trouver et chasse la baleine blanche. Moby Dick, c'est la monstrueuse baleine blanche. C'est aussi l'incarnation du Mal, cette figure de l'obsession et du double qui, des profondeurs glacées, accompagne le capitaine Achab. « Achab monta sur le pont. C'est là que la plupart des capitaines font leur promenade à cette heure, comme les messieurs de la campagne, après le même repas, font quelques tours de jardin ». Suivent des scènes de vie pendant la pêche à la baleine. « Achab : un pas sur sa jambe légitime, le pas suivant sur une imitation grossière ». On verra aussi de quelles façons la dite baleine est coriace et cherche à se venger de son boiteux capitaine. Mais on ne raconte (surtout) pas un livre de 624 pages, à lire sans modération, livre dont la pièce future « Un Vieux Marin Têtu poursuit une Baleine Blanche » pourrait tout aussi bien devenir « Un Orphelin Abandonné à la Naissance épouse sa Mère par Erreur ».
Une fois que Achab a enfin trouvé Moby Dick, il plonge trois minutes avec elle, puis il échoue sur une île. Il ne veut plus entendre parler de mer, qui est « l'amertume », un « vide carnassier », autrement dit l'ennui. « le capitaine a flotté longtemps ; il faut pour bien flotter un calme, une abnégation qu'on ne soupçonnait pas chez lui -on l'aurait plutôt vu couler à pic, décidément, un vieux poignard aiguisé mille fois enchaîné à une enclume, qui lui sert de mémoire, et voilà don destin ». Ce qu'il y a de charmant dans ces notes de bas de page, c'est qu'elles n'expliquent rien. Voilà Achab rendu à la terre ferme. « Désormais, la marine, très peu pour lui ».
Mais, bon seigneur, Pierre Senges se préoccupe aussi de la baleine. « « Un vide soudain », le jour où Moby Dick encore fière de sa dernière bataille (trois hommes à l'eau) comprend que le capitaine a mis un terme à sa chasse, non pas provisoirement, définitivement, de retour dans ses terres ».
Parti comme c'est, on s'attend à lire un livre misérabiliste. C'est sans compter avec Pierre Senges qui prend le contre-pied d'un unijambiste pour bâtir son roman. Suivent alors des scènes cocasses où l'on voit Achab à New York, devenu liftier, garçon d'hôtel, confesseur, comédien et souffleur (normal pour un ex baleinier), avant de proposer à Londres des pièces au théâtre, puis de même à Broadway et à Hollywood. Ah ces prestations avec les Ziegfeld Folies… Mais le livre reste un essai, avec notamment des réflexions sur comment faire entrer le baleineau au théâtre (en poisson rouge ?).
On croise à Hollywood une certaine Martha Doolittle « demi-veuve du capitaine Achab […], femme chevalière à la Orlando Furioso ». La jeune madame Achab « devenue veuve Martha ou demi-veuve se débarrasse de la moitié de son veuvage, de la durée du deuil, jupon noir amish » seule équivalente à « Pénélope, demi-veuve elle aussi ». Achab lui-même « Achab ne dira pas le contraire : pendant deux ou trois minutes, le temps d'une chanson, il a été fixé par la baleine, et pendant ces trois minutes (il veut bien appeler ça portion d'éternité), il a entamé auprès d'elle une vie de couple amphibie, éphémère, ébauchant un avenir commun sous six pieds, sous six mille pieds d'eau : elle, continentale, impérieuse, éblouissante même par grands fonds, étrangère à toute forme de susceptibilité, capable au contraire de tout avaler, le navire et ses passagers, la taille d'un estomac disant tout de la capacité d'un être à amortir les coups durs de l'existence ». Et l'océan, qui n'est pas en reste. « L'inévitable décor d'océan se donnant comme panorama et comme infini contenant : mille millions (un petit peu plus) de kilomètres cubes d'eau salée mêlée de chair humaine et de poissons en proportions inégales, et là-dedans des harengs frais, des requins-marteaux, des baleines à nez de bouteille et des marsouins hourra, des baleines à tête d'enclume, des poissons-clowns, des poissons-chats, des hippocampes comparés quelque part à des allumeurs de réverbères, des bélugas, des huîtres perlières, d'autres qui ne le sont pas, ne le seront jamais, et se sont fait une raison, des baudroies, des encornets, les restes de la croisade de 1212, les théières de vermeil destinées au roi Charles d'Angleterre coulées en 1633 entre Burntisland et Leith – théières suivies dans l'ordre (à travers un fond trouble) de pianos droits, de lingots d'or ou plus sûrement de pioches de chercheurs d'or bredouilles, de pantoufles et chemises de nuit, extraits de naissance, avis de décès, jeux d'échecs, grille-pain, portes tambours, brosses à reluire, jetons de téléphone, bibles traduites en cent vingt langues, Grand Albert et Petit Albert, livres de bonnes manières, banjos, trompettes, harmonicas, fausses couronnes du roi Richard III, casquettes de marin, fraises élisabéthaines, pages brûlées de Nicolas Gogol, buste de Tibère, cafetières italiennes et cafetières américaines, un Catalogue systématique des mammifères marins, des partitions de Jerome Kern, un livret d'Oscar Hammerstein, un gramophone, un Betta splendens (un parmi des milliers), un clystère, le pendentif de Rita Flowers, le diadème du Toboso, une trousse de toilette ayant appartenu à Josef von Sternberg, une autre à Erich von Stroheim, l'épave complète du Chancewell, les images perdues de A Woman of the Sea, les espadons manqués par Hemingway, les habits démodés du signor Da Ponte, l'épave du bateau d'Abissai Hyden, tous les ingrédients du cocktail Manhattan hélas trop éloignés les uns des autres, des téléviseurs, des machines à laver, un petit traité sur l'immortalité qui n'a pas dû convaincre grand monde, la pique d'un violoncelle et x couronnes de fleurs en hommage aux marins noyés ». La liste comme objet littéraire de culture.
On y rend un hommage à Orson Welles, qui fuira Hollywood, à Scott Fitzgerald, le déchu, qui assimilera la lutte d'Achab à la lutte contre la machine d'Hollywood, à l'ingambe et beau Cary Grant qui refuse la jambe de bois, à Mae West. On découvre aussi le baron de Münchhausen, ou plutôt les barons, qui sont le Fictif et le Véritable (1720-1797). C'est ce second qui a servi de modèle au premier. Un peu affabulateur au point qu'il a donné son nom au syndrome caractérisé par un besoin de simuler une maladie dans le but d'attirer l'attention ou la compassion. « le baron, assez malin pour se situer entre la réalité de sa vie de baron et de l'autre réalité de sa vie de personnage ». le premier n'hésite pas à faire rechercher le second par quinze pigeons voyageurs, et « à l'heure de se battre en duel, se comporter comme Don Quichotte en face de l'autre Don Quichotte bricolé par un plagiaire (un couvercle de marmite pour imiter le plat à barbe qui imitait le casque) ». Idem, le capitaine partira à la recherche d'Avellaneda, le plagiaire de Don Quichotte.
Achab rencontre même le jeune Herman Melville, qui a alors 19 ans. « Il sort à peine des études, il y retourne, il pose un pied ici un pied là, il est hésitant ». Pierre Senges fait un peu de même. Mais on voit, et comprend vite, qu'il est en bonne compagnie, entre Melville, Krasznahorkai, Lowry et Cervantès. On pourrait trouver beaucoup plus minable compagnie. Certes, l'utilisation de listes, de listes de listes et l'accumulation des mots peut rebuter à première vue. Les longues phrases avec leurs nombreuses digressions, elles aussi peuvent indisposer. Mais à tout choisir entre une longue phrase à la Krasznahorkai, qui peut faire plusieurs pages, ou même plus, à la façon de « Zone » de Mathias Enard (2008, Actes Sud, 516 p.) et certains auteurs actuels, où tout se résume à sujet, verbe, complément, illustrant la simplicité, voire l'ingénuité des auteurs.
Finalement, je ne regrette pas, au contraire, d'avoir relu et re-commenter tout Pierre Senges.

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Pierre Senges, Achab (séquelles) ou le pensum suprême

C'est « la survie d'Achab faite d'une longue » (trop longue !) suite d'anecdotes » pourrait-on résumer ainsi l'ouvrage, en citant l'auteur lui-même.
Quand Achab a eu trouvé Moby Dick, il a plongé trois minutes avec elle, puis il a échoué sur une île. Il ne veut plus entendre parler de mer, qui est « l'amertume », un « vide carnassier », autrement dit l'ennui, qui préoccupe Senges. Il aurait dû penser à l'ennui possible du lecteur. Achab doit réapprendre avec une « maigreur tendue » (maigreur, Senges) le « monde sec ».
Qui est Achab ? Il faut en effet cerner son achabité, son achabéisme. Lit-on une thèse ? Ca en a l'apparence, avec les notes en bas de page qui sont une des trouvailles du livre, ces notes qui n'expliquent rien, dont on ne voit pas le rapport avec ce qu'elles veulent expliquer, teintées d'ironie, surfant avec l'épopée ou la réalité.
Pierre Senges conte l'histoire d'Achab, usant de citations qui accréditeraient que l'histoire est vraie. C'est une enquête sur Achab, sur sa manière d'être, et on a des témoins, réels et connus. Pierre Senges se plaît à se référer à des auteurs, des philosophes, des chanteurs, au cinéma. On a aussi des dates, qui servent de repères, comme l'orientation précise des villes. Des époques sont mêlées, 1910/2010 par exemple.
Achab donc. Jeune, il était un mauvais lecteur, que les métaphores égaraient. Senges, lui, erre au travers de son érudition. Il avait une fascination pour Shakespeare. Il voulait être acteur à Londres, mais il avait l'accent américain. Il s'est marié en 1870 avec Martha Dolittle (qui partage ses initiales avec Moby Dick, tiens, tiens) et la quitte la nuit de ses noces. Il fuit, comme Shakespeare a fui, comme Gogol. Il aurait tué Melville, comme Don Quichotte Cervantès. Tout est prétexte à Senges pour emboîter les récits, comme un rhapsode qui coudrait un patchwork d'histoires ayant un lien quelconque entre elles, ou comme un solitaire qui retiendrait des auditeurs pour échapper à l'ennui. On a comme une impression de notes jetées, d'un travail en cours. Achab envie Don Quichotte parce qu'il a un écuyer ; lui n'aura-t-il pas sa Moby Dick ?
Dans la ville, Achab apprend l'impermanence des choses, comme le lecteur l'impermanence du récit dans le livre. le voici à Broadway, 1929-1930, et à Hollywood, un autre Broadway. On y voit le travail des producteurs, la variabilité d'un scénario, ce qui fait penser au « combinatoire » Da Ponte (longue digression sur le librettiste) qui vieux rencontre le jeune Melville mélancolique (comme le sont Achab, Don Quichotte, la baleine) et lui souffle son sujet, comme Pouchkine à Gogol ; on y voit aussi le pouvoir de l'argent, les studios de cinéma. On y rend un hommage à Orson Welles, qui fuira Hollywood, à Scott Fitzgerald, le déchu, qui assimilera la lutte d'Achab à la lutte contre la machine d'Hollywood, à l'ingambe et beau Cary Grant qui refuse la jambe de bois, à Mae West (ah, sa poitrine!).
Et quoi de Moby Dick ? le vieil Achab a renié la baleine par rancune. Il essaie de l'oublier. Après douze ans d'oubli de mer, il peut reparler de Moby Dick. Il en fera le récit, des récits, il faut bien manger. Son propre récit sera repris par d'autres conteurs (par peur de l'ennui?) Moby Dick ne peut mourir, tout comme Sherlock Holmes que Conan Doyle a dû ressusciter, ordre royal ! Ainsi Achab a pu lire le récit de Melville et de Pierre Senges. C'est qu'Achab (hélas pour le lecteur) a la vie longue.
Moby Dick, quant à elle, se sent comme quelqu'un qui a connu la défaite. Elle mange quelques Achab qu'elle croit reconnaître, puis elle vieillit, elle oublie, sans avoir conscience de son immensité. Mais elle est toujours en quête d'Achab. Rancune increvable ou vengeance inassouvie ? Ses déplacements sont les pendants de ceux d'Achab, et rappellent aussi ceux de Martha Dolittle, alias Pénélope, la « demi-veuve » qui recherche un temps son mari. Moby Dick est prête à donner l'hospitalité à l'absurdité du monde, dont la mer, cette « barrique insipide » serait l'image, représentant la routine de la vie, la vanité de toute chose, comme de la société pressée d'aujourd'hui, l'ennui, que peuvent atténuer le spectacle de l'aquarium, ou la lanterne magique, ou la télévision. A la fin, séquelle de séquelles, loin de la mort emphatique chez Melville, un Achab usé s'offre à la gueule de la baleine usée, comme un signe d'une réconciliation.

Où donc veut nous mener Senges ? Ce livre est-il une Odyssée à l'envers, un voyage à travers la lecture et les temps, de l'Antiquité au XX°, un cabinet de curiosités, une réflexion sur la dramaturgie, tout conte est mensonge, et tout est conte, le statut du personnage plus fort que son auteur, et le public du théâtre n'est pas celui des marins du Péquod , une méditation sur l'achabité qui serait l'amertume d'une quête inaboutie (loin de la légèreté de Fred Astaire) sur la condition humaine, voire, avec la baleine qui serait « la persistance de la vie, avec le désir même d'en finir », un catalogue d'érudition savante, avec des mots affectés comme « préquelles » et le verbe « s'absconser » une peur de l'ennui ?
Quoi qu'il en soit, et même si l'intention est ambitieuse, l'original vaut mieux que les préquelles et les interminables séquelles.
Paule Constant craignait que P.Sengès n'eût pas de lecteurs à sa hauteur. A cette réflexion, je me suis sentie petite, mais le livre, franchement, ne m'a pas fait décoller.
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Le capitaine achab est débarqué par moby dick et c'est désormais moby Dick qui pourchasse le capitaine. Belle idée mais impossible de dépasser les 5 % de lecture, tellement cette diarrhée scripturale m'a donné la chiasse. A éviter!
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L'éblouissant vertige de la liste pour saisir comment se formate l'imaginaire occidental moderne.

Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2015/09/16/note-de-lecture-achab-sequelles-pierre-senges/

Lien : http://charybde2.wordpress.c..
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Acharnement et clapotis – le naufrage selon les rescapés
Moby Dick, vous connaissez ? la baleine blanche, les clapotis, le monstre apparu, éclaboussant chaque fois qu’il se cache – d’ailleurs, toute cette histoire de chasse terminée par un drame, ça vous rappelle quelque chose ? les personnages, les figurants, les accessoires, les clous forgés et les clous découpés. Et le décor ? l’inévitable décor d’océan se donnant comme panorama et comme infini contenant : mille millions (un petit peu plus) de kilomètres cubes d’eau salée mêlée de chair humaine et de poissons en proportions inégales, et là-dedans des harengs frais, des requins-marteaux, des baleines à nez de bouteille et des marsouins hourra, des baleines à tête d’enclume, des poissons-clowns, des poissons-chats, des hippocampes comparés quelque part à des allumeurs de réverbères, des bélugas, des huîtres perlières, d’autres qui ne le sont pas, ne le seront jamais, et se sont fait une raison, des baudroies, des encornets, les restes de la croisade de 1212, les théières de vermeil destinées au roi Charles d’Angleterre coulées en 1633 entre Burntisland et Leith – théières suivies dans l’ordre (à travers un fond trouble) de pianos droits, de lingots d’or ou plus sûrement de pioches de chercheurs d’or bredouilles, de pantoufles et chemises de nuit, extraits de naissance, avis de décès, jeux d’échecs, grille-pain, portes tambours, brosses à reluire, jetons de téléphone, bibles traduites en cent vingt langues, Grand Albert et Petit Albert, livres de bonnes manières, banjos, trompettes, harmonicas, fausses couronnes du roi Richard III, casquettes de marin, fraises élisabéthaines, pages brûlées de Nicolas Gogol, buste de Tibère, cafetières italiennes et cafetières américaines, un Catalogue systématique des mammifères marins, des partitions de Jerome Kern, un livret d’Oscar Hammerstein, un gramophone, un Betta splendens (un parmi des milliers), un clystère, le pendentif de Rita Flowers, le diadème du Toboso, une trousse de toilette ayant appartenu à Josef von Sternberg, une autre à Erich von Stroheim, l’épave complète du Chancewell, les images perdues de A Woman of the Sea, les espadons manqués par Hemingway, les habits démodés du signor Da Ponte, l’épave du bateau d’Abissai Hyden, tous les ingrédients du cocktail Manhattan hélas trop éloignés les uns des autres, des téléviseurs, des machines à laver, un petit traité sur l’immortalité qui n’a pas dû convaincre grand monde, la pique d’un violoncelle et x couronnes de fleurs en hommage aux marins noyés.
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Achab ne dira pas le contraire : pendant deux ou trois minutes, le temps d’une chanson, il a été fixé par la baleine, et pendant ces trois minutes (il veut bien appeler ça portion d’éternité), il a entamé auprès d’elle une vie de couple amphibie, éphémère, ébauchant un avenir commun sous six pieds, sous six mille pieds d’eau : elle, continentale, impérieuse, éblouissante même par grands fonds, étrangère à toute forme de susceptibilité, capable au contraire de tout avaler, le navire et ses passagers, la taille d’un estomac disant tout de la capacité d’un être à amortir les coups durs de l’existence. (C’est du moins l’impression du capitaine tout au long de ces trois minutes : pendant ce temps, il se bouche les oreilles et croit rendre son âme goutte après goutte.) Il connaît la sardine, un peu l’anchois, au vinaigre, et certaines variétés de morue en beignet, en brandade, mais la baleine, la baleine blanche, Moby Dick en personne, seulement par ouï-dire, et toujours de loin ; à la toute fin de sa vie de marin, le temps de la harponner (si on en croit les témoins), de se laisser harponner par elle, d’entamer le rodéo le plus rude mais le plus clownesque de l’histoire de l’Amérique océane, le temps de se noyer, il a dû s’infliger une leçon de cétologie accélérée : mœurs, anatomie, forme, tonus musculaire, tout, à commencer par cette peau semblable à rien, comparable à rien, dans quoi il a cru voir, incrustés là depuis si longtemps, des maravédis de l’époque des Rois catholiques. La baleine en retour, quand elle saisit son capitaine, elle le regarde de près, elle le compare à ce qu’elle croyait connaître des hommes : pendant ces trois minutes, elle s’offre elle aussi une leçon d’anthropologie : l’anatomie, les apparences, les intentions, l’énergie du désespoir, le grotesque supporté par la poussée d’Archimède, la virilité combinée avec les impuissances, la coriacité quand même, la boucle du ceinturon, et la tendresse – le ris de veau du fond de son âme.
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Les convenances en plus des règles de la grammaire distillées goutte à goutte par des initiés à ceux qui ne le sont pas ou le sont à moitié, les codes de la vie urbaine, les éléments de la phonétique (distinguer un accent d’un autre, et donc le nord du sud), les lois de la navigation, les codes de procédure, tous les codes possibles, celui du droit du commerce, celui de l’application des peines, celui des cirques ambulants, des pharmaciens, des exploitations agricoles et des villes frontalières – et dans la catégorie de la courtoisie, les préceptes amoureux, l’autre grammaire de la sexualité, y compris les parades nuptiales, tout ce qu’il faut savoir alors de la danse et du chant, de l’habit, de la lumière, de la prédation et de l’indifférence mesurée, et encore ces menus détails qu’il s’agirait de connaître avant de s’y frotter au risque de les manquer, de les manquer toujours (aussi pour éviter d’être inévitablement celui-qui-passe-à-côté, et de le rester jusqu’à la fin de ses jours, vierge comme un œuf de ce savoir, sans trouver les mots, sans oser les réclamer, parce qu’on ne mesure pas même notre droit à réclamer).
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Il ramasse les poubelles (l’aube toujours, il se vante de nettoyer la scène avant le début des choses sérieuses) ; il vend des machines à coudre, c’est un pèlerinage nécessaire pour faire de soi un self made man, l’homme aguerri, à qui personne ne pourrait plus reprocher son confort – la machine à pédalier de porte-à-porte est l’abnégation, le sacerdoce, l’humilité comme prélude à l’orgueil, l’épreuve après quoi s’enrichir est permis, comme se pâmer au paradis après avoir porté des sabots sans chaussettes (le cilice) ; il soulève de nombreux cartons, déménage des pianos, court après des rats, étale de hautes affiches sur des panneaux à l’aide d’une brosse à perche trempée dans la colle, évite les poissonneries comme la peste mais accepte de vider les volailles, après quoi la tentation est grande à la tombée de la nuit de devenir chauffeur de taxi, son volant, son compas, sa corne de brume, le devoir de connaître aussi bien que le fond de son âme les rues se croisant à angle droit : triompher des avenues après avoir vaincu le courant de Weddell et le courant de Ross.
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Cervantès reconnaît Quichotte, Quichotte ne reconnaît pas Cervantès, on ne saura jamais s’il a cru voir un démon ou une bête fauve à la place du vieux prosateur manchot, seul le vieux prosateur aurait pu nous le dire ; Cervantès a peut-être encore le temps de pardonner à Don Quichotte, personne n’est mieux placé que lui pour comprendre comment la folie quichottienne conduit au crime par des accès de justice et d’amour fou ; le temps aussi de comprendre l’ironie de la situation, après l’avoir comprise en rire, y voir un accomplissement grandiose et trivial, la superposition parfaite du sublime et du pitoyable, les noces de la fille de ferme avec la reine du Toboso – mais il n’a pas le temps de répondre à toutes les questions, et comme il manque d’oxygène (ce qu’il traduit par être rappelé à Dieu), il perd ses esprits, il meurt sans pouvoir affirmer devant lui-même seul greffier de son testament si oui ou non le destin lui a permis d’écrire les deux volumes de L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche avant d’être tué par Don Quichotte, et si l’assassin gâche son avenir par mégarde, d’un coup d’épée donné dans l’enthousiasme.
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Vidéo de Pierre Senges
Avec Rainer J. Hanshe, Mary Shaw, Kari Hukkila, Carole Viers-Andronico, Pierre Senges, Martin Rueff & Claude Mouchard
À l'occasion du dixième anniversaire de la maison d'édition new-yorkaise Contra Mundum Press, la revue Po&sie accueille Rainer Hanshe, directeur de Contra Mundum, Mary Shaw, Kari Hukkila, Carole Viers-Andronico & Pierre Senges. Rainer Hanshe et son équipe publient la revue Hyperion : on the Future of Aesthetics et, avec une imagination et une précision éditoriales exceptionnelles, des volumes écrits en anglais ou traduits en anglais (souvent en édition bilingue) de diverses langues, dont le français.
Parmi les auteurs publiés : Ghérasim Luca, Miklos Szentkuthy, Fernando Pessoa, L. A. Blanqui, Robert Kelly, Pier Paolo Pasolini, Federico Fellini, Robert Musil, Lorand Gaspar, Jean-Jacques Rousseau, Ahmad Shamlu, Jean-Luc Godard, Otto Dix, Pierre Senges, Charles Baudelaire, Joseph Kessel, Adonis et Pierre Joris, Le Marquis de Sade, Paul Celan, Marguerite Duras, Hans Henny Jahnn.
Sera en particulier abordée – par lectures et interrogations – l'oeuvre extraordinaire (et multilingue) de l'italien (poète, artiste visuel, critique, traducteur, « bibliste ») Emilio Villa (1914 – 2003).
À lire – La revue Hyperion : on the Future of Aesthetics, Contra Mundum Press. La revue Po&sie, éditions Belin.
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